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10 % des chantiers sont complètement illégaux Des bureaux indépendants bientôt sur les rails, promet le ministère des Travaux publics

Toutes les personnes interrogées dans le cadre de cette enquête ont insisté sur la notion fondamentale de la création de bureaux indépendants de contrôle pour une meilleure surveillance des constructions. Ces bureaux seront chargés par l’État de suivre toutes les étapes de l’étude et de l’édification, et payés par les promoteurs eux-mêmes. Une décision exécutive vient seulement d’être prise par le ministère des Travaux publics concernant le début d’acceptation des demandes de bureaux, sachant que ceux-ci sont prévus par la loi et les décrets d’application de 2004-2005. Interrogé sur le retard à mettre en place cette mesure prévue par la loi, le directeur général du ministère des Travaux publics, Fadi Nammar, assure à L’Orient-Le Jour qu’il n’y a aucun retard. « Nous sommes dans les normes, c’était un processus très nouveau à appliquer », dit-il. Mais que sont ces bureaux de contrôle et comment fonctionneront-ils ? Pour l’instant, comme première étape, il faudrait que ces bureaux soient créés, souligne le directeur général. « Nous avons appelé les personnes intéressées à présenter une demande, poursuit-il. Ces demandes seront vérifiées pour s’assurer qu’elles sont complètes et que les papiers sont en règle. C’est un comité formé de représentants de tous les ministères et organismes concernés qui décidera de cela. » Et ce n’est pas une mince affaire que d’être un bureau indépendant de contrôle. Celui-ci doit avoir les moyens de surveiller les constructions à toutes les étapes. M. Nammar n’était pas en mesure de nous indiquer quand ces bureaux seront définitivement opérationnels, ni combien il en faudra pour suffire aux besoins du marché. Parce que, souligne-t-il, une fois qu’ils seront sur pied, il deviendra interdit de procéder à la construction sans recourir à leur service, du moins, dans une première étape, pour les édifices de plus de 28 mètres de hauteur (approximativement sept étages) et tous les édifices publics. « Ce qui ne signifie pas que d’ici là, les promoteurs ne devront pas obéir aux règles, même si les bureaux indépendants n’existent pas encore pour surveiller leur travail », ajoute-t-il. Les promoteurs, justement, ne rechignent pas face à ces dépenses supplémentaires ? « Qu’ils se plaignent ou pas, ce n’est pas notre affaire, répond M. Nammar. Il faut savoir que le coût de ce contrôle supplémentaire n’est que de 3 à 5 %, c’est-à-dire négligeable dans le cadre de ces grands projets. Sachant qu’après cela, autant les promoteurs que les clients seront tranquilles. » En effet, le directeur général précise que l’autre mesure nouvelle qui accompagnera le contrôle des bureaux sera l’assurance obligatoire sur les bâtiments, une police préférablement décennale, qui sera une sorte de garde-fou. La capacité à se faire assurer dépendra de la qualité de la construction et du contrôle. Le promoteur, selon lui, y trouvera son compte puisque la responsabilité sera en quelque sorte assumée par le bureau de contrôle. Ne faut-il pas craindre que les bureaux de contrôle soient désignés par la force des pistons des uns et des autres ? « Il n’y a pas de place aux pistons, affirme M. Nammar. Il s’agira de répondre à des critères très précis, et le dossier de l’un ou de l’autre obtiendra des points sur un tableau préétabli. » Interrogé sur toutes les constructions existantes, M. Nammar souligne qu’il est « impossible de les faire toutes passer par un contrôle rétroactif ». Il juge cependant que « les constructions sont satisfaisantes dans leur grande majorité ». Le ministère n’a-t-il aucun rôle dans la surveillance ? Il précise que dans l’état actuel des choses, c’est surtout les municipalités qui doivent contrôler l’exécution. Mais, à part dans la capitale, ont-elles les capacités de s’acquitter de cette tâche ? « Elles ne l’ont pas souvent, mais elles devraient se développer, répond-il. La grande garantie, cependant, c’est que les promoteurs eux-mêmes n’osent pas exécuter mal leurs projets. Et, généralement, les problèmes restent extrêmement rares. » Mais ils existent… « C’est comme vivre dans son tombeau » Samir Doumit, président de l’ordre des ingénieurs, parle de la loi et du rôle de l’ordre dans le contrôle de la qualité des constructions. « L’idée qui sous-tend ce texte, c’est qu’il faut passer d’une culture de construction commerciale à celle d’une construction qui respecte l’environnement, la santé et la sécurité publique », explique-t-il. Pour assurer l’application de ce texte, il y a des mesures exécutives dont certaines sont du ressort de l’ordre, et d’autres qui doivent être prises en charge par différentes parties. « Quand un architecte travaille son avant-projet, il doit respecter le code sismique, dit-il. Dans cet avant-projet, il doit y avoir rapport géotechnique du sol. Pour ce qui est de l’exécution, il faut qu’il y ait un ingénieur qui supervise continuellement l’opération. » Selon lui, l’obtention du permis de construire passe par plusieurs étapes, avec l’approbation de l’ordre qui est donnée après examen des documents fournis par l’architecte, puis l’approbation de la municipalité et celle de la Direction générale de l’urbanisme (DGU). « Mais la pierre angulaire de la sécurité du bâtiment, c’est la création d’un bureau indépendant de contrôle, prévue dans la loi », précise-t-il. Ce sera un contrôle supplémentaire sur la qualité de la construction. Et c’est là