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Actualités - REPORTAGE

Football et politique : une étrange et étroite liaison Dossier réalisé par Lélia MEZHER

Dans le contexte politique actuel, excessivement exacerbé, les matchs de football sont organisés sans que le public soit autorisé à y assister. Mais quelle place réserve réellement le Liban au football, et quelles sont les conséquences de l’exacerbation politique et confessionnelle sur ce sport, pourtant ancrée dans la conscience collective des Libanais puisque, à chaque championnat international, les drapeaux des différents pays et équipes fleurissent aux balcons des habitations dans les différentes régions du pays ? Selon certaines sources, les incidents du dimanche 10 février dans le secteur Ouest de la capitale ont été causés par des fans libanais d’une équipe de football égyptienne qui célébraient la victoire du club égyptien dans les rues de Beyrouth. L’Égypte venait en effet de remporter un championnat africain. Les supporters libanais étaient en train de traverser la ville à bord de convois, puis l’atmosphère festive a rapidement dégénéré en escarmouches entre ces supporters – également sympathisants de la majorité au pouvoir – et des partisans de l’opposition. Toute nation naissante cherchant à affirmer sa souveraineté et son indépendance fraîchement acquise crée rapidement sa propre équipe de foot. Ainsi, les États nations naissants qui désirent s’affirmer et aspirent à la reconnaissance internationale s’empressent de créer une équipe de football compétitive qui va apparaître comme un élément d’identification collective, de cohésion nationale et de promotion du « groupe », aussi important qu’un drapeau ou que les hymnes nationaux chantés en ouverture des rencontres sportives. Certaines interprétations indiquent par exemple que le bleu italien, toujours arboré par la célèbre équipe italienne Squadra azzurra, ne serait rien d’autre que le bleu dynastique de la maison royale de Savoie, à l’origine du processus d’unification politique qui donna naissance à l’Italie unie, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Créer une équipe nationale de football peut aussi souvent être un premier pas vers l’indépendance, ce qui explique les répercussions politiques très importantes de ce genre de décisions. Dès sa création, la FIFA – Fédération internationale de football, association fondée à Paris en mai 1904 – a été confrontée, dès 1906, à de très graves questions politiques mettant en cause les grands équilibres fondamentaux existant alors entre les grandes puissances politiques et militaires de l’époque. Ainsi, la célèbre affaire de Bohême atteste de l’étrange, quoique étroite, liaison qui existe entre ce sport et la politique. Football et politique internationale… Lors de la naissance de la FIFA, il fut décidé que chacune des fédérations nationales était souveraine dans la gestion de ses activités administratives et sportives dans son pays. Il n’y aurait donc qu’une seule fédération par pays, mais dès 1906, l’« affaire de Bohême » remit en question ce principe qui paraissait pourtant simple à respecter. La Bohême – l’équivalent aujourd’hui de la République tchèque – faisait alors partie de l’empire austro-hongrois. Cette région était cependant traversée par un puissant mouvement d’affirmation nationale, ses populations slaves désirant alors obtenir une plus large autonomie. Ces populations avaient constitué une fédération de Bohême qui posa sa candidature pour adhérer à la FIFA. Cette dernière décida de reconnaître trois fédérations à l’intérieur de l’empire austro-hongrois : Autriche, Hongrie et Bohême. Or une telle décision n’allait pas sans poser quelques problèmes politiques. En effet, autant le royaume de Hongrie bénéficiait bel et bien d’un statut d’autonomie, autant la Bohême était officiellement une possession autrichienne ne disposant nullement d’un statut politique similaire… La décision de la FIFA de reconnaître l’autonomie sportive de la Bohême suscita donc une réaction extrêmement violente de la part des autorités impériales austro-hongroises qui s’inquiétèrent très officiellement de ces « encouragements internationaux donnés ainsi à une cause séparatiste, menaçant là l’intégrité de la monarchie danubienne ». Puis, à la suite d’une vigoureuse contestation portée par la fédération d’Autriche jusqu’aux plus hautes instances internationales de la FIFA, la fédération de Bohême fut finalement supprimée en 1907. Le foot au Liban : repères historiques Le football fut introduit au Liban dans les années 1900. « En 1908, la première équipe de foot fut créée: Jamyiat al-alaab al-riyadiya par d’anciens élèves du Collège protestant, puis des rencontres commencèrent a être organisées entre des équipes de marins étrangers et des équipes universitaires de Beyrouth », raconte à cet égard Antonio Soutou, jeune chercheur qui se consacre au lien qui unit le football à la politique