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Actualités - CHRONOLOGIE

Conférence de Gérard Charpentier au CCF de Beyrouth sur des constructions antiques bien préservées Sergilla, un village byzantin du nord de la Syrie, admirablement ressuscité

Les « villes mortes » de la Syrie du Nord, comme on les désignait autrefois, se trouvent dans une vaste région comprise entre la frontière turque au nord et Apamée au sud, les vallées de l’Afrin et de l’Oronte à l’ouest et la plaine d’Alep à l’est. Ces villages antiques occupent un ensemble de plateaux calcaires connus sous le nom de « Massif calcaire ». Avec une superficie d’environ 2 000 km2, celui-ci se divise en trois groupes de chaînons : Gebels Simaan et Halaqa au nord, Baricha et Il A’la au centre et Gebel Zawiye au sud. C’est dans ce secteur que se trouve Sergilla, un village byzantin, thème de la conférence que M. Gérard Charpentier, architecte et archéologue à l’IFPO-Beyrouth, a donnée à la salle de conférences du Centre culturel français. Intitulée « Sergilla, un village byzantin du Massif calcaire », la conférence offre surtout une promenade dans les campagnes profondes de la Syrie romano-byzantine. Toutes ces agglomérations, raconte M. Charpentier, révèlent l’existence d’une véritable civilisation rurale, différente de celles des villes ; bien qu’elle s’en inspire parfois. Les mieux conservées sont souvent rassemblées dans des groupes cohérents qui forment des ensembles complets, avec des vestiges étendus des parcellaires antiques. Sergilla regroupe pas moins de quinze villages dont les constructions ont subsisté dans un état proche de l’état antique initial. Il présente une image authentique, dégradée mais non modifiée d’un secteur important des campagnes syriennes aux époques romaines et byzantines. Ce village a été choisi pour être fouillé en raison d’abord de l’excellent état de conservation de ses constructions antiques et de la préservation des secteurs ruinés. Ses dimensions moyennes permettaient également, sinon d’en fouiller, du moins d’en étudier tous les éléments en vue d’une étude monographique complète. Rien ne permet d’affirmer pour autant que Sergilla est un village représentatif dont le développement pourrait reproduire l’histoire générale de l’occupation du Massif calcaire aux époques romaine et protobyzantine. Il existe des caractères propres à chaque microrégion. On constate ainsi que les plus grandes agglomérations villageoises du Massif calcaire sont situées dans le Gebel Zawiye, poursuit M. Charpentier. Le panorama sur les ruines de Sergilla a bien changé depuis une quinzaine d’années grâce aux travaux archéologiques entrepris par la Mission syro-française de la Syrie du Nord, dirigée par les professeurs Georges Tate et Mamoun Abdulkarim, avec le concours de la Direction générale des antiquités et des musées de Syrie. Situés à environ 5 km au sud-est de El Bara, les vestiges occupent la totalité d’un vallon avec ses deux versants orientés nord-sud. Ils se composent en partie de constructions très délabrées dont ne subsistaient que des montants de portes et parfois des linteaux en place. Ces maisons occupent le fond du « wadi » jusqu’aux pieds des versants et appartiennent pour la plupart à la première phase d’occupation. Il s’agit de modestes maisons construites par les paysans eux-mêmes avec des pierres taillées grossièrement et colmatées à la terre. Ces habitations d’époque romaine sont très imbriquées et il est parfois difficile de reconnaître les limites de chaque maison. Certaines ont été partiellement fouillées, d’autres simplement dégagées. Leurs installations correspondraient à la première phase de peuplement des campagnes de la Syrie du Nord tandis que les grands bâtiments, en pierre de taille, appartiendraient à la deuxième phase d’expansion. Ces grandes bâtisses protobyzantines sont implantées à mi-pente et sur le plateau, dans la partie haute du village. Elles sont remarquablement bien conservées, à l’image des thermes et de l’auberge ; deux magnifiques édifices qui se dressent à l’écart des habitations. Un effet saisissant Comme M. de Vogüé autrefois, on accède au site par le Nord. Du premier coup d’œil, le visiteur découvre l’ensemble des vestiges avec, au premier plan, un ensemble de sarcophages groupés à l’est d’une carrière et dont les couvercles légèrement déplacés produisent un effet saisissant. Les tombeaux