que nous ajouterons la nécessité d’une assurance décennale. Après cela, nous pourrons dire que la construction sera dorénavant tout en sécurité au Liban. » Est-ce que cela veut dire que l’acheteur aujourd’hui ne peut se dire entièrement tranquille sur la qualité du bien immobilier qu’il acquiert ? « Pour l’instant, en tant qu’ordre, nous avons un droit de regard sur les plans sur papier, dit-il. Après nous, c’est la municipalité qui accorde le permis pour le début de la construction. » Mais les municipalités du Liban ont-elles toutes les moyens de superviser la construction après ? « Voilà la principale question, reconnaît-il. Il y a la municipalité de Beyrouth et les grandes municipalités qui ont un appareil exécutif, mais pour les autres, ce n’est probablement pas le cas. D’ailleurs, à Beyrouth même, les gens s’assurent de la qualité du bâtiment avant d’acheter. Le problème, c’est le chaos dans les banlieues. » De quel genre de chaos veut-il parler ? « Le vrai chaos, c’est qu’il y a toujours des bâtiments construits sans aucun permis, c’est-à-dire sans passer par tout ce processus, et donc sans aucun contrôle, explique M. Doumit. Tous ces bâtiments que vous avez vu endommagés en raison du dernier séisme (dans la région de Tyr) sont construits sans permis et sans contrôle. La catastrophe, c’est qu’après les ravages de la guerre de 2006, la plupart des propriétaires ont reconstruit leurs demeures dans les régions éloignées sans en référer à nous, sans nous envoyer les plans, comme le commande la loi. » Mais finalement, dans un État, qui est chargé de faire respecter la loi et d’empêcher que les constructions illégales ne soient exécutées ? « Ce sont les municipalités de ces régions qui ont accordé ces permis sans en référer à personne », affirme M. Doumit. Or les municipalités sont bien sous la tutelle d’autorités supérieures… M. Nammar a lui-même refusé de commenter ce point. Pour sa part, M. Doumit évoque des raisons politiques facilitant la protection dont jouissent les contrevenants. « J’ai bien peur qu’il n’y ait environ 10 % de constructions illégales actuellement au Liban », poursuit-il. Et d’ajouter : « Je l’ai souvent dit : que personne ne pense qu’en favorisant ce chaos dans la construction, il est en train de résoudre un problème. Bien au contraire. Il serait en train de pousser ces familles à s’installer dans des bâtiments vulnérables et exposés à l’effondrement au moindre séisme. Comme si ces habitants vivaient dans leurs propres tombeaux. Je suis sûr que si le dernier séisme avait eu un épicentre proche de la capitale, beaucoup de bâtiments dans les banlieues n’auraient pas tenu le coup, certains ayant même été construits sans fondations. » Mais même si le concept des bureaux de contrôle technique indépendants est appliqué, comment peut-on s’assurer qu’ils seront réellement indépendants, et comment croire qu’ils pourront intervenir là où l’État est lui-même impuissant à le faire ? « Si l’on va douter de tout, cela voudra dire que nous sommes dans un véritable pétrin », répond-il simplement. « Aucun contrôle sur l’exécution » Pour sa part, Assem Salam, ancien président de l’ordre, certifie que la loi et les décrets d’application de 2004-2005 sont très satisfaisants, puisqu’ils imposent des conditions sévères sur la structure, mais il précise que les problèmes persistent au niveau de l’application. M. Salam relève toute la difficulté qu’il y a à contrôler efficacement les constructions : « À titre d’exemple, est-ce que les mêmes critères stricts vont s’appliquer sur une petite construction dans une terre agricole de la Békaa comme elle le sera en zone urbaine ? En effet, plus les conditions sont sévères, plus le coût de la construction sera élevé, plus le contrôle devient difficile. De plus, il faut établir un réseau assez développé pour assurer un contrôle complet, puisque l’exécution dépend de plusieurs acteurs, et que la responsabilité est éparpillée. Le problème, c’est de savoir comment certifier en définitive que l’exécution a été bonne. » M. Salam rappelle qu’il n’existe pas un seul organisme étatique qui se charge de l’intégralité du contrôle. « Cette tâche a été dévolue à l’ordre des ingénieurs, poursuit-il. Or l’ordre ne peut être très efficace, et il n’a pas les moyens de l’État. Il donne son approbation sur les études préliminaires, et le permis est accordé suivant sa recommandation. Après, il n’y a pratiquement plus aucun contrôle. » Il insiste sur l’importance des bureaux indépendants de contrôle, qui donneraient un quitus après l’exécution, et non seulement sur base des plans. Selon lui, le retard à établir ces bureaux de contrôle était dû à des considérations matérielles, parce que cela va coûter plus cher aux propriétaires. « L’un des principaux problèmes est le manque d’éthique, souligne-t-il. L’idée prédominante, c’est de construire au prix le plus bas, et de profiter au maximum. Les ingénieurs se font souvent la compétition, ce qui a une incidence sur les honoraires. L’augmentation du coût des matières premières vient s’ajouter à tout cela. Et même le client est complice quelque part, puisqu’il croit faire une bonne affaire. Il n’y a de vraie garantie nulle part. »
Toutes les personnes interrogées dans le cadre de cette enquête ont insisté sur la notion fondamentale de la création de bureaux indépendants de contrôle pour une meilleure surveillance des constructions. Ces bureaux seront chargés par l’État de suivre toutes les étapes de l’étude et de l’édification, et payés par les promoteurs eux-mêmes. Une décision exécutive...