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Actualités - CHRONOLOGIE

Dialogue d’un violoncelle et d’un clavier De duo en solo, une virtuosité soutenue…

Jamais dialogue entre violoncelle et clavier, de duo bien serré en solo ardent, ne fut plus soutenu dans sa maestria et sa virtuosité autant que ce soir-là au Festival al-Bustan, au public pourtant bien clairsemé. À l’archet du violoncelle Danjula Ishizaka et au clavier Norie Takahashi, tous deux brillants artistes aux origines asiatiques qui ont littéralement médusé l’auditoire par une performance exceptionnelle, sans faille et d’une haute tenue technique d’un programme bien ardu, mais enlevé avec un brio vertigineux… Au menu, éclectique et original, des pages de Beethoven, Samuel Osborne Barber (révélation de la soirée !), J.-S. Bach et Rachmaninov. Vêtue d’un bustier noir piqué de brillant doré avec une longue jupe de satin, bordeaux mordoré, Norie Takahashi a suivi au clavier, bien déterminé à avoir sa part de beauté sonore, les premières mesures données par l’archet de Danjulo Ishizaka, parfaitement à l’aise dans un costume sombre bien taillé très BCBG avec cravate rayée style « Harvard ». Premières mesures de la superbe Sonate op 69 de Beethoven pour trois mouvements alliant toute la force de la mélodie et la puissance des accords du maître de Bonn. Remarquable esprit de synthèse des deux concertistes à l’écoute l’un de l’autre, mais aussi avec une nette propension à l’indépendance dans une exécution musicale qui donne toutes les priorités au bois sous-jacent d’une œuvre habitée par la fièvre romantique et les confidences intimes… Surtout ce scherzo au caractère bien marqué, alliant tendresse émue et passion fatale pour une vélocité à couper le souffle. Si l’archet est saisissant de dextérité, le clavier n’en prouve pas moins, par des accords rageurs, aux allures de terribles morsures, sa singulière présence… Et arrive cette somptueuse Sonate op 26, pour piano, de Samuel Osborne Barber, compositeur américain né en Pennsylvanie, écrite pour Vladimir Horowitz… Alors on imagine la part de virtuosité d’un opus à l’écriture résolument moderne, oscillant entre stridences et « emballées » postromantiques, à l’inspiration de toute évidence nourrie de multiples influences. Des caresses nacrées de Debussy aux éructations et martèlements à la russe (et on pense forcément à l’univers envoûtant de Scriabine et Rachmaninov), la sonate, toute en nuances fortement contrastées, déploie un vif panache scintillant entre énergie débordante, vivacité pétillante, rêverie cotonneuse et une fugue fuyante comme du mercure…Une œuvre splendide, qu’on gagnerait à découvrir surtout pour ses innombrables chatoiements mais aussi pour ses prouesses techniques où les contorsions des doigts et la célérité des rythmes n’ont rien à envier aux pages les plus périlleuses et aux « rubato » du pèlerin polonais… Après l’entracte, place à la solitude nue du violoncelle avec la Suite n° 2 BWV de J-S. Bach. Suite alliant toute l’intensité de l’archet à la simplicité des danses campagnardes de l’époque baroque. Du sens de l’élévation chrétienne de la Renaissance avec ce Prélude à cette volatile « gigue » en passant par la « farandole » d’une « sarabande », le ludique d’une « courante » ou d’une « allemande », l’aimable d’un menuet tout en courbes virevoltantes, le cantor donne au violoncelle la plus élégante et la plus dense des élocutions… Pour conclure, une œuvre incendiaire entre délire poétique et folie d’un esprit habité d’un ténébreux postromantisme aux irrépressibles envolées sentimentales. Et on évoque cette magnifique Sonate pour violoncelle et piano op 19 de Rachmaninov. Sonate en quatre mouvements qui ne laisse aucun répit à l’auditeur. Encore moins aux musiciens. Grandes embardées où le piano a des phrases haletantes, fébriles et hachées. Quant au violoncelle, raclé, sarclé, fouetté, gratté, cravaché, caressé, il laisse échapper de sa boîte magique des sonorités ensorcelantes… Magie à l’état pur avec ces déchaînements intempestifs et fougueux où ni clavier ni violoncelle ne connaissent les limites de leur monde respectif… Une œuvre plus que vibrionnante, au lyrisme échevelé et à la russe. De la pénombre la plus inquiétante à la lumière la plus crue, des accords les plus sourds aux douceurs de propos les plus insoutenables, cette sonate ne cède à aucun des deux instruments la vedette, mais maintient habilement un « climax » tendu jusqu’aux dernières notes, splendide feu d’artifice sur une fournaise constamment et savamment entretenue… Un tonnerre d’applaudissements pour une prestation, sans jeu de mots, à couper le souffle. Révérence des deux jeunes musiciens, alliant en toute modestie et humilité, jeunesse, beauté et talent. Comme pour ne pas quitter ce scintillant tableau sonore entre paradis et géhenne, encore une œuvre, Vocalise, de Rachmaninov. Bien sûr, après l’ouragan de cette sonate, comment aborder d’autres partitions ? Douceur impalpable d’une narration qui s’échappe comme l’essence d’un parfum précieux, à la fois pénétrant et volatile, mais si euphorisant et source de soyeux bien-être… Edgar DAVIDIAN
Jamais dialogue entre violoncelle et clavier, de duo bien serré en solo ardent, ne fut plus soutenu dans sa maestria et sa virtuosité autant que ce soir-là au Festival al-Bustan, au public pourtant bien clairsemé. À l’archet du violoncelle Danjula Ishizaka et au clavier Norie Takahashi, tous deux brillants artistes aux origines asiatiques qui ont littéralement médusé...