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Actualités - OPINION

Choisir entre deux modèles inconciliables

Jean Buridan était un des plus grands esprits de la scolastique médiévale. La postérité n’a retenu que son exemple philosophique de l’âne qui avait faim et soif à la fois. Placée entre un seau d’eau à sa droite et un boisseau d’avoine à sa gauche, la pauvre bête ne savait que choisir : boire d’abord ou manger en premier ? Cet animal, têtu par nature, resta sur place et finit par mourir et de faim et de soif. Par métaphore, l’expression « âne de Buridan » sert à qualifier quelqu’un qui s’obstine à ne pas choisir quand les circonstances l’exigent. La fausse neutralité funambule La journée de la Saint-Valentin que nous venons de vivre illustre à merveille la parabole de l’âne philosophique de Buridan. Quelques beaux esprits se piquent d’originalité en vous disant : ils se valent tous, tant ceux du 14 que ceux du 8. Il s’agit là d’un discours au ras des pâquerettes où celui qui le profère est absolument incapable de mesurer les enjeux vitaux qui engagent son avenir et celui de ses enfants. Dépourvu du moindre contact avec le réel, ce genre de fausse neutralité se rencontre plutôt chez les funambules du mouvement orange qui ont pour le général Michel Aoun les yeux que Juliette avait pour Roméo, alors que leur idole fait du surplace depuis trois ans entre le cœur du Liban, la place des Martyrs, et le cœur de la satrapie(1) du Lubnanistan, la place Riad el-Solh. Son désir irrésistible demeure le siège présidentiel de Baabda. Comment faire pour y arriver ? Continuer à participer au modèle libanais pluraliste, bigarré, coloré de la place des Martyrs ? Ou bien former l’ordre brun, c’est-à-dire jouer la cohorte auxiliaire de l’ordre noir de la satrapie du Lubnanistan ? Jeudi dernier, 14 février 2008, le peuple du Liban pluraliste a répondu. Parce qu’il a voulu jouer l’âne de Buridan, le mouvement orange du CPL a clairement été désavoué. Il ne reste plus au général Michel Aoun qu’à aller au bout de sa logique et faire publiquement serment de vassalité et de dhimmitude au maître de la satrapie du Lubnanistan. Les chefs dhimmis étaient, sous les Ottomans, les garants de la discipline du troupeau des protégés. Le sultan les comblait de ses faveurs pour les récompenser de leur obéissance. Anatomie du fascisme ordinaire Le CPL n’a pas été laminé comme certains le pensent. Il demeure confiné à certaines composantes de la société chrétienne. On y trouve essentiellement trois franges essentielles de cette société. Toutes les trois sont plus ou moins incapables de dépasser la douleur inutile et corrosive de la maladie identitaire qui les ronge et les empêche de faire face au désir inassouvi de dhimmitude qui constitue le noyau dur de leurs options fascisantes. a) Il y a d’abord et surtout les intellectuels, à majorité francophones, éduqués dans une atmosphère nationaliste qui rappelle, de loin, les choix idéologiques de l’Action française d’un Charles Maurras. Ils sont mus par une pulsion de haine incommensurable et irrationnelle vis-à-vis du musulman sunnite qui les a trahis puisque ses choix souverainistes actuels ne permettent plus à leur maladie identitaire de s’exprimer sur le mode victimaire. Le discours sunnite leur coupe l’herbe sous les pieds et révèle ainsi la nature profondément antidémocratique de leurs choix politiques. b) Il y a ensuite le petit clergé des campagnes, celui qui tient les paroisses des villages ainsi que les membres de certains ordres religieux, essentiellement féminins, qui dirigent des institutions éducatives et/ou de soins. Cette catégorie est incapable de se dégager de la gangue boueuse des champs afin de se promener dans les grands espaces de la ville. Leur psychisme plébéien les empoisonne par leur haine irrationnelle de l’urbanité patricienne. Leur antisunnisme féroce révèle moins un désir de dhimmitude qu’une volonté farouche de protéger une identité communautaire fantasmatique. C’est pourquoi ils et elles sont en admiration béate devant le Parti divin dont ils et elles louent le sens de l’ordre, de l’organisation et de la discipline. Et puis, il y a le petit peuple paysan enfermé dans la clôture de ses champs et qui, depuis toujours, n’a aucune sympathie pour la « ville », pour l’ordre urbain. Une bonne partie de ce bon peuple a, selon toute vraisemblance, fini par se réveiller et a répondu à l’appel de la patrie en danger en ce 14 février 2008. L’heure n’est plus aux tergiversations car il faut choisir entre deux modèles absolument inconciliables : celui d’un Liban pluraliste et démocratique et celui d’une satrapie libanaise soumise à la dictature totalitaire d’un modèle qui exclut toute démocratie, toute pluralité, toute liberté publique. Il n’y a pas de guerre civile au Liban, mais plutôt une guerre métaphysique dont la ligne de front traverse l’intellect de chacun de nous. De tous nos interminables conflits, c’est certainement le plus ravageur et le plus mortel car il touche à notre être propre. Cette guerre métaphysique implique un choix clair et net. Aucun Libanais ne peut se payer le luxe de jouer l’âne de Buridan. Pr Antoine COURBAN (1) Une satrapie est une province de l’ancien empire perse dirigée par un autocrate appelé satrape, au nom de son maître le roi des rois. Sous les Achéménides, le territoire actuel du Liban constituait la 5e satrapie.
Jean Buridan était un des plus grands esprits de la scolastique médiévale. La postérité n’a retenu que son exemple philosophique de l’âne qui avait faim et soif à la fois. Placée entre un seau d’eau à sa droite et un boisseau d’avoine à sa gauche, la pauvre bête ne savait que choisir : boire d’abord ou manger en premier ? Cet animal, têtu par nature, resta sur...