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Actualités - OPINION

Google vs man : 1/0 Émilie SUEUR

Alors que les coups de feu claquaient non loin de mon balcon, que les présentateurs des journaux télévisés nationaux et régionaux s’obstinaient à utiliser un arabe trop classique pour m’être compréhensible, que les sites Internet anglophones censuraient l’information, et par là même méprisaient mon angoisse, je découvris « Google translator », mon sésame pour les sites d’information en arabe. En deux clics, je comprenais enfin la géographie des affrontements, le mouvement des troupes, l’ampleur des dégâts, la tectonique de la bêtise. En deux clics, je sortais de ma dépendance linguistique, je redevenais, un tant soit peu, maître de ma petite situation, de mon petit périmètre de vie. Mais « Google translator » n’a pas fait que cela pour moi. « Google translator » m’a également ouvert les portes d’un autre monde qui, celui-là, avait le mérite de me faire sourire. Google ne fait pas de l’analyse, Google n’a pas de style, il ne fait pas du Proust. Il traduit mot à mot. « Manar : A Palestinian was attaching pictures of a singer in Sabra when attacked by an armed group ». Maintenant on attaque des gens pour des portraits de chanteurs ?! Et quel chanteur pourrait susciter de telles passions ? Il me fallut quelques minutes pour comprendre que le « Singer » en question, n’était autre que Imad Moghniyé. Moghniyé, ghaniyé. Deux mots, une même racine en arabe : chanson. En cinq secondes, « Google translator » avait transformé l’un des terroristes les plus recherchés au monde en un chanteur, un artiste. En comparaison, la multiplication des pains relève de l’amateurisme. « The clashes spread from Barbour to Corniche farm, New Road, patience and the head of the Springs ». D’un coup de clic magique, corniche Mazraa, vaste avenue urbaine, véritable fourmilière humaine et commerçante, était devenue la petite maison dans la prairie. Oubliés les coups de feu, oublié le roulement lugubre des chenilles des tanks sur le bitume. Google m’avait téléportée si loin, vers un monde où de verts pâturages s’étendent à perte de vue autour d’une petite ferme (corniche Mazraa), nichée au pied d’une montagne. Devant cette ferme passe la nouvelle route (New Road, Tarik jdidé), qui mène au lieu-dit la « tête des sources » (head of the springs, Ras el-Nabeh). À quelques kilomètres de la « tête des sources » se trouve le village de patience (Basta). Avec de tels noms, une région devrait être immunisée contre la violence. Cerise sur le gâteau, quelques lignes plus bas, « Google translator » m’annonçait le retour au Liban de « Moses » (Moïse ; Moussa, Amr de son prénom). Nous étions sauvés. Interrogé par le site de la BBC, Ray Kurzweil, inventeur américain renommé et membre d’un panel de penseurs chargés d’identifier les grands challenges auxquels l’humanité devra faire face au cours du 21e siècle, déclarait que d’ici à 2029, les machines auront atteint le niveau d’intelligence des humains. Notamment en ce qui concerne l’intelligence émotionnelle. Dans le match « Google translator » versus « homme », il me semble que la machine a déjà gagné.
Alors que les coups de feu claquaient non loin de mon balcon, que les présentateurs des journaux télévisés nationaux et régionaux s’obstinaient à utiliser un arabe trop classique pour m’être compréhensible, que les sites Internet anglophones censuraient l’information, et par là même méprisaient mon angoisse, je découvris « Google translator », mon sésame pour les sites...