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Si une éruption de violence est toujours possible, elle n’est pas inéluctable, estime Florian Bieber, spécialiste des Balkans Kosovo, les conséquences d’une indépendance Propos recueillis par Émilie SUEUR

S’agissait-il d’un exutoire nécessaire et limité aux frustrations des Serbes ou d’un avant-goût des conséquences de l’indépendance du Kosovo ? Jeudi soir, à Belgrade, quelque 200 000 personnes ont répondu à l’appel à manifester du Premier ministre nationaliste serbe Vojsilav Kostunica et du parti d’extrême droite de Tomislav Nikolic. Si, dans un premier temps, la manifestation s’est déroulée pacifiquement, elle s’est achevée dans la violence, les opposants à l’indépendance du Kosovo, chauffés par le discours enflammé de M. Kostunica, s’attaquant à plusieurs ambassades. Leur cible principale, l’ambassade des États-Unis, l’un des premiers pays à avoir soutenu puis reconnu l’indépendance de la province à majorité albanophone, a été incendiée. Pour Florian Bieber, conférencier à l’Université de Kent et spécialiste des Balkans, si un scénario catastrophe n’est pas à exclure, les effets de l’indépendance du Kosovo devraient toutefois être limités. Éruption de violence, sécession des provinces serbes, effet domino ou passage en douceur ? Si le président américain a estimé, après la proclamation unilatérale d’indépendance du Kosovo, que cette démarche apportera « la paix » dans la région, la Russie, alliée de la Serbie, a mis en garde contre « une nouvelle guerre dans les Balkans ». Quelques jours après cette mise en garde russe, une manifestation contre l’indépendance du Kosovo dégénérait en émeute dans les rues de Belgrade, la capitale serbe. « Les manifestations et émeutes de Belgrade sont le reflet de l’importance que l’élite politique a accordée au Kosovo ces dernières années. Alors qu’après la chute de Slobodan Milosevic, le Kosovo ne suscitait que peu d’intérêt et de passion en Serbie, avec le temps, ce dossier est devenu central dans la rhétorique d’une grande partie de la classe politique serbe », souligne Florian Bieber, conférencier à l’Université de Kent. « Alors que l’indépendance du Kosovo semblait inéluctable depuis un certain nombre d’années, la proclamation effective de cette indépendance a créé un choc. Avec, pour conséquence, une résurgence des frustrations nationalistes et un sentiment, au niveau de la population serbe, d’être victime. À cela s’est ajouté l’opportunisme de certains qui ont profité de l’atmosphère générale pour casser et voler », ajoute l’expert, en référence aux dérapages qui ont eu lieu à Belgrade. Si l’on ne peut exclure que la situation dégénère rapidement, Florian Bieber ne pense toutefois pas que ce scénario soit le plus probable. « L’indépendance a été bien préparée par la communauté internationale et par les troupes de la KFOR », rappelle-t-il. Une partition douce Outre les violences, se pose la question d’une éventuelle partition des provinces serbes du Kosovo. Les postes-frontières séparant la Serbie et le Kosovo ont d’ailleurs été la cible de plusieurs attaques depuis la proclamation d’indépendance. À Mitrovica, dans la partie nord du Kosovo, densément peuplée de Serbes, ces derniers manifestent quotidiennement pour réaffirmer la souveraineté de Belgrade sur leur ancienne province. « Si une partition n’est pas à exclure, je pense qu’un tel scénario prendrait la forme d’une partition douce. Les Serbes n’ont pas intérêt à une partition dure qui reviendrait à une reconnaissance de l’indépendance du Kosovo. Il est préférable pour eux de maintenir une partition de facto », note M. Bieber. Une approche partagée par les Kosovars. « Ils n’ont pas intérêt à renoncer à cette région. Je ne m’attends donc pas à une partition formelle, mais peut-être à une partition de facto, ajoute le spécialiste des Balkans. Il faut en outre faire une distinction entre les Serbes du Nord et les Serbes du reste du Kosovo ». « Ceux du Nord sont très intégrés à la Serbie. Leurs salaires, par exemple, sont payés par Belgrade. Les Serbes de l’Est sont beaucoup mieux intégrés au Kosovo. Ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas survivre en étant seulement connectés à la Serbie. Ils sont beaucoup plus pragmatiques. » L’autre menace, régulièrement invoquée par les opposants à l’indépendance du Kosovo, est celle de l’effet domino, à savoir l’émergence de nouvelles revendications indépendantistes. « Je ne pense pas que nous allons voir ce genre de problème, estime néanmoins Florian Bieber. En ce qui concerne les provinces telles que l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud ou encore Chypre du Nord, ce sont des régions qui recherchent depuis longtemps une reconnaissance internationale pour une éventuelle indépendance. Or, elles ne l’obtiennent pas. Le Kosovo ne va pas changer grand-chose à cet égard ». Tout en rejetant la proclamation de l’indépendance du Kosovo, Moscou a, en outre, laissé entendre qu’il ne reconnaîtrait pas une éventuelle proclamation unilatérale d’indépendance de la part de l’Abkhazie ou de l’Ossétie du Sud. « La Russie sait que pour qu’une indépendance soit reconnue, elle doit l’être par un grand nombre de pays. Et cela ne se produira pas en ce qui concerne l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud », affirme M. Bieber. Si l’effet domino devrait être contenu au niveau des provinces indépendantistes, « l’indépendance du Kosovo pourrait néanmoins entraîner une recrudescence des mouvements rebelles », souligne l’expert. Avec un risque infime, toutefois, qu’ils mènent à des sécessions effectives ou à des indépendances. Entre nationalisme et aspirations européennes Politiquement, la réaction de Belgrade à l’annonce de l’indépendance du Kosovo est plus complexe. Si elle a été rejetée par toutes les parties, les suites politiques à donner à l’affaire sont envisagées de manière différente selon les acteurs. Des points de vue divergents qui ont été mis en exergue lors de la manifestation de jeudi soir à Belgrade. Le Premier ministre Kostunica a ainsi rallumé les feux du nationalisme, promettant à la foule de manifestants que « personne, en Serbie, n’aura jamais le droit d’autoriser » l’indépendance du Kosovo. L’ultranationaliste Nikolic, candidat malheureux à la présidentielle du 3 février, a renchéri, assurant que les Serbes « ne connaîtront pas de repos tant que le Kosovo ne sera pas revenu sous le contrôle de la Serbie ». Le président serbe, Boris Tadic, qui vient de débuter son second mandat, joue, pour sa part, la modération. Souhaitant clairement garder ses distances avec la manifestation des ultranationalistes, c’est de Bucarest qu’il s’est exprimé jeudi soir. S’il a clairement rejeté l’indépendance du Kosovo, il a assuré que la Serbie « ne s’engagera pas dans la voie de l’isolement » et qu’elle « ne renoncera pas à son avenir en Europe ». Et ce malgré le fait que les principaux pays européens, parmi lesquels la France, l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni, aient reconnu l’indépendance du Kosovo. « Je ne pense pas que la Serbie va couper les liens avec les pays ayant reconnu le Kosovo. La Serbie ne peut pas se permettre une telle politique, car de grands pays ont reconnu l’indépendance. La Serbie pourrait, en revanche, maintenir des relations diplomatiques de bas niveau avec certains pays », estime M. Bieber. Belgrade a d’ailleurs déjà rappelé ses ambassadeurs dans un certain nombre de pays ayant reconnu le Kosovo. « La grande question reste toutefois celle de l’intégration européenne. Une partie du gouvernement ainsi que les radicaux refusent cette intégration. Certes, le Parti démocrate et les réformistes ont remporté les dernières élections, mais ils n’ont pas la majorité au Parlement, rappelle le spécialiste. Et si des élections étaient organisées aujourd’hui, il est tout sauf assuré qu’ils les remportent. Les proeuropéens ont donc une marge de manœuvre très limitée. » Une situation difficile dont sont conscients les leaders européens, puisque le Premier ministre italien, Romano Prodi, a jugé utile de déclarer, mardi dernier, que la Serbie « ne doit pas se sentir abandonnée ». Pour l’Union européenne, la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo représente également un défi interne puisqu’elle n’a pas été capable de se prononcer d’une seule voix sur la reconnaissance du Kosovo. L’Espagne, Chypre, la Grèce, la Slovénie, la Bulgarie et la Roumanie refusent en effet de reconnaître l’indépendance. « La division des Européens sur la question de la reconnaissance de l’indépendance était prévisible. Toutefois, on a tendance à oublier un point important : l’Union européenne a soutenu à l’unanimité l’envoi d’une mission au Kosovo », rappelle le spécialiste des Balkans. La veille de la proclamation d’indépendance, les Vingt-Sept ont formellement donné leur feu vert au déploiement de 2 000 personnes dans le cadre d’Eulex, une mission de police et de justice visant à accompagner le processus d’indépendance. « Cela est un point essentiel pour permettre l’émergence d’un État kosovar fonctionnel. En outre, les grandes puissances ont toutes reconnu l’indépendance, souligne M. Bieber. Par ailleurs, je m’attends à ce que les autres pays européens finissent par reconnaître, à terme, l’indépendance du Kosovo. »
S’agissait-il d’un exutoire nécessaire et limité aux frustrations des Serbes ou d’un avant-goût des conséquences de l’indépendance du Kosovo ? Jeudi soir, à Belgrade, quelque 200 000 personnes ont répondu à l’appel à manifester du Premier ministre nationaliste serbe Vojsilav Kostunica et du parti d’extrême droite de Tomislav Nikolic. Si, dans un premier temps, la...