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Actualités - OPINION

« Le Monde » en grève Émilie SUEUR

Le Monde fait grève aujourd’hui, une première. Une décision prise par les salariés du quotidien français après l’annonce par la direction d’un plan prévoyant 130 suppressions d’emploi. Créé en 1944, Le Monde n’a menacé de faire grève, dans toute son histoire, qu’à deux reprises, en 1951 et en 1984. Menaces qui finalement n’avaient pas été mises à exécution. Que le quotidien français cesse effectivement de travailler est significatif du malaise profond que vit depuis quelques années la presse hexagonale. Libération, Le Figaro, La Tribune, Les Échos et même L’Équipe, parangon jusqu’à récemment de la presse qui marche, ont traversé ou traversent actuellement des zones de plus ou moins forte turbulence. Mais le marasme qui touche la presse dépasse les frontières françaises. Dans une tribune publiée en février 2007 dans le Washington Post, Pamela Constable, grand reporter pour le quotidien américain, lançait une vibrante mise en garde contre les conséquences de la réduction du nombre de correspondants de presse basés à l’étranger. Tribune suscitée par l’annonce, par le Boston Globe, de la fermeture de ses trois derniers bureaux à l’étranger. Entre 2002 et 2006, le nombre de correspondants basés à l’étranger est passé de 188 à 141, souligne la journaliste. À l’origine de ces fermetures, une question de coût. Aujourd’hui, seuls huit journaux américains ont encore de véritables bureaux à l’étranger. Chiffre faible à l’échelle des médias américains, mais qui ferait rêver les journalistes de nombreux pays. En remplacement des correspondants, les journaux ont recours à des journalistes free lance auxquels il n’est pas nécessaire d’octroyer un bureau, un logement et un salaire régulier. Des conditions de travail qui réduisent de facto la possibilité, pour les journalistes free lance, de travailler sur des reportages au long cours. Analyser les causes de ce désengagement pour les nouvelles internationales relève du questionnement sur la poule et l’œuf. Les lecteurs ont-ils perdu tout intérêt pour les affaires du monde au profit de l’actualité de proximité et de celle des « people », ou bien les patrons de presse ont-ils décidé, en amont, de réduire la place impartie aux infos internationales en faisant le pari que celles-ci n’intéressent plus vraiment ? Les conséquences de cette tendance, en revanche, sont assez claires : quand la petite lucarne est l’unique fenêtre sur le monde de la majorité de la population, la compréhension du monde prend une belle volée de plomb dans l’aile. Situation d’autant plus ennuyeuse que la vie de chacun, dans son niveau le plus quotidien, est affectée par des événements qui se produisent à l’autre bout de la planète. Avoir un accès aisé à une information digne de ce nom et non superficielle, afin de comprendre, n’est pas un luxe, mais une nécessité. Walter Conkrite, célèbre journaliste américain de télévision, cité par Pamela Constable, a d’ailleurs mis en garde contre ce désintérêt pour la marche du monde : les pressions des compagnies de médias pour que soient générés des profits croissants menacent les valeurs et la liberté de notre nation en laissant les gens moins informés, explique-t-il, selon Mme Constable. Dans ce monde compliqué, « le besoin d’un journalisme de haute qualité est plus important qu’il ne l’a jamais été, estime-t-il. Ce n’est pas seulement le travail des journalistes qui est menacé ici, c’est la démocratie américaine ». Entre le lectorat et les patrons de presse, les journalistes ont le blues. Selon une étude réalisée par un professeur de Ball State University, 31 % des journalistes de 34 ans ou moins souhaitent quitter la profession. Signe des temps, un journaliste américain de 23 ans, Kiyoshi Martinez, a créé un site Internet www.angryjournalist.com, véritable exutoire pour ses collègues lassés d’être sous-payés, exploités, déçus ou frustrés. Depuis son lancement, le 10 février dernier, plus de 3 920 journalistes ont expliqué « pourquoi ils étaient fâchés ». Un autre site, baptisé happyjournalist, a également vu le jour le 2 mars. Il a recueilli, jusqu’à présent, 108 commentaires... Pour information, c’est Le Monde qui a publié cette histoire...
Le Monde fait grève aujourd’hui, une première. Une décision prise par les salariés du quotidien français après l’annonce par la direction d’un plan prévoyant 130 suppressions d’emploi. Créé en 1944, Le Monde n’a menacé de faire grève, dans toute son histoire, qu’à deux reprises, en 1951 et en 1984. Menaces qui finalement n’avaient pas été mises à...