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Actualités - OPINION

Ils sont partis Andrée SALIBI

« Donnez vos cœurs, mais pas à la garde l’un de l’autre. Car seule la main de la Vie peut contenir vos cœurs. Et tenez-vous ensemble, mais pas trop proches non plus : Car les piliers du temple se tiennent à distance, Et le chêne et le cyprès ne croissent pas à l’ombre l’un de l’autre. » Gibran Khalil Gibran, « Le Prophète » Le sapin brillait de mille feux. Tout à coup la fête prend fin, il se fait tard, il faut rentrer. Retourner au pays où l’on s’était installé un jour pour mener une vie normale, pour étudier, travailler ou tout simplement vivre. Retourner au pays qui a accepté de nous recevoir, de nous adopter et de nous servir de seconde patrie. Retourner au pays qui nous offre des opportunités et des droits que notre propre pays a cessé de faire depuis belle lurette. Ils avaient longtemps hésité avant de plier bagage, espéré, guetté une lueur d’espoir. Aucun changement ne pointait à l’horizon ; des complications à n’en plus finir, de la haine déversée de partout, tout les poussait à fuir. Il leur fallait cependant prendre leur courage à deux mains, mettre les sentiments de côté pour parvenir à quitter. Il était crucial de le faire pour qu’enfin chacun vive, pour que chacun ait une vie. Mais en partant, une seule idée en tête, rentrer aussitôt que la situation du pays s’améliorerait, revenir s’épanouir ici, vivre en famille. Les festivités finies, ils ont repris le chemin houleux de l’exode. La vie devient trop sérieuse pour la jeunesse libanaise, aucun moment de répit. Ils sont partis comme une lumière aux mille reflets qui se perdent dans le brouillard, comme un soleil qui se couche un jour de grand froid, comme une étoile filante qui nous surprend un soir d’été, qui disparaît à l’instant même où elle se dévoile. Leur sourire radieux du premier jour s’est effacé au moment du départ, un rictus laconique l’ayant remplacé. Les vacances dans le bercail familial étaient trop courtes, il y avait de quoi prendre cet air grave. À leur départ, un refrain familier se faisait entendre de très loin, de l’Alaska, celui d’un phoque pleurant lui aussi sa blonde partie dans un cirque aux États-Unis : « Ça ne vaut pas la peine de laisser ceux qu’on aime Pour aller faire tourner des ballons sur son nez, Ça fait rire les enfants, ça ne dure jamais longtemps, Ça ne fait plus rire personne quand les enfants sont grands. » Qui aurait imaginé qu’un jour nous ayons à déserter notre pays ? Quel degré de décadence avions-nous subi ces derniers temps pour fuir et accepter cette émigration ? Quelle société handicapée subissons-nous, que celle-ci, dépourvue de ses jeunes ? Avions-nous planifié une séparation précoce de nos enfants, une solitude si avancée ? Et les Libanais qui ont choisi de rester ne sont-ils pas eux aussi perdus, séparés de la plupart de leurs parents et amis, n’ont-ils pas la nostalgie des jours passés ? Oui, notre vie à tous a changé, elle est devenue insupportable, compliquée même, risquée. Ces voitures piégées, qui nous empoisonnent la vie, qui s’emparent de la vie d’innocents, et sèment la peur et le dégoût dans le cœur de tous, sont devenues courantes, au point que quelques heures après la catastrophe, tout redevient normal. Sommes-nous devenus indifférents, sans gêne, fatalistes au point de ne plus rien réclamer, de subir tout ce qu’on nous impose, pieds et poings liés ? Les politiciens qui divaguent sur la scène politique libanaise ne réalisent-ils pas le mal causé par leur discorde, les conséquences de ces complots qu’on nous afflige ? Par leur incompétence, les Libanais font face à un avenir sombre, récoltent tous les jours des soucis, des familles éparpillées, des familles endeuillées. Que nous offrent-ils donc à part la ruine de nos espérances, de notre économie et de notre réputation ? Ils décortiquent sans pitié un Liban déchiqueté, blessé, chiffonné. On dirait que l’humanisme et tout ce qui se rapporte à cette doctrine sont oubliés pour eux. Que leurs cœurs se sont durcis d’égoïsme, d’arrogance et de méchanceté. Pourtant, pour gouverner, il faut se fixer un but, une priorité qui est la prospérité du Liban. Il faut détenir toutes les qualités requises pour une impartialité sûre, un jugement sain, une sagesse qui est une égalité d’âme. Pour parvenir à le faire, il faut se munir de la loi de Dieu qui est une loi d’amour et de vérité. L’amour ne s’élève pas au-dessus des autres, mais il se sacrifie aux autres : « Que celui qui veut être le plus grand parmi vous soit votre serviteur ; et que celui qui veut être le premier parmi vous soit le serviteur de tous. » Il nous reste la foi, notre confiance en Dieu, en Sa volonté, en Sa justice sur terre. Notre certitude que le Liban ne peut disparaître comme certains le souhaitent. Au contraire, des jours meilleurs nous seront réservés. Tous les Libanais qui auront émigré seront de retour aussitôt qu’une solution radicale sera adoptée. Comme Lamennais l’avait si bien dit, et nous le croyons : « Leur empire n’aura qu’un temps, et nous touchons à la fin de ce temps. » Article paru le vendredi 25 janvier 2008
« Donnez vos cœurs, mais pas à la garde l’un de l’autre.
Car seule la main de la Vie peut contenir vos cœurs.
Et tenez-vous ensemble, mais pas trop proches non plus :
Car les piliers du temple se tiennent à distance,
Et le chêne et le cyprès ne croissent pas à l’ombre l’un de l’autre. »

Gibran Khalil Gibran, « Le Prophète »

Le sapin brillait de mille feux. Tout...