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Le patrimoine, tant qu’il est temps Ziad AKL

Plus affligeante que l’irrévocable destruction de notre patrimoine bâti et naturel est notre réaction face à cet état de fait qui arrive à point comme pour ponctuer la chute de notre pays si loin de lui-même. On voit se mourir le patrimoine, on le pleure, on déclame oraisons funèbres et discours funestes tout en affirmant avec force solennité (l’index sans doute levé, signe des temps) que le mort devait tout simplement ne pas mourir. On reconnaît les effets de la pression foncière, l’incapacité de l’État à baisser les coefficients ou à indemniser les propriétaires ayant subi un préjudice par suite du classement de leur bien. Au lieu de se mettre à la recherche, dans l’urgence, d’une solution qui épargnera à ce pays la perte systématique et exhaustive de son passé, on polémique via des slogans qui sonnent fort mais au contenu à redéfinir, donnant généreusement le temps au patrimoine, par maisons isolées ou par îlots entiers, de jouer son troublant jeu de victime consentante face à ses bourreaux. On dit surtout «?non?» à toute solution proposée – qu’il est facile de dire non?! – pendant que nos maisons qui sentent encore l’odeur de nos familles et de nos parents font la queue devant les bulldozers après que leurs propriétaires aient eux-mêmes fait la queue devant les promoteurs. Ce n’est plus une oraison funèbre, c’est un quarantième. Face à la pression foncière et à notre découragement de voir s’élaborer une politique urbaine concertée privilégiant la survie ou surtout la vie des patrimoines dans des délais qui ne seraient pas posthumes, il nous faut aborder la question de manière imaginative, audacieuse, et opérationnelle. Aujourd’hui Beyrouth manque de terrains libres. La réponse du marché à la demande foncière s’opère alors par la transformation de la ville sur elle-même au détriment des bâtiments patrimoniaux qu’on sacrifie vu qu’ils ont perdu leurs rôles d’acteurs actifs dans la ville. Pourquoi?? Parce que notre approche, trop conservatrice, sépare l’habit architectural du contenu, ce qui fossilise, condamne et tue. On demande au patrimoine d’être un objet à regarder tel un joli vase posé sur le joli dressoir d’une de nos vieilles tantes, alors que ce patrimoine ne demande qu’à exister. Comment?? En se voyant offrir la possibilité non seulement de s’intégrer dans le processus du développement urbain, mais peut-être bien plus?: en devenant un acteur privilégié, un facteur de séduction, un moteur. Construire le futur n’a pas pour corollaire la destruction du passé. Bien au contraire, Il est souvent salutaire pour les architectes de se faire accompagner et guider par les leçons du patrimoine… en le revisitant et en lui désobéissant un tout petit peu parfois, lui qui a déjà désobéi au sien pour devenir ce qu’il est?; sinon, les WC seraient encore dans les jardins et nos femmes en tantour. Puisque donc l’obstacle reconnu est d’ordre financier, puisque le principe de l’indemnisation de la part de l’État relève de l’impossible, et puisque le propriétaire dépité cherchera à se débarrasser de son propre patrimoine, on pourra, pour l’en dissuader, imaginer un mécanisme d’indemnisation indirect. Le stratagème consiste, par exemple, à donner au propriétaire la possibilité et le droit de vendre – s’il le désire – son droit de construire restant sur la parcelle dont il est le propriétaire à un promoteur ou à un particulier situé dans une zone qui par son environnement et l’état de ses infrastructures peut accueillir une densité légèrement plus élevée. Ce mécanisme s’appelle «?transfert de coefficient?» et permet au propriétaire d’une maison ancienne enclavée entre 4 immeubles élevés de ne pas se sentir frustré par le sentiment d’avoir à payer seul le prix du patrimoine. Les récalcitrants habituels à cette mesure disent immanquablement que c’est là une porte ouverte à la corruption?; c’est croire que la corruption a stoïquement attendu depuis l’indépendance la problématique du patrimoine pour se déclarer?et s’épanouir ! Cette mesure s’appliquera par exemple aux maisons traditionnelles à 2 étages qui n’ont pas trouvé acquéreur milliardaire pour les adopter, les racheter et les sauver. Quant aux très beaux immeubles Art déco de 4 ou 5 étages qui disparaissent dans la couronne AÏn Mreyssé-Sodeco-Furn el-Hayek- Gemmayzé (sans que personne ne s’en émeuve, n’ayant ni les 3 arcades ni le toit en tuile?requis pour éveiller sans risque notre pitié !), il suffira de permettre à leurs propriétaires de construire des «?penthouse?» en retrait en leurs sommets pour les réconcilier avec le marché, tout en imaginant des mesures d’accompagnement en terme d’exonérations fiscales ou autres. Ces mesures encourageront les propriétaires de maisons anciennes à ne plus percevoir leurs bâtiments comme un poids encombrant dont il faut se débarrasser, mais bien au contraire comme un produit rare et précieux avec lequel il faut traiter avec art et respect, et qui de ce fait peut devenir source de bénéfices. Mon expérience personnelle me laisse croire que des voies existent malgré les difficultés et les contradictions pour sortir de l’impasse et explorer d’autres issues que le cycle «?lamentations-destruction-disparition-lamentations). Dans beaucoup de projets, on peut construire «?avec?» l’ancien aussi bien au plan fonctionnel qu’esthétique. Dans d’autres, on peut aller jusqu’à se soumettre totalement aux architectures-phares du passé et des atmosphères magiques qu’elles génèrent. L’exercice est difficile et coûteux, mais l’enjeu fondamental. Il faut élaborer les législations nécessaires pour sortir le patrimoine de l’isolement urbain, fonctionnel et culturel dans lequel il se trouve et agonise, et lui permettre de jouer un rôle vivant et actif dans la dialectique de la ville. Ziad AKL Architecte-urbaniste Article paru le mardi 8 avril 2008
Plus affligeante que l’irrévocable destruction de notre patrimoine bâti et naturel est notre réaction face à cet état de fait qui arrive à point comme pour ponctuer la chute de notre pays si loin de lui-même.
On voit se mourir le patrimoine, on le pleure, on déclame oraisons funèbres et discours funestes tout en affirmant avec force solennité (l’index sans doute levé,...