depuis quelques années déjà. Après la Première Guerre mondiale, le football est très apprécié des soldats français et dans la communauté chrétienne locale. Les premiers clubs libanais sont fondés dans les années 1920, mais il faudra attendre 1933-1934 pour que soit organisée la toute première saison du championnat libanais de football. Les clubs sont alors formés selon les villes, les communautés ou les différentes religions. Parmi les clubs importants, ceux de Tripoli au Nord, de Saïda et de Tyr au Sud. Il y a aussi l’équipe de la Jeunesse catholique, créée quelques années après la Première Guerre mondiale par Pierre Gemayel qui, grand amateur de sport, fondera et présidera dans les années 30 la Ligue libanaise de football. En 1934, le premier championnat libanais de football sera remporté par le club al-Nahda, et en 1936, le Liban se verra affilier à la FIFA. La Coupe des clubs est quant à elle lancée en 1938. Dans les années 70, les joueurs libanais se défendent plutôt bien : en 1974, le club al-Nejmeh Beyrouth remporte même une victoire face au champion de l’URSS Ararat Erevan. Anecdote : c’est également en 1974 que Pelé, le célèbre joueur brésilien (qui cette année-là faisait une pause dans sa carrière), joue avec al-Nejmeh. Avec le début de la guerre en 1975, le championnat sera suspendu et durant la guerre civile – divisions communautaires oblige –, deux fédérations de football verront le jour. Ce n’est qu’en 1985 que la fédération libanaise retrouvera son unité. En 1990, le premier championnat de l’après-guerre sera organisé, mais le niveau des joueurs est au plus bas. De 1990 à 2001, c’est le club al-Ansar qui restera champion du Liban. Malgré cette stagnation, en l’an 2000, la 12e Coupe d’Asie des nations est organisée par le Liban. Ce projet implique la construction de grands stades : la Cité sportive Camille Chamoun à Beyrouth est rénovée, et les stades olympiques internationaux à Tripoli et Saïda voient le jour. La Cité sportive de Beyrouth peut accueillir au total 57 000 personnes, les stades de Tripoli et Saïda entre 20 000 à 30 000 personnes chacun. Il existe une dizaine d’autres stades dans toutes les régions du pays. Ces infrastructures ont renforcé la pratique et la popularité du football au Liban. Après l’an 2000, on comptabilisait 21 912 joueurs inscrits à la fédération, 300 000 joueurs pratiquant sans être inscrits, 5 000 jeunes joueurs, 62 joueurs professionnels, 174 clubs officiels et 2 070 clubs non officiels. Un sport de tout temps lié à la politique Mais il reste que le football est régulièrement « contaminé » par la politique. Les heurts réguliers entre supporteurs, qui se hurlent des insanités et finissent pas en venir aux mains, ont souvent nécessité l’intervention des forces de l’ordre. Ces clashs ont souvent pour toile de fond des différences communautaires, religieuses, qui n’ont par ailleurs aucune place au sein du football. Cependant, rien n’a été fait pour éviter ce type d’incidents, tant et si bien qu’en 2005, la fédération libanaise décide que désormais, les matchs se tiendront sans spectateurs. Or, un match dans un stade vide n’a aucun intérêt. Durant la coupe d’Asie, les stades étaient vides – cette fois par manque d’intérêt des spectateurs, dû a une mauvaise organisation et une campagne médiatique insuffisante –, ce qui a fait dire au secrétaire général de la Coupe d’Asie, Dato Velapan, que « ces lieux ne sont pas des stades, mais des cimetières ». Comment expliquer cette attitude libanaise qui oscille entre le manque total d’intérêt et le fanatisme extrême qui a entraîné la fermeture pure et simple des stades au public ? Ce jeu international, avec le pouvoir de séduction qu’il exerce sur le peuple et son symbolisme manifeste, véhicule fortement une idéologie politique. Or, le Liban de l’après-guerre est un pays qui croule sous le joug de la tutelle syrienne, avec tout ce que cette situation a entraîné comme limitations au niveau des libertés publiques. Cette absence de liberté entraîne ainsi un désintérêt total pour les matchs locaux, même si, au niveau de l’infrastructure, le football libanais se dote, aux alentours de la Coupe d’Asie, de trois stades olympiques flambant neufs. La tutelle syrienne et ses instruments internes auraient pu se servir du football comme le faisaient les dictateurs fascistes qui s’en servaient comme un outil d’exaltation nationale et de propagande, notamment dans les années 30. Ces dirigeants voyaient le sport, et notamment le football, comme un moyen d’intensifier le sentiment de supériorité nationale. Mussolini utilisait le football, et en particulier le fait que l’Italie était le pays organisateur de la Coupe du monde 1934, à d’importantes fins politiques. Les allégations selon lesquelles il aurait donné des pots-de-vin à l’arbitre de la finale Italie-Tchécoslovaquie continuent de peser sur le patrimoine du tournoi. La victoire à la Coupe du monde a avivé la ferveur nationale