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Actualités - OPINION

La crise libanaise et ses conséquences II- Impasse symptomatique

La majorité et l’opposition n’ont toujours pas réussi à s’entendre. Le problème apparent est qu’il n’y a pas moyen de réconcilier les exigences des uns et des autres, ces exigences étant contradictoires. Dans ces conditions, la question qui se pose est la suivante : « Pourquoi nous obstiner à réaliser l’impossible ? » La réponse la plus obvie est que nous ne comprenons pas qu’il y a des questions politiques sur lesquelles il n’y a pas moyen de nous entendre. Nous comprenons cela plus aisément quand il s’agit de questions religieuses. J’ajouterais que les différences religieuses ne sont pas régies par la règle du choix libre et délibéré, mais par des circonstances qui ne dépendent pas de nous et qui font des uns des musulmans et des autres des chrétiens (Voir L’Orient-Le Jour du 29 janvier 2008). Dans le domaine idéologique, la réflexion de Pascal est parfaitement vraie : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Les questions idéologiques ne se discutent pas, non seulement quand elles sont de nature religieuse, mais même quand elles sont de nature politique. Le Libanais est non seulement un animal politique ; c’est un animal qui devient fanatique et intolérant, dès qu’il se sent en danger. Il se considère alors comme le nombril du monde. Il pense que « les autres » sont des démons dangereux et qu’ils ne deviennent des hommes que s’ils partagent ses préjugés. Il voit tout en noir et blanc, vrai ou faux, absolument vrai et absolument faux. Il pense avec ses sentiments qui se situent partout ailleurs que dans le cerveau. Cela fait que le pauvre cerveau n’a aucune prise sur notre comportement individuel et collectif. Nous faisons des passions les plus sauvages nos dieux. Nous sommes parfaitement normaux dans bien des domaines. Mais il y a des domaines où nous en restons à un stade prérationnel et préhumain. Nietzsche considère ce stade « humain, trop humain. » Nous avons besoin d’une révolution culturelle qui ferait de nous des hommes plus raisonnables et plus sages. Il faut que nous dépassions le stade de la sorcellerie dans la gestion de nos affaires politiques. Dans bien des domaines, la règle du gouvernement par consensus doit céder la place à la règle de la neutralité. La différence est bien simple. Le consensus n’est possible que par rapport aux questions sur lesquelles nous pouvons faire des compromis sans compromettre nos principes. Les questions politiques les plus banales tombent dans cette catégorie. Ce sont les principes idéologiques qui n’admettent pas de compromis et qu’il faut traiter comme on traite les questions religieuses. Ces questions-là, on ne peut que les tolérer, tout simplement parce que ceux qui en souffrent ne peuvent ni les contrôler ni les changer. La règle de la neutralité Il faut respecter leurs principes sans pour autant les imposer à la nation tout entière. La règle de la neutralité prendra la forme d’une législation nationale qui respecte la différence sans pencher ni d’un côté ni de l’autre. L’État refusera d’entrer dans un débat qui ne peut être résolu ni par les principes religieux ni par les principes idéologiques. Cela s’applique à l’orientation politique qui reste incontrôlable parce qu’elle se fonde sur des principes idéologiques. Dans un pays comme le Liban où l’orientation politique est hautement idéologique et prérationnelle, et où elle prend la forme de passion sauvage, la sagesse la plus élémentaire exige une neutralité dans le comportement de l’État, que ce soit dans sa politique intérieure ou dans sa politique extérieure. Les idéologies qui se font la guerre dans le monde et tout particulièrement dans notre région sont pour le Liban une peste mortelle. Il faut que l’État s’en protège avec la plus grande fermeté. Le Liban ne peut survivre qu’en adoptant une politique de stricte neutralité par rapport aux courants idéologiques qui existent