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Actualités - OPINION

Le social, victime de la politique Élie FAYAD

«Figurez-vous qu’avec ce gouvernement, nous sommes arrivés à une croissance zéro », se lamentait hier à la télévision Ali Kanso, secrétaire général du PSNS, ancien ministre et serviteur zélé de Damas au Liban. Qu’une telle affirmation, sortie de la bouche de qui l’on sait, soit un comble d’outrecuidance et de culot, il n’est nul besoin d’avoir inventé la poudre pour s’en douter. Ce qui est regrettable, c’est de constater que la révolte, le bouillonnement de sang que déclenchent de tels propos finissent par noyer l’essentiel : la croissance est effectivement égale à zéro. Ou à peu près. Le même raisonnement s’applique au mouvement de protestation entrepris hier par un certain nombre de syndicats sectoriels proches de l’opposition. Pathétique est l’adjectif qui convient le mieux à l’image de cette grève ratée, de ces petites échauffourées et de ces quelques pneus brûlés. Même le petit garçon blessé était là pour rappeler que dans cette autre face du Liban, dans cet Orient pauvre, inculte et sous-développé, l’enfance est, dans les conflits, un bon filon à exploiter. Que la crise économique et sociale soit réelle et plus implacable d’année en année, nul ne peut le nier. Que les inégalités soient plus criantes que jamais, seuls les aveugles des yeux, du cœur et de l’âme refusent de l’admettre. Qu’ici, dans ce pays, cette capitale, la misère grandissante côtoie scandaleusement l’aisance parfois arrogante, on programmerait son propre suicide à vouloir l’ignorer. Force est de reconnaître que du côté des pouvoirs publics, l’incapacité depuis toujours à mettre en œuvre une vraie politique budgétaire, économique et sociale, qu’elle soit d’orientation libérale, modérée ou radicale, n’a d’égal que l’indifférence à l’égard de cette question. Aussi louables que soient les élans de générosité manifestés çà et là, ils demeurent plus néfastes que bénéfiques en l’absence d’une vision rationnelle de la question sociale, d’une approche fondée sur un développement durable et équilibré. Mais les pouvoirs publics sont-ils les seuls à mettre en cause ? En amont, la vie politique à la libanaise n’a-t-elle pas toujours été plus ou moins imperméable à l’éclosion d’une telle approche ? Les oppositions ont-elles jamais joué un rôle constructif à cet égard ? Ces questions, que l’on pose en 2008, étaient aussi posées en 2000, en 1990, en 1970 et en 1950. Pourtant, le Liban survivait, vaille que vaille, et prospérait même à certaines époques, quoique de manière désordonnée et non équilibrée. Mais cette faculté de survie, ces moments de prospérité, n’ont jamais été que partiellement tributaires de l’action des gouvernements, encore moins de celle des oppositions. La liberté d’entreprendre, le dynamisme intrinsèque de l’agent économique libanais et bien sûr l’argent massif de l’émigration ont en permanence été les poumons de l’économie de ce pays, à côté d’autres ressources parfois moins avouables, il faut le reconnaître. Pour le reste, les liens familiaux (et même tribaux dans certains cas) plus ou moins étroits, l’absence d’exclusion dans le sens où ce mot s’applique en Occident pansaient bien des plaies. En l’absence d’une autre politique, ou plutôt d’une politique autre, on dira donc qu’au Liban, pour que « ça marche », il ne faut pas que la politique s’en mêle. Or voici justement que ces dernières années, elle s’en est trop mêlée. Et le résultat est une croissance zéro… * * * En quelques années, les prix du brut se sont envolés, le dollar s’est effondré, entraînant la livre avec lui. Dans le même laps de temps, les tarifs des transports routiers au Liban ont à peine bougé. Il ne faut pas être un grand mathématicien pour se rendre compte des conséquences de cette double évolution sur la vie des nombreuses familles concernées. Naturellement, cet exemple touche aussi d’innombrables autres secteurs. Mais la question qui se pose au vu de la tournure prise par le mouvement de protestation enclenché hier, c’est de savoir si les taxis de l’opposition payent leur essence plus cher que ceux de la majorité, puisque ces derniers ont refusé de s’y joindre. Sachant bien la réponse à cette question, et sachant aussi que, pour des raisons évidemment politiques, le mouvement n’allait être que très partiellement suivi, les syndicats concernés n’ont réussi qu’une chose : ôter davantage de crédit encore à une action syndicale déjà dans les nimbes depuis l’époque de la tutelle syrienne. Mais le champion toutes catégories du crime économique et social le plus grave n’est autre que celui qui exploite les justes revendications sociales au service de sa quête désespérée d’abattre un pouvoir qui ne lui sied pas. Il est franchement culotté, celui qui prétend soutenir les grévistes après avoir déclenché une guerre qui, non seulement a coûté au pays des milliards en destructions et dix points de croissance en moins, mais aussi brisé durablement un élan touristique, économique, matériel, psychologique et humain tel que le pays n’en avait pas connu depuis des décennies, et cela à l’instant même où cet élan se dessinait. Il est culotté, celui qui, depuis des années, fait du Liban-Sud une terre brûlée au service d’ambitions politiques régionales, mais aussi de sa propre ambition dominatrice, et vient ensuite se plaindre que l’État néglige les régions déshéritées. Il est culotté, celui qui squatte depuis plus d’un an le centre-ville de sa capitale, y anéantissant toute activité, puis accuse le gouvernement d’appauvrir les gens. Il est culotté, celui qui continue de boucler le Parlement, en violation grotesque de toutes les règles constitutionnelles du monde, empêchant – entre autres méfaits – le vote des milliards alloués par Paris III, et se targue en même temps d’être le gardien de la Constitution. Il est culotté, celui qui, pour être le seul à avoir le droit de régenter les chrétiens libanais, s’associe follement au hold-up en cours sur le pays, en prétendant ne rechercher que la participation au pouvoir… … Sans parler des bombes qui tuent, terrorisent et font fuir les investisseurs. * * * Il reste que la misère est là, même sans la politique destructrice de l’opposition. Elle n’est confinée ni à une communauté ni à une région. Un jour il sera difficile dans ce pays, moralement et physiquement, de continuer à afficher son luxe dans l’insouciance de ce qui nous entoure. S’il devrait y avoir une « ligne rouge » à ne pas franchir, c’est bien celle-là.
«Figurez-vous qu’avec ce gouvernement, nous sommes arrivés à une croissance zéro », se lamentait hier à la télévision Ali Kanso, secrétaire général du PSNS, ancien ministre et serviteur zélé de Damas au Liban.
Qu’une telle affirmation, sortie de la bouche de qui l’on sait, soit un comble d’outrecuidance et de culot, il n’est nul besoin d’avoir inventé la poudre pour...