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La dernière chance

La querelle sur le nombre de portefeuilles ministériels à allouer à chaque camp, mesurée aux assassinats à la voiture piégée et au massacre du dimanche 27 janvier, ne trompe que ceux qui veulent l’être, sur la nature de la crise politique au Liban. D’abord, rappelons pour lui rendre sa véritable dimension, l’influence de la communauté internationale sur la scène politique libanaise. De la vassalité d’acteurs mineurs, à la conjonction d’intérêts idéologiques et politiques des grands joueurs libanais avec les puissances régionales et occidentales, ces liaisons dangereuses ne peuvent occulter ni la responsabilité des partis en présence ni leurs propres convictions dans la conduite de leur politique. Le Hezbollah a pour priorité non négociable à ce jour le combat, sous toutes ses formes et quelle qu’en soit la durée, contre Israël. Cheikh Naïm Kassem, dans son ouvrage sur le Hezbollah, dit : « Il est du devoir de tout musulman d’agir pour la libération (de la Palestine)… En conséquence, la priorité est donnée à la confrontation, qui appelle à l’utilisation de tous les moyens à cette fin »(1). « Tous les moyens » se traduit dans la réalité par ce que Waddah Charara décrit comme une « société de guerre » (Moujtama’ Harb)(2) dans laquelle les militants du khomeynisme révolutionnaire placent leur existence au service de cette lutte. À l’exclusion de ce devoir, considéré par le Hezbollah comme un rétablissement de la justice divine, tous les compromis sont possibles. La collaboration avec la Syrie laïque doit être comprise dans cette optique. Le général Aoun, dans son discours prononcé le jour de son retour à Beyrouth, le 7 mai 2005, se posait comme le seul « juste ». « Nous ne voulons plus de ces vieilles notabilités qui représentent des pouvoirs féodaux », disait-il alors. Et, plus loin, il promettait de « combattre l’argent politique qui a corrompu la République »(3). Ces intentions louables lui ont valu la large assise populaire qui est la sienne. Mais son esprit revanchard et sa mise en quarantaine par ces mêmes adversaires, qu’une partie de la population continua à plébisciter dans les urnes, l’ont amené à nouer des alliances électorales en contradiction avec le contenu de son discours. Empêtré dans ses contradictions, il persiste à se considérer comme le seul recours pour sauver la République. Walid Joumblatt forme un tandem avec Saad Hariri. Les deux hommes accusent la Syrie d’avoir assassiné leurs pères. Tous deux justifient leur collaboration avec la Syrie, lors du mandat de celle-ci, par la nécessité à l’époque de conduire les affaires de l’État. Et quand l’opportunité se présenta, ils se rallièrent au camp opposé à la présence syrienne. Ayant payé le prix du sang, ils considèrent qu’aujourd’hui ils sont en droit de réclamer le pouvoir, un pouvoir que les électeurs leur ont d’ailleurs accordé. Mais si les politiciens libanais ont décidé de s’absoudre mutuellement des crimes commis pendant les quinze années de guerre, ceux qui dirigèrent le pays après Taëf veulent, eux, faire l’impasse sur toutes les erreurs qui ont mis à genoux l’économie du pays et permis l’exclusion de composantes politiques, déterminées, essentiellement celles opposées à la Syrie. Par le « tout économique », ils pensent établir les bases solides d’un État débarrassé de la tutelle syrienne, éradiquer la corruption, soulager les misères et surtout construire une nouvelle identité nationale qui effacerait les multiples antagonismes, par l’aisance matérielle, qu’un libéralisme poussé ne manquerait pas d’assurer. Ce n’est pas en agissant de la sorte qu’ils pourront convaincre le public qui n’est pas le leur, quels que soient la mauvaise foi et le peu de crédibilité de leurs opposants. Accrochés à leurs idées, souffrant d’un déficit d’originalité, nos dirigeants n’ont plus, pour seul argument de fidélisation, que la peur qu’inspirent leurs adversaires, ce qui est la preuve de leur faillite. Or le Liban n’est pas le seul pays à avoir connu un tel écartèlement entre les positions tenues par les politiciens de divers camps. Que le désaccord soit d’ordre religieux et confessionnel, politique ou idéologique, un divorce, qui est le scénario le plus pessimiste, peut se produire à l’amiable. Encore faut-il que les conjoints ne souffrent pas du travers du scientisme, théorie qui explique le monde par les idées. Mais quand celles-ci, et là est le travers, sont considérées inaccessibles aux citoyens, quand ces derniers sont traités comme des incapables qui ne participent pas à l’élaboration desdites idées – car au Liban il n’existe pas à ce jour de partis politiques où le débat