à l’étranger ou à l’intérieur du pays. Voilà la condition sans laquelle il n’y a pas d’indépendance. On nous rétorque que cette prescription n’est pas réaliste, puisque nos voisins et les grandes puissances ne nous laissent pas tranquilles. Ils s’ingèrent dans nos affaires, que nous le voulions ou non. Cela est d’autant plus vrai qu’ils trouvent des partenaires convaincus auprès des Libanais eux-mêmes. Ni sur le plan intérieur ni sur le plan extérieur, pensent-ils, une telle neutralité n’est possible. Cette objection est de taille. Elle se fonde sur les données les plus visibles. Que convient-il d’en penser ? Je dirais tout d’abord que la règle de la neutralité s’impose à moi sur le plan théorique. J’invite donc ceux qui la trouvent irréalisable à discuter, en premier lieu, la logique sur laquelle je me base. Nous passerons ensuite à son application pratique. Sur le plan théorique, les choses sont simples. Ou bien nous nous obstinons à réaliser la quadrature du cercle, ou bien nous en reconnaissons l’impossibilité. Nous obstiner à faire l’impossible me paraît bête. La seule façon de surmonter cette impossibilité, c’est de faire appel à « une quelconque intervention extraordinaire dans l’histoire ». Nous avons cru pour longtemps au miracle libanais. Est-ce que nous y croyons encore ? Passons maintenant à la question de la réalisation de la neutralité idéologique. Je reconnais que les pressions sont formidables, qui viennent de l’extérieur comme de l’intérieur libanais. Le fait de céder si docilement à ces pressions fait que nous sommes de moins en moins indépendants et de plus en plus réduits en esclavage. À quoi sert-il de célébrer notre indépendance de la tutelle française si nous nous laissons démanteler par les idéologies qui se font la guerre dans la région ? Notre indépendance restera une réalité abstraite et chimérique. Il faut que nous parvenions à nous tenir sur nos pieds et par nos propres moyens (sans l’aide de béquilles en provenance de l’étranger). Je reconnais que cela représente pour nous un grand défi. Tel un paralytique qui ne peut pas se passer de ses béquilles, nous refusons de nous soumettre à une thérapie qui peut nous guérir, mais qui exige de grands efforts. Il n’y a pas de thérapie sans douleur. Une autre analogie me vient à l’esprit : les drogués utilisent la drogue comme une béquille sans laquelle ils ne peuvent pas fonctionner. L’idéologie politique agit sur nous comme une drogue. Il n’est pas facile de surmonter notre dépendance, mais cela n’est pas impossible. Les autres ne cesseront pas de nous proposer leurs drogues respectives. Mais personne ne peut nous obliger à nous droguer malgré nous. Dans un pays comme le Liban, la drogue du fanatisme religieux et politique est ce dont nous devons libérer le projet national. Il faut mettre l’État libanais à l’abri de ces deux addictions désastreuses. La neutralité n’est pas facile à réaliser, mais elle n’est pas impossible. En effet, les addictions dont nous souffrons au plus haut point ne sont désastreuses que parce que nous nous y engageons tête baissée et yeux fermés. Personne ne peut nous contrôler sans notre consentement. Il faut une grande force morale pour résister à la corruption, surtout quand la corruption répond à nos vœux les plus sauvages. Ou bien nous vivoterons comme des hordes déboussolées incapables de se gouverner elles-mêmes, ou bien nous organiserons un État fondé sur la volonté commune de réaliser ensemble notre indépendance des forces brutales qui se font la guerre dans la région et qui la font à nos dépens. Personne n’a le pouvoir divin de nous dicter ni comment il faut penser ni comment il faut nous comporter chez nous. Mettons de côté les fanfaronnades héritées de nos pères. L’homme est un animal qui s’est engagé sur la voie de l’humanisation. Ce processus ne se limite pas à notre évolution lointaine. Il concerne l’évolution qui se poursuit aujourd’hui. Dans le domaine spirituel, l’évolution peut aller dans les deux sens : nous