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Actualités - OPINION

L’agonie de la cité... La discorde, la guerre et la sédition

«Je décrète comme criminel tout citoyen se désintéressant du débat public.» Solon Athènes, VIe S. avant J-C: Afin de mettre fin aux troubles civils, on confia à Solon, le réconciliateur, le soin de rédiger la constitution d’Athènes qui jeta les bases de ce qui deviendra la démocratie. Tout Athénien y est rendu moralement solidaire des outrages, violences et insultes subis par un de ses concitoyens. Son devoir est d’obtenir réparation auprès des tribunaux. De toutes ses actions, Solon se flatte d’avoir arraché les «?bornes?» qui réduisaient en esclavage la «?terre noire?» d’Athènes. Le grand législateur avait commencé par libérer la cité des clôtures qui en faisaient une mosaïque de territoires tribaux?: «?Auparavant asservie, maintenant elle est libre (1).?» Dorénavant, ce n’est plus le bon vouloir des chefs mais la loi qui peut prétendre jouer le rôle de limite, de borne, ou de clôture. L’espace public, où se prélasse la liberté de tout un chacun, venait de naître. Beyrouth, 13 avril 2008 après J-C?: Au cœur de la ville asservie, prisonnière, esclave, otage, étranglée. Au milieu de l’espace public, des bornes sont plantées le transformant en autant de mosaïques territoriales. Une volonté farouche affiche sa préférence pour le territoire et ses enclos au détriment de la ville, de son urbanité et de son universalisme. Ces tentes et ces barbelés de la honte qui charcutent le cœur de Beyrouth sont les outils du crime «?urbicide?», tueur de la cité. Cependant, les maîtres des territoires avaient permis, en ce dimanche 13 avril 2008, d’entrouvrir une petite lucarne dans leurs bornes des barbelés du scandale. Une petite foule maigrichonne était là pour commémorer l’innommable souvenir du dimanche 13 avril 1975 dans un décor absolument surréaliste. Il fallait regarder l’image au lieu d’écouter les beaux discours anachroniques. Le décor?? Des barbelés que nulle caméra ne parvenait à cacher. Des représentants d’organismes médiatiques, tous partisans et factieux, nous ont joué la rengaine nostalgique des mauvais souvenirs de jadis au lieu de dénoncer le crime actuel, celui-là même qui servait matériellement de décor à leur discours?: le meurtre de la ville, de «?leur?» ville. Confinés dans un petit carré de barbelés éhontés, ils nous ont répété le sempiternel lieu commun?: ne recommencez pas?! Nul n’a osé faire comme Solon. Nul n’a osé repousser ces horribles barbelés et libérer la terre de Beyrouth de l’esclavage criminel qui la maintient prisonnière non d’une volonté politique, mais d’une volonté séditieuse. Nul n’a osé tendre la main vers un de ces instruments du crime, nul n’a osé arracher, de sa propre volonté citoyenne, une seule de ces bornes meurtrières. On nous a montré une photo révoltante, celle d’une poignée de main à travers la frontière des barbelés comme si cette frontière de la honte fait désormais partie intégrante de notre vie quotidienne. Et puis, ce fut la cerise sur le gâteau?! Une brochette d’hommes de robes et de turbans de toutes les couleurs confessionnelles du Liban lurent sagement un texte écrit sur un papier aux couleurs du drapeau de la patrie. C’était une prière à l’identité indéfinie. Ni musulmane, ni chrétienne, ni juive, ni druze. Le texte, spirituellement aseptisé et religieusement asexué, se voulait une invocation au Dieu unique qui, par nature, n’aime pas les niaiseries et n’entre pas en relation avec une entité dépourvue d’identité personnelle. On eût mieux fait d’entonner, d’une seule voix, le serment patriotique proclamé en ces mêmes lieux par Gebran Tuéni. On préféra la référence à l’aïeul Abraham, père de ce monothéisme qui coûta tant de violences et de sang au genre humain. Seule la représentante de la LBC eut le courage, durant quelques secondes, de parler du présent cruel et tragique au lieu de pleurnicher sur le passé. Pauvre Gebran, et toi Samir, et toi Rafic, et toi Pierre, Georges, Walid… et vous tous les autres… Comme votre mort paraissait inutile devant cette rumination de l’image pérenne du Liban de papa, celui des hordes et des tribus. Quand meurt la cité?: Machiavel considérait la cité comme un corps vivant qui peut tomber malade et mourir. Il suivait en cela Aristote qui était hanté, en permanence, par l’idée de la «?sédition2?», seule capable de démanteler toute cité. La sédition est plus grave que la simple discorde. La loi, dans le cadre «?du?» politique, est suffisante pour protéger la cité contre la discorde qui défait les États par les conflits qu’elle suscite. Quant à la sédition, elle a un sens bien précis, du moins en droit. Tous les dictionnaires la définissent comme étant une action concertée dirigée contre l’État ou tendant à susciter la désobéissance envers ce dernier et envers les autorités légalement établies. La sédition peut résulter de publications, de propos, ou de discours incitant les citoyens à renverser l’autorité gouvernementale. Juridiquement, la sédition est considérée comme un crime contre la sûreté de l’État. Elle diffère cependant de la trahison par le fait qu’elle n’implique pas d’actes de violence ni d’assistance à l’ennemi. Pour Aristote, n’importe quel citoyen (héros militaire, homme politique, magistrat, homme ordinaire, etc) peut devenir cause de sédition. Soit que des envieux, jaloux de sa puissance, intriguent contre lui?; soit que lui-même se voit élevé tellement haut qu’il refuse dorénavant d’être l’égal de quiconque. Un cas démonstratif est celui du général romain Sertorius, homme honnête mais rigide. Rival de Pompée, il voulut arracher l’Espagne à l’autorité du Sénat romain et reconstituer la République à sa guise. Pierre Corneille, dans une tragédie homonyme, lui fait dire ce vers célèbre?: «?Rome n’est plus dans Rome, elle est tout entière où je suis.?» Pr Antoine COURBAN 1) Cf. «Le fragment 36 W. de Solon : pratique et fondation des normes politiques», Revue des études grecques 108, 1995, p. 24-37 2) Cf: Aristote, «La Politique», 1996, Herman-Editeurs des arts, Paris, Livre V, p. 151-191
«Je décrète comme criminel tout citoyen
se désintéressant du débat public.»
Solon

Athènes, VIe S. avant J-C:
Afin de mettre fin aux troubles civils, on confia à Solon, le réconciliateur, le soin de rédiger la constitution d’Athènes qui jeta les bases de ce qui deviendra la démocratie. Tout Athénien y est rendu moralement solidaire des outrages, violences et...