et par là même, renforcé le pouvoir du régime. De même, Hitler considérait le football comme un élément extrêmement important dans la perception de son régime et l’a utilisé à son avantage en envoyant son équipe nationale jouer à Londres contre l’Angleterre en 1938. Ces deux exemples, bien que célèbres, ne sont pas isolés car l’association de la politique avec le football est une tradition bien enracinée et a été exploitée par maintes figures, de Perón à Khadafi (source : Café Babel, du football comme tactique politique). Des joueurs réduits à calmer un public enragé Pour en revenir à l’époque de la tutelle syrienne, le football libanais, livré à lui-même et morcelé encore plus par les divisions communautaires qui sévissent dans le pays, a subi une grave décadence, comme en témoigne une star du football libanais et capitaine de équipe al-Nejmeh, Hussein Daher. Celui-ci se rappelle de son enfance et du temps où il rêvait de devenir footballeur professionnel. « J’ai commencé à jouer très jeune, souligne-t-il. À 13 ans, je jouais à l’école, comme tous les petits garçons. Puis un jour, un de mes cousins m’a emmené assister à un match de l’équipe al-Ansar. Il voulait que je rejoigne ce club, mais bizarrement, l’atmosphère qui y régnait ne m’a pas attiré. Lorsque je suis allé un peu plus tard assister à un match du club Nejmeh, ça a été une révélation. J’ai senti que j’appartenais à cette équipe. Depuis lors, mon rêve a été d’intégrer cette équipe. » Aujourd’hui, même s’il vit bien, Hussein indique qu’il est un des rares à avoir cette chance. De plus en plus, le football se perd et pour lui, la faute est indéniablement celle du gouvernement, de l’État en général, qui ne fait rien pour soutenir ce sport. « Depuis la saison 2005, les matchs se jouent sans spectateurs », relève-t-il. La raison ? « Les supporters se taperaient dessus. D’ailleurs, je me souviens d’un match – que Nejmeh a finalement remporté – mais qui a été un cauchemar pour les joueurs et moi. Nous en étions réduits à calmer les tribunes, alors que nous sommes supposés nous concentrer sur le match. Entre deux passes, je me tournais vers les tribunes et je faisais des gestes de la main pour les pousser au calme. Pourtant, Nejmeh a été adulé depuis sa création, non seulement par les Libanais, mais aussi par beaucoup d’Arabes. Je connais un Émirati qui venait de Dubaï juste pour un jour afin d’assister au match. Un de mes amis proches est arrivé en retard à son mariage parce qu’il y avait une retransmission en direct d’un match d’al-Nejmeh. » Les problèmes ont en fait commencé en 2005, lorsque le public du club al-Nejmeh a commencé à ne plus se tolérer. En effet, les supporters de ce club appartiennent en grande partie à la communauté musulmane, et avant les évènements de 2005, il n’y avait jamais eu de problèmes entre eux. Mais il y eut soudain des différences, des divergences politiques sunnito-chiites sorties de nulle part. Et cela se répercuta inévitablement sur l’atmosphère dans le public. Les propos tenus durant le match, « au lieu de s’adresser aux joueurs en tant que sportifs », souligne Hussein, devenaient proprement insultants à leur égard, « pour des motifs purement politiques et confessionnels ». « Lors de ce fameux match où j’ai été condamné à calmer le public, je me rappelle que celui-ci ne nous regardait plus. Les supporters se hurlaient des grossièretés entre eux, sans se soucier du tout de ce qui se passait sur la pelouse du stade. » Hussein insiste sur le fait que son club est constitué de joueurs de divers horizons, de communautés différentes. « Il n’y a jamais eu de problèmes entre nous », souligne-t-il ainsi. Au niveau de l’administration du club, ressent-il parfois qu’il existe une tentative de se servir de l’équipe comme d’un outil politique ? « Oui, cela se ressent quelquefois », répond Hussein Daher. Il hésite à s’aventurer plus loin et à expliquer comment il a bâti cette impression puis ajoute : « Quelquefois, on essaie de “récupérer” les joueurs politiquement. On présume que s’ils appartiennent à ce club, cela veut dire qu’ils ont telles affinités politiques. Mais ce n’est pas vrai. Notre équipe n’est pas lisse, incolore. Nous sommes des hommes libres et chacun a son opinion sur ce qui se passe aujourd’hui dans le pays. » Comment réagit-il lorsque de telles doléances sont formulées par la direction du club ? « J’essaie toujours d’éviter les clashs, mais je ne permets pas qu’on soumette ce jeu à la politique, qu’on l’instrumentalise. » Mais nous n’aurons pas plus de détails à cet égard.
Dans le contexte politique actuel, excessivement exacerbé, les matchs de football sont organisés sans que le public soit autorisé à y assister. Mais quelle place réserve réellement le Liban au football, et quelles sont les conséquences de l’exacerbation politique et confessionnelle sur ce sport, pourtant ancrée dans la conscience collective des Libanais puisque, à chaque championnat...