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Actualités - OPINION

Passé, présent et avenir des chrétiens du Liban Pr Mounir CHAMOUN

Que les chrétiens du Liban, qui subissent depuis quelques années des vexations multiples et des menaces incessantes, la grande majorité des attentats et des assassinats d’hommes politiques ayant lieu dans leur région, soient inquiets, quoi de plus normal ? Tous les événements qui se sont déroulés depuis l’occupation syrienne et durant près de trente-trois ans, la réduction des prérogatives du chef de l’État chrétien, la distribution des postes ministériels, le recrutement et la répartition des fonctionnaires de toutes catégories dans le secteur public, la marginalisation effective de l’influence chrétienne au niveau du pouvoir, alimentent à juste titre leur crainte. Et les questions qu’ils se posent sans arrêt sont les suivantes : que se passe-t-il, où allons-nous, qu’allons-nous devenir ? Dans son ouvrage monumental Vie et mort des chrétiens d’Orient (Paris, Fayard, 1999, 973 pages), Jean-Pierre Valognes, historien et diplomate ayant vécu au Moyen-Orient, traite de la question en Égypte, Palestine, Jordanie, Syrie, Irak, Iran, Turquie et consacre deux longs chapitres au Liban, l’un intitulé « Les maronites » (38 pages) et l’autre « Les chrétiens du Liban » (62 pages). Dans ces deux chapitres richement documentés, l’auteur montre avec objectivité le rôle des chrétiens dans la construction du Liban et leur place prédominante dans l’ensemble du monde arabo-musulman où s’inscrivent leur présence, leur action et leur mission. La conclusion des deux chapitres est d’un optimisme modéré et laisse entrevoir, grâce au courage et à la détermination séculaires de la nation, notamment, comme aiment l’appeler certains de nos patriarches non seulement une présence pérenne, mais également une action dynamique susceptible de promouvoir l’innovation dans la pensée politique et culturelle. Le passé, c’est donc cette participation active d’abord dans l’existence de l’entité libanaise comme havre de regroupement et de refuge, puis le rôle très actif de la chrétienté dans la construction, à partir de 1920, de ce qu’est ce Liban pluriel et diversifié, qu’on a voulu ainsi dans le cadre du Mandat français et où ont pu s’instaurer progressivement un climat de liberté de culte et de pensée et une certaine forme de démocratie parlementaire. Cette réalité historique est indéniable, même si certains continuent à contester l’existence d’un Liban autonome, au mépris de toutes les reconnaissances arabes et internationales. C’est effectivement le fait de la seule Syrie et de ses régimes successifs qui, sous des prétextes fallacieux et une prétendue fraternité, proclament que des relations diplomatiques ne sont pas nécessaires entre des pays voisins si intimement liés. Le forfait impardonnable, le camouflet qui suscite vengeance et châtiment, c’est d’avoir obtenu le départ des troupes syriennes avec tout l’appareil d’intervention directe et de mainmise sur le Liban. Mais ce qui doit nourrir notre réflexion, c’est justement cette réalité historique. Revenons donc à ce passé et posons-nous la question. Le passé donne-t-il des droits acquis ad vitam, sans tenir compte de l’évolution du pays dans l’ensemble des aspects de la vie commune ? Le passé justifie-t-il une idéologie de « retour au passé » ou de conservation de privilèges qui n’ont plus leur raison d’être ? En fait, le recours à une idéologie passéiste ne se justifie que par la peur de la dissolution, de l’absorption ou de la disparition. En sommes-nous véritablement là pour que notre peur justifie notre repli ou un combat désespéré de survie ? Pour lever le doute et du même coup nous rassurer, interrogeons notre présent. Que les chrétiens du Liban cessent d’abord de céder à l’alarmisme des rumeurs, celles particulièrement liées à la démographie. De très nombreuses recherches concordantes, entreprises par des spécialistes de tous bords et qui confirment en 2008 les chiffres donnés par Jean-Pierre Volognes, il y a quelques années, situent les chrétiens du Liban, toutes communautés confondues, entre 39,2 et 41,5 % de l’ensemble de la population libanaise, estimée à 4,3 millions d’habitants. Les pourcentages