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Actualités - OPINION

La crise libanaise et ses conséquences I- Recrudescence du communautarisme

Le roi est mort. Vive le roi ! Dans le système monarchique français, quand le roi mourait, le dauphin lui succédait. La transmission du pouvoir se faisait automatiquement. Chez nous, l’impasse politique dans laquelle se trouve le Liban ne permet pas de trouver un remplaçant au président Émile Lahoud. La situation se résume donc ainsi : le président n’est plus. Vive le vide ! On ne peut pas dire que la crise nous a pris par surprise. Elle dure depuis longtemps. Ce n’est pas, non plus, la première fois que nous passons par des crises politiques. Parfois ces crises virent aux accrochages et même se transforment en guerre civile. Mais le plus souvent, le génie libanais parvient à les résoudre grâce à l’art de trouver des compromis. L’art de réaliser la quadrature du cercle est un art typiquement libanais. Nous sommes tellement confiants dans notre étoile que nous nous glorifions de nos contradictions. Nous appelons cela le miracle libanais. Sommes-nous en train de perdre le pouvoir magique qui nous a tirés d’affaire avec plus ou moins de bonheur dans la série de crises par laquelle nous sommes passés ? Mais cette fois-ci nous avons fait appel aux grands spécialistes qui se sont succédé au chevet du malade sans parvenir à le guérir. La fête de l’Indépendance (22 novembre) fut marquée par l’action commune de la troïka européenne, la France, l’Espagne et l’Italie. Elle s’est soldée par un échec cuisant. La médecine arabe n’avait pas réussi à mieux faire. On peut donc dire que depuis la fameuse retraite de La Celle Saint-Cloud (été 2007), rien n’a été négligé, ni de la part des spécialistes étrangers ni de la part des sorciers libanais. L’échec n’en est que plus surprenant. Quelle en est la cause ? Il est toujours plus facile de jouer au prophète après les événements. Il est plus facile de chercher à rendre compte d’un échec après sa consommation que de la prédire avec certitude. Traiter les symptômes au lieu d’en traiter les causes En médecine, le mal de tête peut avoir mille et une causes. Mais comme il n’est pas facile d’en identifier la cause, on se contente, dans les cas bénins, de prescrire de l’aspirine. Quand on se trouve confronté à un état grave, on ne peut plus se contenter de cette prescription. Il faut aller à la recherche de la cause du mal. C’est en traitant la cause que l’on traite le symptôme. Serait-il déplacé, en politique, de suivre la méthode qui s’impose en médecine ? Il y a certes une différence entre ce qui se passe au niveau biologique et ce qui se passe au niveau de la pensée. Il convient donc de passer de la médecine à la sociologie pour voir s’il y a une analogie entre les deux. D’après Émile Durkheim, le fondateur de la sociologie moderne, l’art consiste à expliquer la vie sociale « non par la conception que s’en font ceux qui y participent, mais par des causes profondes qui échappent à la conscience ». Voici comment d’autres ont poursuivi l’élaboration de cette pensée : « Il (Durkheim) requérait d’entreprendre le démontage critique systématique des interprétations que les auteurs sociaux donnent de leurs actes et des situations qu’ils vivent. Cette critique des expériences et des expressions spontanées et “naïves” du monde social était évidemment inséparable de la mise à plat des conceptions métaphysiques de ce monde, en particulier de celles qui admettent et appellent une quelconque intervention extraordinaire dans l’histoire. »* Selon cette conception de la sociologie, les symptômes sont le comportement social tel qu’il se manifeste dans la vie et tel que les gens qui le vivent le comprennent. Les causes profondes qui déterminent les symptômes et le comportement des gens se situent au-delà de la conscience naïve. Autrement dit, il y a un certain déterminisme dont les gens restent inconscients qui contrôle leur comportement sans qu’ils puissent le contrôler. C’est la découverte de ce genre de déterminisme qui érige la sociologie en science. Passons maintenant aux sciences politiques. Aristote a dit que l’homme est un animal politique. Sous ce rapport, le comportement politique fait partie de la sociologie. Il y a donc lieu d’appliquer la méthode de Durkheim dans l’élaboration d’une vraie science politique. Partant de ce que les politiciens font et disent, cette science cherche à découvrir les déterminismes qui jouent dans une société déterminée sans que les gens qui vivent dans cette société en soient conscients. Nous sommes tous et toutes prisonniers de notre culture politique, qui détermine notre façon de penser et nos préjugés collectifs, paralysant notre sens critique et limitant notre conscience. Ces considérations d’ordre théorique me paraissent fondamentales. Même dans le domaine politique, il faut passer des symptômes qui apparaissent à la surface des choses aux causes