sont dispersés sur toute la périphérie du village avec une concentration plus importante à l’entrée du site. Dépourvue de mur d’enclos, cette petite nécropole est constituée d’une vingtaine de petits tombeaux disposés selon une même orientation est-ouest. Les deux types d’inhumation y sont représentés ; onze sarcophages, posés sur le rocher ou sur des socles maçonnés, côtoient huit petits hypogées correspondant à des caveaux rectangulaires simples ou à arcosoliums doubles. Ces énormes blocs proviennent d’une carrière située à quelques mètres à l’ouest de la nécropole et récemment dégagée. Les traces laissées par les ouvriers-carriers sont d’une telle fraîcheur que le visiteur peut imaginer aisément le mode d’extraction de ces énormes masses pesant plusieurs tonnes. Le site est, partout ailleurs, truffé de carrières. La roche calcaire, qui affleure en permanence, est taillée pour servir de fondation à la plupart des bâtiments antiques. La majorité des tombeaux de Sergilla est datée du Ve et du VIe siècle en fonction de l’architecture et du décor, y compris les quatre mausolées qui se distinguent par leur monumentalité. On ne peut, affirme l’architecte, qu’admirer la diversité de ces monuments dont chacun reproduit un modèle classique largement diffusé à l’époque romaine. Le premier à visiter avant de descendre vers le centre du village est le plus imposant. C’est un tombeau-temple dont le podium supporte un bâtiment rectangulaire flanqué de pilastres d’angles ornés de chapiteaux à feuilles d’acanthe et contenant trois sarcophages. Les trois autres monuments funéraires sont implantés du côté sud, à une centaine de mètres de grandes maisons situées à la périphérie du village à la limite du terroir. Du côté est, un hypogée est composé de huit caveaux répartis dans deux salles funéraires. On y accédait par un large escalier précédé d’une cour. Au sud, un tombeau à toiture pyramidale est aménagé de trois caveaux à arcosoliums taillés dans la roche et couverts par une série de petites dalles scellées au mortier. Le dernier petit mausolée situé plus à l’ouest est parfaitement conservé dans l’état décrit par M. de Vogüé. Véritable mausolée construit autour d’un hypogée, il est intact et nous pouvons encore admirer le soin particulier apporté à sa couverture en pierre. Des maisons protobyzantines Par-delà des différences de dimensions et d’ornementation, toutes les maisons du Ve et du VIe siècle se ramènent à un type simple composé d’un grand bâtiment, d’un mur de clôture et d’une cour qui comporte une grande citerne creusée dans la roche. Le bâtiment d’habitation et d’exploitation comporte deux à trois pièces en rez-de-chaussée surmontées de pièces à l’étage. Il est parfois précédé d’un portique surmonté d’une galerie à laquelle on accédait par un escalier en bois. Appuyés contre le corps du bâtiment, ces portiques-galeries orientés plein sud sont quasiment tous effondrés ou partiellement détruits. Certaines maisons possèdent des dépendances et parfois des pressoirs comme la grande maison située au nord-est du site. Cette maison, de taille exceptionnelle, est composée de plusieurs édifices richement décorés. Son bâtiment principal se composait de huit salles dont les quatre situées en rez-de-chaussée débouchaient sur une grande cour entièrement dallée. Celle-ci était entourée de plusieurs bâtiments à étages ayant subi de multiples transformations. Les maisons protobyzantines correspondent à une période d’accroissement démographique mais aussi d’enrichissement des villageois. La qualité des chapiteaux et des chancels utilisés dans les portiques sont l’œuvre d’équipes spécialisées que les propriétaires devaient rémunérer. Ceux-ci disposaient donc de surplus qu’ils n’ont pu acquérir qu’en pratiquant une économie tournée vers la vente. Aux pratiques vivrières des années précédentes, ils ont ajouté l’arboriculture (arbres fruitiers, vignes et oliviers), le développement de l’activité de construction et surtout la fabrication de l’huile et du vin dont témoigne un des trois pressoirs du village. Dans ce bâtiment creusé dans la roche sur quatre mètres de profondeur, les villageois produisaient de l’huile et du vin au rythme des saisons. Les installations de la presse à olives sont représentées par une pierre d’ancrage à vis, des recettes à huile et un broyeur à meule. L’aire de foulage est située en dessous d’un orifice aménagé