des trois communautés dominantes se déclineraient de la sorte : 27,1 % de chiites, 25,2 % de sunnites et 23,4 % de maronites. Il est évident que ces chiffres ne correspondent plus aux données issues du seul recensement officiel, paradoxalement encore reconnu, celui de 1932, établi sous le Mandat français, alors que la totalité de la population du Liban n’atteignait pas deux millions d’habitants. Quant à l’émigration des jeunes qui préoccupe tant les autorités politiques comme les instances religieuses, les chercheurs, sociologues et démographes nous assurent qu’elle est limitée et qu’elle touche davantage les musulmans, sunnites et chiites, que les chrétiens. Mais, au-delà des chiffres et des constantes démographiques, ce qui doit rassurer dans le présent et le quotidien, c’est la famille chrétienne et sa fermeté autant dans les villes que dans les campagnes. C’est aussi la présence chrétienne dans toutes les régions du pays – ce qui rend impensable toute partition ou folle idée de fédération –, c’est la créativité et la productivité chrétiennes dans nombre de domaines. Ce sont les très nombreuses institutions éducatives, d’inspiration chrétienne, répandues sur l’ensemble du territoire et qui continuent à participer activement à l’évolution du pays et au maintien de son niveau élevé d’alphabétisation et d’éducation de base, unique dans l’ensemble du monde arabe. Notre présent est fait de toutes ces valeurs civilisationnelles, organisatrices du social et non de nos querelles politiques mesquines pour un partage hypothétique d’un pouvoir qui s’estompe à mesure qu’on le ruine et le vide de son contenu réel, à savoir la primauté du service, dans une optique de culture citoyenne dépouillée de tout égocentrisme communautaire étouffant et restreint. C’est à partir de ces données que peut s’édifier notre avenir, l’inéluctable devenir d’une nation vivante qui cultive le vouloir-vivre et qui croit en une prospective agissante pour les générations futures. Je sais pertinemment que la difficulté majeure réside dans le fait que certains de nos compatriotes, aveuglés par une allégeance extérieure bien connue, qui préconise l’anéantissement de notre pays ou sa soumission, ne trouvent plus un terrain de dialogue avec les Libanais souverainistes. De ce fait, une vision conjointe, un projet commun pour une société nouvelle, laïque, égalitaire et véritablement démocratique, libérée de toute contrainte ou de toute emprise politique négativante pour la paix civile à long terme, deviennent fort difficiles. Mais, à travers l’histoire, les communautés chrétiennes ont connu des crises bien plus graves. C’est pourquoi nous pensons que la place des chrétiens, ceux-là mêmes qui ont toujours été, dans le monde arabe, des agents vivants de progrès et de renaissance, est toute définie. Malgré les remous actuels dans la région, plus particulièrement au Liban, et les projets divers de restructuration de cette partie du monde, les chrétiens du Liban, parce que de leur existence dépend toute la chrétienté d’Orient, doivent rester fidèles au poste, comme le pilote en son navire en danger de naufrage. À nous, en communion avec tous ceux qui veulent restaurer la nation et édifier l’État, incombe la responsabilité de repenser les bases de la vie commune, les critères de la démocratie participative, les impératifs des innovations constantes, politiques, sociales et culturelles, l’instauration progressive de la laïcité dans l’ensemble des institutions nationales, traçant ainsi les pointillés d’une trajectoire que rempliront les générations animées de la seule éthique du respect de la vie individuelle et de la participation collective. Notre ouverture sur des conceptions politiques, bien différentes de celles des dictatures totalitaires qui nous cernent, nous habilite à promouvoir une telle pensée rédemptrice. Article paru le mardi 19 février 2008
Que les chrétiens du Liban, qui subissent depuis quelques années des vexations multiples et des menaces incessantes, la grande majorité des attentats et des assassinats d’hommes politiques ayant lieu dans leur région, soient inquiets, quoi de plus normal ? Tous les événements qui se sont déroulés depuis l’occupation syrienne et durant près de trente-trois ans, la...