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Actualités - OPINION

« Sa » guerre ouverte Élie FAYAD

Le Hezbollah a donc décrété une « guerre ouverte » contre Israël après l’assassinat à Damas de son chef militaire, Imad Moghniyé. Les Libanais, qu’ils soient affiliés ou non au Parti de Dieu, sont ainsi prévenus, quoique de façon très indirecte. Car en faisant part de son firman, Hassan Nasrallah ne s’est adressé qu’à ceux qui, selon lui, ont abattu Moghniyé. Autrement dit aux Israéliens, qu’il a pris l’habitude de tutoyer depuis bien longtemps. L’opinion libanaise, l’État libanais, les institutions libanaises, la nation libanaise, l’idée libanaise, le message libanais, tout cela ne vaut pas la peine que l’on s’y attarde, apparemment. Quelques heures avant que le secrétaire général du Hezbollah ne fasse son apparition devant les caméras, des centaines de milliers de Libanais s’étaient rassemblés, place des Martyrs, en partie parce qu’ils en ont assez des politiques unilatérales de son parti-État. La plupart étaient certes venus à l’appel de leurs formations respectives, lesquelles ne cachent pas leur désaccord avec cet unilatéralisme. Que M. Nasrallah s’en moque comme de sa première chemise, cela n’a rien de nouveau, ni de surprenant, dans la mesure où l’on sait combien les égoïsmes, qu’ils soient individuels, politiques, communautaires ou tribaux, tiennent souvent lieu de politique au Liban. Ce constat vaut pour tout le monde, bien sûr, mais la palme d’or ne peut que revenir au Hezb, ne serait-ce que du point de vue des effets multiples, profonds et dévastateurs que ses politiques produisent sur les autres Libanais. Cependant, on a pu voir aussi le 14 février une bonne minorité de gens se mobiliser de manière spontanée, à titre individuel, non pas par fidélité ou soutien à tel ou tel des piliers du 14 Mars, mais les uns parce qu’ils continuent de croire aux fondements de la révolution du Cèdre et à la nécessité de défendre ses acquis, et les autres parce qu’ils voulaient tout simplement exprimer leur ras-le-bol face aux rodomontades de l’opposition. Que le chef du Parti de Dieu ait montré de l’indifférence à l’égard de ceux-là aussi ne doit pas surprendre non plus, car dans les sphères où Hassan Nasrallah évolue, à la fois sociologiquement et politiquement, et étant donné le type d’idéologie dont il est pétri, le concept de l’individu disposant d’un libre arbitre et refusant de s’assimiler systématiquement à la « jamaa » est non seulement inexistant ; il est combattu. Voilà pour ce qui est des Libanais qui avaient pris part au rassemblement du 14 février. Mais qu’en est-il des autres, ceux qui étaient restés chez eux parce qu’ils ne croient pas ou plus en rien, parce que la politique les embête, ou alors parce qu’ils sont membres ou sympathisants de partis d’opposition ? Qu’en est-il de ceux-là mêmes dont l’idole avait claironné il y a deux ans, en signant son document d’entente avec le Hezbollah, qu’ainsi il allait pouvoir « libaniser » le Parti de Dieu ? Hassan Nasrallah les a-t-il consultés pour décréter sa « guerre ouverte » ? Après tout, maintenant que celle-ci a été proclamée, les conséquences en seront les mêmes pour tout le monde, y compris les plus immédiates. Ainsi, par exemple, tous les détenteurs du seul passeport libanais vont désormais devoir souffrir encore un peu plus pour obtenir des visas ; et s’ils les obtiennent, ils devront se plier à des mesures encore plus vexatoires dans les aéroports du monde, civilisé ou pas. Que de nombreux Libanais soient disposés à payer le prix des firmans de Hassan Nasrallah et de sa formation, nul n’en doute. Douterait-on donc de l’existence d’autres Libanais qui jugent le coût trop cher ? Ou encore de ceux qui, à la base, n’ont que faire de toutes les guerres tant « ouvertes » que « fermées » que déclenche le Hezbollah ? À défaut de se laisser « libaniser », au sens où son partenaire béatement optimiste l’entendait à l’époque, M. Nasrallah n’est-il pas plutôt lui-même en train de « hezbollahiser » ce partenaire qui s’est laissé peu à peu glisser jusqu’à devenir l’allié ? D’une certaine façon, c’est le Liban tout entier qui est « hezbollahisé » malgré lui lorsque des initiatives unilatérales du genre de la « guerre ouverte » sont proclamées par ce parti. Et cela n’est rien. L’absurde, dans toute sa pleine signification, est atteint lorsque ce même parti – et accessoirement ses alliés – ruent dans les brancards en prétendant dénoncer le « monopole du pouvoir » aux mains de la majorité. Et réclamer la participation. Comment ne pas admettre que le discours de Hassan Nasrallah, jeudi dernier, justifie a posteriori les propos tenus quelques jours plus tôt par Walid Joumblatt sur la nécessité d’un « divorce à l’amiable » avec le Hezbollah ? Car enfin on aimerait bien savoir s’il existe un autre moyen de se comporter avec un parti qui se permet de forcer toute une nation à subir, à la fois localement et internationalement, des conséquences extrêmement fâcheuses et souvent tragiques à des actes que lui-même décide unilatéralement et que ses propres compatriotes récusent. Continuera-t-on longtemps encore à tolérer pareille humiliation ? Le Liban, tel que le voient de nombreux Libanais, et le Hezbollah – non pas l’organisation politique ayant ses adhérents et ses sympathisants et pouvant légitimement aspirer au pouvoir au sein d’une démocratie normalisée, mais plutôt celle qui se livre à des activités qui relèvent, dans une démocratie normale, du domaine de l’État – sont totalement et définitivement incompatibles. S’il faut un divorce, ce n’est pas avec le premier qu’on doit le conclure, mais certainement avec le second. Il reviendra à Hassan Nasrallah de trancher. Mais cela ne sera possible que le jour où il réalisera que le conjoint qui demande le divorce et qui devrait selon lui « partir lui-même rejoindre ses maîtres à Washington et Tel-Aviv » n’est pas seulement M. Joumblatt. C’est au moins la moitié du peuple libanais.
Le Hezbollah a donc décrété une « guerre ouverte » contre Israël après l’assassinat à Damas de son chef militaire, Imad Moghniyé.
Les Libanais, qu’ils soient affiliés ou non au Parti de Dieu, sont ainsi prévenus, quoique de façon très indirecte. Car en faisant part de son firman, Hassan Nasrallah ne s’est adressé qu’à ceux qui, selon lui, ont abattu Moghniyé. Autrement...