Rechercher
Rechercher

Actualités

Festival al-Bustan - Anna Vinntskaya et Plamena Mangova, deux pianistes virtuoses Éblouissant et impétueux lyrisme à la russe…

Un moment hors du temps où le clavier a toutes les éloquences. Une éloquence habitée de féerie, de tourmente, de poésie, de bravoure, de maestria et d’un impétueux lyrisme où le déchaînement et la fièvre des passions, à la russe, ont le vent en poupe… À l’auditorium Émile Boustani, sous les doigts agiles des deux jeunes pianistes virtuoses, Anna Vinntskaya et Plamena Mangova, véritables tempéraments au clavier, la musique a résonné avec un éclat, une sensibilité, une force, un souffle et une puissance particuliers. Pour donner la réplique à cette prestation de haute technicité pianistique, l’Orchestre symphonique national libanais, au grand complet et injecté de quelques nouveaux musiciens, placés sous la houlette du brillant et non moins jeune Dmitri Jurowski. Une soirée marquée du sceau des grands accords flamboyants et des arpèges écumants comme des lames de fond où grâce à deux éruptives partitions de Prokofiev et Tchaïkovski, l’auditoire, bien nombreux et religieusement à l’écoute, a été emporté vers des rives heureuses. Des rives où paradoxalement, soleil et tempêtes de neige voisinent admirablement, dans une insoupçonnable harmonie… Ouverture avec le Concerto n° 2 de Serge Prokofiev, l’enfant terrible de la musique russe, avec, aux commandes des touches d’ivoire, Anna Vinntskaya aux longs cheveux roux dénoués sur un ensemble noir avec chemisier en dentelle et longue jupe bouffante en satin et gaze. Quatre mouvements (andantino, vivace, allegro moderato et allegro tempestoso) pour traduire toute la fougue, l’impétuosité, le caractère ondoyant et le feu d’une myriade de notes vibrantes (et vibrionnantes) de vie et criantes de modernité. Si le Concerto n° 1 de Prokofiev avait provoqué controverse et sensation, le Concerto n° 2, lors de sa première en 1913, fit littéralement scandale. Scandale par cet aspect hérissé et strident d’une composition qui n’avait pas encore passé le provocant cap des audaces et originalités contemporaines. Mais aujourd’hui, avec les innombrables explorations sonores de tous crins, presque un siècle plus tard on savoure et on se délecte de cette brillante narration, devenue au fil du temps un sage classique avant-gardiste, où les solos de piano, véritable terrain de glisse pour des non-initiés, restent quand même de périlleux passages pour des artistes trop téméraires à s’attaquer à l’une des œuvres les plus ardues du répertoire pianistique… Performance maîtrisée et à couper le souffle d’Anna Vinntskaya, la jeune championne des touches d’ivoire qui semblait parfaitement à l’aise dans ces éblouissantes pages aux accords rougeoyants et aux chromatismes aux allures de martèlements guerriers. Avec la confondante tendresse annonçant ce magnifique pas de deux de Roméo et Juliette qu’on perçoit au détour d’un allegro sinueux et vif… Tonnerre d’applaudissements d’un public médusé par un jeu hypnotique et sans faille. En bis, comme une furtive et voluptueuse caresse, la poudre d’or de cette soyeuse Pavane de Ravel… Après l’entracte, place à l’univers enchanté et enchanteur, entre chimère et déception, entre tourmente et élans fous d’espoir, entre part de géhenne et sens de l’élévation, du Concerto n° 1 de Piotr Ilitch Tchaïkovski, le plus cosmopolite des compositeurs russes. Virtuosité sans frontières et voltige de redoutable trapèze sur les touches d’ivoire, pour un des opus les plus joués au monde, malgré ses innombrables difficultés techniques dont triomphe, en toute précision et légèreté aérienne, Plamena Mangova, charmante figure de poupée slave à l’opulence physique « botérienne », tout en noir entre guipure et mousseline scintillantes… Premières mesures fermes, majestueuses et menaçantes suivies des accords incandescents d’un piano habité par la rage de tout dire, de tout cracher, de tout brûler, mais aussi de révéler, dans une insoutenable douceur, les moments d’une infinie tendresse, les rêves secrets d’une vie aux aurores boréales… Un concerto boudé d’abord en 1875 par Nicholas Rubinstein (qui reviendra quand même plus tard sur ses jugements un peu hâtifs !) et que le public a mis un peu de temps à découvrir… À découvrir surtout cette inépuisable richesse sonore et ce bouillonnement intérieur, tel un volcan en colère, d’un compositeur miné par la tourmente de vivre en pleine lumière. Aujourd’hui, cette œuvre-monument est considérée comme un des opus les plus « héroïques » à être interprété. Aussi bien du point de vue pianistique qu’orchestral. Inspirée et musicienne dans l’âme, Plamena Mangova lui restitue sa part de beauté absolue par un jeu subtil, d’une qualité de toucher remarquable où sentiments, nuances et intensité se répartissent en tonalités mesurées et démesurées à la fois. Une nouvelle trombe d’applaudissements pour une prestation au-dessus de tout éloge même si certains passages sont éraflés par la tornade de cet ouragan… En bis, un opalescent Nocturne de Grieg où la nuit est d’un velours tissé de magie par des notes plus luisantes que des lucioles qui palpitent… Pour prolonger la féerie de cette soirée exceptionnelle, les vœux les plus secrets ont été exaucés. Et, sans ironie aucune, même au-delà… Qui parmi les auditeurs présents n’a pas rêvé d’un moment privilégié, avec piano à quatre mains, réunissant ces deux pianistes haut de gamme ? Et voilà, pour un bonus inespéré, dans un dernier bis, sous l’ovation insistante du public, maestro Dmitri Jurowski, pris en sandwich entre les deux pianistes, interpréter une Romance de Rachmaninov à six mains… C’est ce qu’on appelle, sans nul doute, un pur bonheur impromptu… Edgar DAVIDIAN
Un moment hors du temps où le clavier a toutes les éloquences. Une éloquence habitée de féerie, de tourmente, de poésie, de bravoure, de maestria et d’un impétueux lyrisme où le déchaînement et la fièvre des passions, à la russe, ont le vent en poupe… À l’auditorium Émile Boustani, sous les doigts agiles des deux jeunes pianistes virtuoses, Anna Vinntskaya et Plamena Mangova,...