profondes qui les contrôlent. Les acteurs sociaux, les politiciens et le peuple ne sont conscients et libres qu’en ce qui concerne la surface des choses. En réalité, ils sont les victimes innocentes et inconscientes du système politique qui s’impose à eux comme une donnée indiscutable. Pour que la science politique devienne une science, il faut qu’elle passe des symptômes à leurs causes profondes qui restent inconnues des politiciens et du peuple. Malheureusement, les sociologues et les politologues se contentent de suivre le plus souvent la voie large et facile qui se limite à l’analyse des symptômes. Il faut une vraie révolution culturelle pour les spécialistes comme pour les acteurs sociaux pour faire de l’étude du comportement humain une science, qu’il s’agisse de sociologie ou de sciences politiques. Crise de personnes ou de système ? « La crise actuelle n’est pas uniquement une crise de gouvernement, elle est aussi une crise du système politique. » Je cite ici une déclaration fort pertinente, faite le 10 juillet 2007 à l’hôtel Le Bristol au cours d’une conférence de presse qui s’est tenue sous la direction de Hussein Husseini lors du lancement du Centre civil pour l’initiative nationale. Le système politique peut être comparé à une voiture. Quand la voiture est bien conçue, n’importe qui peut la conduire aisément. Mais quand la voiture est mal conçue, elle tombe en panne pour des raisons mécaniques, même quand le chauffeur est parfaitement compétent. En pareil cas, blâmer le chauffeur serait absurde. Pour résoudre le problème, il faut réparer la voiture. Mais quand la voiture souffre d’un défaut de conception, il faut la remplacer par une voiture bien conçue. La République libanaise fut conçue de travers dès l’origine. Nous avons cherché à la rafistoler tant bien que mal par le pacte national de 1943 et plus tard par l’accord de Taëf. Aujourd’hui, je compare la République à un garçon qui est né handicapé. On l’a opéré à deux reprises, mais son mal n’a fait qu’empirer et sa locomotion s’est gravement détériorée. Autant reconnaître que nous ne pouvons plus vivoter de cette manière et qu’il faut nous doter d’une nouvelle voiture. Les institutions ont ce grand avantage sur les personnes qu’elles peuvent être envoyées à la casse et remplacées par quelque chose de flambant neuf. Le groupe de Hussein Husseini a déclaré en même temps que le système communautaire était mort. Voilà une déclaration que tout dément. Ce que nous observons aujourd’hui est une recrudescence du communautarisme. On peut déplorer ce fait et chercher à y remédier. Mais il me semble prématuré de déclarer la mort du système communautaire. Ceux qui suivent l’Évangile à la lettre, proposant d’arracher l’œil malade et d’amputer le membre qui fait mal, en s’en tenant à une logique préscientifique. La médecine, en effet, cherche à guérir ce qui est malade. Elle n’a recours à l’amputation que dans les cas extrêmes. Avant de prescrire une solution aussi radicale, il convient d’examiner la question à tête froide et en tenant compte du fait que les communautés sont des composantes incontournables de la société libanaise. Il n’y a pas de doute que la façon dont nous comprenons le système communautaire et le vivons est catastrophique. Il faut donc introduire un changement radical dans ce domaine. Mais il me semble qu’une certaine prudence s’impose. Je n’aurais pas recours au boucher du coin pour me faire opérer d’une tumeur au cerveau. De la même manière, je me méfierais de nos braves politologues, quand ils ne sont que des bouchers qui se prennent pour des chirurgiens. Que les politiciens et les gens du peuple se laissent berner par les symptômes du communautarisme sauvage tel qu’il se pratique chez nous, cela ne me paraît pas surprenant. Mais que nos spécialistes en fassent autant me paraît grave. Cela revient à réduire les sciences politiques à de la sorcellerie savante. « Médecin, guéris-toi toi-même. » Avant de prescrire des solutions radicales qui ne sont ni réalisables ni même nécessaires, il convient de jeter un regard critique sur nous-mêmes. Les problèmes politiques sont des problèmes sociaux. Il faut identifier leurs causes profondes et agir à la lumière de cette découverte. Il y a moyen de créer un État moderne et un État de droit tout en respectant le système communautaire. Ceux qui pensent a priori que cela est impossible ont un problème. Joseph CODSI Universitaire * Danièle Hervieu-Léger et Jean-Paul Willaine, Sociologie et Religion, approches classiques, Presse universitaire de France, Paris 2001, p 3.
Le roi est mort. Vive le roi ! Dans le système monarchique français, quand le roi mourait, le dauphin lui succédait. La transmission du pouvoir se faisait automatiquement. Chez nous, l’impasse politique dans laquelle se trouve le Liban ne permet pas de trouver un remplaçant au président Émile Lahoud. La situation se résume donc ainsi : le président n’est plus. Vive le vide...