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Actualités - REPORTAGE

Le long et lent cheminement de la femme dans les dédales de la politique libanaise

« Le simple fait d’avoir eu besoin de créer une Journée internationale pour la femme est une honte. Cela signifie que nous sommes une sorte d’espèce en danger, une catégorie de personnes qui sont marginalisées, qui ne font pas en soi partie intégrante de la société », affirmait, excédée, une collègue lorsqu’elle apprenait qu’une page spéciale « Journée internationale de la femme » était en préparation. Difficile de lui prouver le contraire, surtout dans un pays où l’homme est perçu comme étant le fondement de la société. Toutefois, les choses bougent, lentement, il faut le reconnaître. Mais aucun changement de mentalité ne peut subvenir rapidement. Il faut du temps pour qu’une évolution s’ancre dans les mœurs. À l’occasion de cette journée, il paraissait important d’examiner la situation de la femme libanaise dans la vie politique. Si dans sa vie privée, la femme parvient de mieux en mieux à se tailler une place, notamment sur le plan professionnel, il reste qu’elle demeure gravement absente de la vie publique, de la gestion de la chose publique. C’est sans doute l’environnement conservateur et de tradition musulmane qui entoure le Liban qui fait que les femmes restent à l’écart de la décision politique, sauf pour celles que nous appelleront dans ces colonnes les « héritières », les héritières malheureuses qui se voient contraintes d’assumer des responsabilités après la mort – souvent l’assassinat – d’un conjoint qui avait fait de la politique son pain quotidien. De nombreuses femmes se sont portées candidates en 2005, lors des dernières élections parlementaires. Toutes, voire la plupart, n’ont pas réussi, mais cela a suffi pour mettre en exergue le vent du changement qui s’est emparé de la société libanaise dans tous les domaines, après le retrait de l’armée syrienne. Un vent libérateur qui a donné l’impression à toutes les catégories de la société que tout était possible. Mirna Atallah est membre de l’organisation non gouvernementale National Democratic Institute (NDI), une association américaine regroupant des experts et des praticiens de tous les pays du monde et effectuant des formations dans plusieurs régions du globe sur le thème de la démocratie, afin d’ancrer cette culture institutionnelle dans des régions où elle en est absente. NDI s’est chargée, à l’instar d’autres ONG qui travaillent également dans ce domaine, d’assurer des formations, des « écoles de campagne » aux femmes désireuses de se porter candidates. Ainsi, ces « focus groups » étaient destinés à préparer le mieux possible des femmes qui envisageaient d’avoir une carrière politique, mais qui souvent ne parvenaient pas à percer. L’atelier de 2005 était composé d’un nombre important de femmes, « et nous avons continué à travailler de façon stable avec 12 d’entre elles », souligne Mirna Atallah. Les plus grands obstacles qui se dressent devant les femmes libanaises lorsqu’il s’agit de faire de la politique, c’est de toute évidence « la peur », affirme Mme Atallah. « Leur mère les met en garde. Il ne faut pas faire de la politique parce qu’on peut en mourir, c’est un domaine dangereux. Il y aussi cette notion de “mal vu”, de réputation. Et toute la problématique du “fund raising” qui est aussi perçu comme de la mendicité. » Pour combattre tous ces préjugés, il fallait « trouver un moyen d’attirer la femme dans l’arène politique », surtout que la plupart des associations féministes ne travaillent pas sur le terrain de la politique, mais plus sur celui du « women empowerment », autrement dit la consolidation du rôle économique de la femme au sein de la société active. Le but de NDI étant, plus directement, de « donner à la femme des outils et des ressources qui puissent la rendre indispensable politiquement aux yeux des hommes qui l’entourent. Ainsi, nous travaillons aussi avec des femmes qui sont membres de partis politiques. Nous les mettons en contact avec tout un réseau mondial, nous les aidons à parfaire leurs connaissances politiques en matière de communication, de gestion de leur image », indique Ayman Mehanna, également membre de NDI. Dans ce contexte, il convient également de rappeler les difficultés auxquelles font face les femmes pour accéder à une liste électorale. Dans ce cas, mis à part les idées préconçues qu’elles doivent s’empresser de contrer – elles sont amenées à prouver leurs capacités au lieu de se concentrer, à l’instar de l’homme, sur le