pouvons régresser comme nous pouvons progresser. Les défaitistes sont ceux qui disent : « Il n’y a pas moyen de progresser. Nous ne pouvons que régresser. » La Bête tend à régresser vers ses origines les plus lointaines. La Belle n’a pas peur d’aller de l’avant. Ces deux tendances coexistent en nous tous. Dans la mesure où la marche de l’histoire dépend de nous, il nous revient de faire un choix décisif. Ou bien nous ferons du Liban un pays viable et bien portant, ou bien nous nous laisserons aller à la dérive qui mène à la mort. Cessons de penser le mariage libanais comme un mariage d’amour. Il est un mariage de raison. Tel qu’il existe aujourd’hui, le Liban n’est qu’un assemblage artificiel d’éléments disparates qui se marient fort mal ensemble. Sous ce rapport, je dirais que notre projet n’est pas fondé sur la nature des choses. La loi naturelle s’énonce comme suit : « Ceux qui se ressemblent s’assemblent, et ceux qui sont différents se séparent. » Ceux qui se ressemblent vivent dans le même monde spirituel et culturel. Il y a une osmose naturelle entre eux qui leur permet de partager les mêmes mythes et une même conception du patriotisme. Ils peuvent former entre eux une nation soudée. À strictement parler, il ne saurait y avoir de nation fondée sur le patriotisme que dans la plus grande uniformité spirituelle et culturelle. Le projet libanais est non seulement un projet artificiel, c’est aussi un projet contraire à Dame nature. Je suis tenté de dire ici qu’il est « surnaturel », pas dans un sens religieux qui fait intervenir une action divine, mais dans un sens humaniste d’un dépassement de la nature animale et d’une marche vers une certaine humanisation. L’homme est un être en évolution, donc en permanente contradiction avec lui-même. Il est constamment appelé à se dépasser lui-même. Cela veut dire que toutes les conceptions statiques de l’homme sont fausses et dangereuses. L’homme ne se contente pas d’être ce qu’il est. Il a l’obligation de devenir ce qu’il doit être. Je sais que ce que je dis là est de la théorie. Cela veut dire que je tiens un discours abstrait qui a besoin d’être traduit dans un langage concret que l’homme de la rue peut comprendre. Mais sans l’élaboration d’une théorie, il n’y a pas moyen de mettre au point un projet complexe comme celui de la République libanaise. La grande faiblesse de notre culture politique orientale, c’est qu’elle reste au stade primitif qui cherche à résoudre les problèmes d’une manière empirique, c’est-à-dire par « trial and error ». Cette méthode ne serait pas tellement mauvaise si nous apprenions quelque chose de nos erreurs. La plupart du temps, nos préjugés sont tels que nous n’apprenons rien de nos échecs. Au nom de la tradition, nous ne faisons que répéter les erreurs de nos prédécesseurs tout en croyant devoir faire ainsi. Voilà pourquoi j’ai dit plus haut qu’il nous faire une révolution culturelle. Or cela consiste à faire la critique de nos vérités traditionnelles. Nous devons surtout faire la critique de la culture politique héritée de nos pères. Ce n’est pas parce que l’Amérique et l’Iran se confrontent aujourd’hui que nous devons diviser le pays en un groupe qui s’aligne sur l’Iran et un autre qui s’aligne sur l’Amérique. Il faut que nous devenions plus intelligents que l’Amérique et l’Iran réunis. Il faut que nous adoptions la sagesse de l’Évangile qui s’exprime dans la parabole suivante : « Votre situation peut se comparer à celle des moutons qui vivent au milieu des loups. Soyez donc pacifiques comme les colombes et prudents comme les serpents. » Que celui qui est capable de comprendre comprenne. Joseph CODSI
La majorité et l’opposition n’ont toujours pas réussi à s’entendre. Le problème apparent est qu’il n’y a pas moyen de réconcilier les exigences des uns et des autres, ces exigences étant contradictoires. Dans ces conditions, la question qui se pose est la suivante : « Pourquoi nous obstiner à réaliser l’impossible ? » La réponse la plus obvie est que nous ne...