est institutionnalisé et où les dirigeants subissent une rotation voulue par les militants –, nos dirigeants s’enferment dans leur paranoïa destructrice. Ce qui veut dire que nous, Libanais, tenons notre sort entre nos mains et devons agir dans l’urgence en faisant remonter vers le sommet, c’est-à-dire vers nos dirigeants, notre souhait d’un consensus viable et le leur imposer par tous les moyens, sinon nous nous condamnons à alimenter la violence qui finira par tous nous emporter. Vœux pieux ? Sûrement pas. Les dirigeants du Hezbollah, du Courant du futur et du Courant patriotique libre usent de moyens matériels et psychologiques pour recruter des adhérents. Mais ils savent également qu’ils sont issus de circonstances historiques et idéologiques couplées à un besoin d’expression politique de leurs militants, que les fondateurs de ces partis ont su entendre et matérialiser en fondant leurs mouvements. Le Hezbollah, lui, est né de la nécessité de combattre l’invasion israélienne et comme voie de revendication d’une communauté longtemps ostracisée, que la révolution iranienne a délivrée de toutes ses inhibitions. Le Courant patriotique libre était une réaction à l’autoritarisme des Forces libanaises et au besoin de réagir activement à l’occupation syrienne du Liban, alors que les Forces libanaises avaient, à l’époque, opté pour une approche attentiste à l’égard de cette occupation. Le Courant du futur, représentant les sunnites, voulait redonner à la communauté un rôle qu’elle avait perdu à la suite du départ de l’OLP du Liban et, par son attachement hypertrophié à la souveraineté du Liban, faire oublier l’époque où contre d’autres Libanais elle avait couvert les exactions de la Résistance palestinienne et plus tard celles du mandat syrien. Or ces objectifs, concernant les trois mouvements précités, ont été largement atteints et ces mouvements continuent de dépendre de leur public. S’il est vrai que, par un phénomène observable dans toutes les formations politiques au moment de grandes crises et quand l’avenir semble incertain, les militants se confinent à une adhésion sans questionnement, ce n’est qu’un point de vue. Peut-on en dire de même à propos des chiites ? Leurs expressions politiques ne sont-elles pas contestatrices dans leurs essences ? Même à l’égard d’un pouvoir clérical censé représenter la volonté de Dieu, ne voit-on pas en Iran, pays sanctionné et menacé, un rejet du pouvoir, pourtant soutenu par la plus haute instance religieuse, à savoir le guide suprême de la Révolution iranienne ? L’interdiction à ce jour de se présenter aux élections législatives de mars de 90 % des candidats réformateurs n’est-elle pas la preuve de la présence d’un large mouvement protestataire qui menace le régime ? L’imam Hassan n’a-t-il pas dit : « Élève la voix devant ton prince s’il s’écarte du droit chemin » ?(4) Pour le Courant patriotique libre (qui conteste l’autorité politique du patriarche) et tous ceux du 14 Mars qui se prétendent laïcs et modernistes, ne peut-on reprendre Marcel Gauchet qui dit : « L’inconnu de l’avenir (…), dégagé du reste de cocon théologique, plus il nous devient imprévisible, moins il est fatal, plus il nous responsabilise, plus il nous renvoie à l’incontournable et froide assurance que c’est nous qui le faisons. »(5) Les partisans de ces formations doivent s’interroger sur la conduite par leurs mouvements de la politique ; à ce jour, celle-ci les mène tous à une impasse destructrice. De cette interrogation et de la volonté des ces partisans d’agir sur leur avenir, viendra le sursaut qui infléchira la politique stérile que nous subissons, d’autant que, quelles que soient les déclarations tonitruantes des acteurs internationaux, s’accusant mutuellement de bloquer toutes issues à la crise du Liban, aucune d’entre elles ne semble disposée à prendre des mesures contraignantes qui changeraient la donne. Sinon, de jeunes Libanais continueront à mourir, servant de combustible au feu qui embrasera très rapidement le Liban. Amine ISSA (1) Naim Kassem, Hizbullah, the Story From Within, éditions Saqi, page 66. (2) Waddah Charara, Dawlat Hezbollah, Dar al-Nahr, page 369. (3) An-Nahar du 8 mai 2005. (4) Ali Dakhil, Aimatouna, Dar al-Mourtada, page 133. (5) Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, éditions Folio essais, page 361.
La querelle sur le nombre de portefeuilles ministériels à allouer à chaque camp, mesurée aux assassinats à la voiture piégée et au massacre du dimanche 27 janvier, ne trompe que ceux qui veulent l’être, sur la nature de la crise politique au Liban. D’abord, rappelons pour lui rendre sa véritable dimension, l’influence de la communauté internationale sur la scène...