processus électoral –, les femmes doivent également franchir un obstacle économique de taille. En effet, pour se présenter aux élections législatives, des sommes d’argent doivent être avancées. Ces sommes ne sont pas accessibles pour tout un chacun, puisqu’elles avoisinent les 300 mille dollars pour parfois s’envoler bien plus haut dans certaines régions. Sur ce plan, l’idée avancée par la Commission électorale présidée par l’ancien ministre Fouad Boutros, qui prône la mise en place d’un quota féminin minimal de 30 % sur les listes électorales qui suivent le mode proportionnel, n’est pas mauvaise, au grand dam des associations féministes qui crient au scandale chaque fois qu’il est question de discrimination positive en faveur de la femme. Cette nouvelle législation, si elle est un jour appliquée, « va permettre d’augmenter la visibilité de la femme », affirme Mme Atallah. « Prenez la discrimination positive en faveur des gens de couleurs, qui a été instaurée aux États-Unis dans les années 60. C’est très probablement grâce à ces mesures que Barack Obama est aujourd’hui l’un des candidats les plus crédibles dans la campagne électorale américaine. Personne n’aurait jamais cru que cela allait un jour être possible », relève-t-elle. La mise en place de ce quota permettra aussi de faciliter le financement des campagnes féminines, en ce sens que les hommes devront impérativement avoir le quota nécessaire sur leur liste pour que celle-ci soit légale. En conséquence, cette participation féminine aura aussi pour effet de « briser » les rouleaux compresseurs en forçant les leaders dans chaque région à intégrer à leur liste, en plus de leurs « lieutenants » directs, des femmes. Une femme en politique est-elle toutefois nécessairement plus tolérante, plus ouverte, comme certains se plaisent parfois à le démontrer ? Sur le plan international, difficile de dire que Tzipi Livni – ministre israélienne des Affaires étrangères – et Condoleeza Rice – secrétaire d’État américaine – sont des modèles de tolérance. « Au contraire, estime-t-on à la NDI, elles sont parfois plus extrêmes que les hommes. Surtout en 2005, après la mort de Rafic Hariri, quand les camps commençaient à se dessiner. » L’opinion politique est-elle donc plus forte que la « solidarité féminine » ? La réponse n’est pas forcément positive : « En 2005, notre workshop a regroupé de nombreuses femmes de tous bords politiques, toutes confessions et partis confondus. Nombreuses sont celles qui sont restées en contact après la fin de l’atelier. Il y avait même un projet de soutenir toutes les candidatures féminines aux élections, venant de tous les bords politiques. Mais cela n’a pas marché, je ne sais pas pourquoi », déclare à cet égard Mirna Atallah. Quel est le profil des femmes qui cherchent à suivre ce genre de formation et qui aspirent à briguer un mandat parlementaire ? « De manière globale, ce sont des femmes qui sont déjà actives dans le domaine public. Elles sont membres d’une ONG ou d’un parti politique et cherchent à accroître leurs possibilités et leur influence », indique Ayman Mehanna. Les femmes membres d’un parti peuvent ainsi contourner les obstacles internes et s’enrichir sur le plan politique en se posant comme partenaires indispensables à l’intérieur du parti auquel elles appartiennent. Même les femmes « héritières » d’un poste politique, à l’instar de Nayla Moawad, Solange Gemayel ou Bahia Hariri – cette dernière était déjà dans la politique avant l’assassinat de son frère –, ont dû surmonter bien des obstacles afin de s’imposer sur la scène politique et prouver à leurs collègues masculins qu’elles étaient parfaitement capables de faire aussi bien, quelquefois mieux, leur travail. Dans un pays comme la France, la femme et ses revendications se sont aussi heurtées à la misogynie de certains députés, en pleine Assemblée nationale. Ainsi, personne n’a oublié la fameuse séance parlementaire de 1975 au cours de laquelle la ministre de la Santé de l’époque, Simone Veil, a présenté le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). C’est sous les huées et les insultes de ses collègues masculins que Mme Veil avait, malgré tout, réussi à faire adopter cette loi. Lélia MEZHER
« Le simple fait d’avoir eu besoin de créer une Journée internationale pour la femme est une honte. Cela signifie que nous sommes une sorte d’espèce en danger, une catégorie de personnes qui sont marginalisées, qui ne font pas en soi partie intégrante de la société », affirmait, excédée, une collègue lorsqu’elle apprenait qu’une page spéciale « Journée...