dans le mur et par lequel les vendangeurs jetaient le raisin de l’extérieur. Il faut attendre le passage de H. C. Butler, au début du XXe siècle, pour mieux comprendre l’ensemble ecclésial de Sergilla qu’il restitue dans sa dernière phase d’occupation. Cet important monument est passablement détruit. Il se compose de deux basiliques (une grande et une petite), une cour et un bâtiment dont deux pièces au rez-de-chaussée étaient occupées par des tombes. D’une manière générale, cet ensemble ecclésial comprend trois grandes phases d’occupation : la première église à nef unique fut agrandie pour devenir une basilique à trois nefs dont le sol fut couvert d’un pavement de mosaïque. Ce sanctuaire prit toute son ampleur avec la construction de la basilique sud, à chevet plat. Plus petite, elle comportait également trois nefs que l’on peut aisément restituer. Après son effondrement partiel, elle fut transformée en mosquée, comme en témoigne, dans le mur sud, le Mihrab aménagé avec des blocs de remplois de l’entrecolonnement. Thermes, auberge-hôtellerie et grande citerne collective Les trois monuments les plus remarquables sont situés au fond du Wadi. Il s’agit des bains, de l’auberge-hôtellerie et de la grande citerne collective. Les thermes, construits en 473 de notre ère, comportent une grande salle au nord, flanqués d’une série de salles plus petites au sud disposées en enfilade. La fouille de la salle chaude à hypocaustes a confirmé la présence d’une technique de chauffe empruntée au monde romain : le fonctionnement général est calqué sur le modèle antique avec le passage progressif entre la salle froide, la salle tiède et la salle chaude. Toutefois, de nouveaux aménagements semblent les distinguer des thermes classiques ; la présence d’une douche intégrée dans la petite salle froide, la réduction de la baignoire chaude qui devient individuelle et, enfin, la présence d’une mezzanine supportée par des colonnes dont il reste les bases en place dans la grande salle de déshabillage. Du haut de cette tribune, on pouvait lire une inscription située au centre du pavement de mosaïque relevée par H. C. Butler et aujourd’hui disparue. Elle nous apprend qu’en 473 un villageois nommé Julianos a construit ces thermes à ses frais, pour la gloire de sa Kômé (commune rurale). En revanche, l’approvisionnement en eau de ces thermes paraît plus sommaire. L’eau s’écoulait à partir d’un petit réservoir dans des conduits supportés par des rigoles extérieures taillées de pierre au niveau des fenêtres afin d’approvisionner les bassins d’eau froide et d’eau chaude. Un homme de service devait puiser manuellement dans une grande citerne pour déverser l’eau dans ce petit bassin de réserve. Entièrement creusée dans la roche, elle est entièrement couverte de dalles de pierre disposées en sept rangées et supportées par de grands arcs appareillés. La citerne pouvait contenir plus de 900 mètres cubes d’eau et devait correspondre à grande réserve d’eau destinée à l’usage de la communauté villageoise, y compris l’auberge-hôtellerie située à proximité. L’auberge, dépourvue d’enclos, donne directement sur le village par une portique-galerie dont la façade est parfaitement conservée. Il ne manque, avec les tuiles de couverture, que les éléments en bois dont il reste les traces d’encastrement pour l’installation des planchers, des fermes et de l’escalier. Ce bâtiment comprend une salle de vie et une pièce pour le couchage à l’étage ; le rez-de-chaussée servant d’écurie comme l’indiquent les mangeoires dégagées pendant la fouille. L’intérêt de l’étude d’un village comme Sergilla est de donner des informations sur les campagnes profondes de la Syrie romano-byzantine. Ces campagnes étaient occupées par des paysans laborieux et inventifs qui empruntaient aux villes certains modèles de comportement social. Après avoir rendu un culte à des divinités païennes, ils sont devenus chrétiens et certains d’entre eux ont commencé à se convertir à l’islam, peu avant l’abandon progressif mais durable des villages.
Les « villes mortes » de la Syrie du Nord, comme on les désignait autrefois, se trouvent dans une vaste région comprise entre la frontière turque au nord et Apamée au sud, les vallées de l’Afrin et de l’Oronte à l’ouest et la plaine d’Alep à l’est. Ces villages antiques occupent un ensemble de plateaux calcaires connus sous le nom de « Massif calcaire ». Avec...