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Afghanistan Un enfant tué et des doigts coupés pour une bague en or : 15 ans plus tard, Marzia attend toujours que justice soit faite

Il y a quinze ans, des miliciens sans vergogne ont coupé les doigts de Marzia pour lui voler une bague en or et tué son fils de neuf ans. Quinze ans après le massacre d’Afshar, l’un des pires épisodes de la guerre civile d’Afghanistan, Marzia attend toujours que justice soit faite. C’était un matin très frais de février 1993. La milice loyale au seigneur de la guerre pachtoune Abdul Rab-Rasoul Sayyaf – aujourd’hui député – venait de capturer le village d’Afshar, à la lisière de Kaboul, peuplé majoritairement par l’ethnie des Hazaras, des chiites aux yeux bridés. Le village, aux maisons en torchis et briques au flanc d’une montagne, a subi meurtres, viols et pillages. Et les miliciens ont forcé la maison de Marzia, raconte cette femme illettrée d’une quarantaine d’années. Ils ont exigé sa bague en or. « Je ne pouvais pas l’enlever. L’un d’eux est arrivé avec une baïonnette et a dit “je vais l’enlever” et m’a coupé les doigts », dit-elle, montrant sa main privée de pouce, d’index et de la moitié de son majeur. Samad, son fils, s’est mis à pleurer. « Lorsqu’ils m’ont coupé les doigts, mon fils s’est précipité vers moi et a crié “Oh nanai” (maman). Un autre homme l’a abattu avec son fusil », dit-elle, les lèvres tremblantes. « Mon fils est mort dans mes bras », ajoute-t-elle en s’essuyant les yeux. Le nombre de tués dans ce qui est considéré comme le massacre d’Afshar n’est pas établi avec certitude : 300 selon l’ONU, presque tous des Hazaras. Les villageois affirment qu’il y en a bien plus, 1 200, égorgés ou décapités. Des centaines de Hazaras ont été emmenés pour des travaux forcés ou ont tout simplement disparu. Parmi eux, le mari de Marzia, Sayed Mohammad. Assis près de son épouse dans leur masure d’une pièce, il raconte avoir été accusé d’être un combattant. Battu, il a été forcé de creuser des tranchées et de faire la vaisselle de cette milice pachtoune durant six mois, avant de recouvrer la liberté, paralysé et détruit psychologiquement. La campagne d’Afshar est l’un des pires épisodes de la guerre civile des années 1992-1996, qui avait éclaté juste après la retraite des Soviétiques, combattus et chassés grâce à un soutien international, américain, saoudien et pakistanais. La guerre civile essentiellement interethnique – où toutes les parties impliquées ont été accusées d’avoir commis des atrocités – a fait environ 80 000 morts rien qu’à Kaboul, selon des défenseurs des droits de l’homme. Le conflit a pris fin avec l’arrivée en 1996 à Kaboul des talibans, des islamistes radicaux accueillis comme des libérateurs. Mais eux aussi ont institué la terreur avant d’être renversés par une coalition internationale sous commandement américain à la fin de 2001. « Le massacre d’Afshar est l’un des plus graves de la guerre civile, dit Horia Musadeq de la commission indépendante des Droits de l’homme en Afghanistan (AIHRC). Des centaines de civils ont été tués, des femmes violées et de nombreux hommes capturés, détenus et torturés. » Un rapport de Human Rights Watch en 2005, « Mains couvertes de sang : anciennes atrocités à Kaboul et héritage d’impunité en Afghanistan », cite abondamment Sayyaf – devenu un allié du président Hamid Karzaï – tout comme d’autres figures brutales de l’époque. Parmi eux, Burhanuddin Rabbani, le président du pays à l’époque, devenu parlementaire. Fin 2006, le président Karzaï a signé un accord de paix, de réconciliation et d’action en justice pour « établir les responsabilités », un point controversé qui suscite les craintes d’un retour de bâton de seigneurs de la guerre inquiets d’affronter la justice. Des semaines plus tard, le Parlement a adopté une loi accordant une amnistie aux groupes et factions. Le président Karzaï a reconnu en décembre, lors d’une réunion de l’AIHRC avec les victimes, dont Marzia, que c’était un sujet d’inquiétude. « Ce sont des tyrans sur notre terre, a-t-il dit. Nous devons agir avec beaucoup de précaution pour ne pas provoquer trop de bruit et davantage de violations des droits de l’homme. » Aujourd’hui, d’anciens « commandants » de milices continuent de dominer la scène politique en Afghanistan : certains sont des ministres, gouverneurs et chefs de police. Marzia réclame que justice soit faite, même par la seule grâce de Dieu. Musadeq, un militant des droits de l’homme, juge qu’il est vital de répondre à cet appel afin que le pays panse ses plaies de trois décennies de guerre. « Nous ne pouvons survivre en tant que nation si nous ne rendons pas justice aux victimes de la guerre », dit-il. « Pouvez-vous imaginer que ceux qui ont tué son enfant (de Marzia) ou d’autres puissent siéger au Parlement, vivre dans des palais et conduire des 4X4 ? » ajoute-t-il. Sardar AHMAD/AFP
Il y a quinze ans, des miliciens sans vergogne ont coupé les doigts de Marzia pour lui voler une bague en or et tué son fils de neuf ans. Quinze ans après le massacre d’Afshar, l’un des pires épisodes de la guerre civile d’Afghanistan, Marzia attend toujours que justice soit faite.
C’était un matin très frais de février 1993. La milice loyale au seigneur de la guerre...