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Préserver l’ultime verrou

Faire sauter les soupapes de sûreté les unes après les autres : voilà le travail que mènent rondement certaines formations de l’opposition depuis dix-huit mois au moins. La présidence de la République ? K.-O. Le Parlement ? K.-O. La Constitution ? K.-O. La démocratie ? K.-O. La sécurité ? K.-O. L’économie ? K.-O. Le gouvernement ? À moitié K.-O. Et le reste à l’avenant. De tous les principaux verrous protégeant ce qui demeure de l’entité libanaise, de l’idée libanaise, il en est peu qui résistent encore : une presse plus ou moins libre et le patriarcat maronite. Le tour de la première viendra peut-être un jour. Pour le moment, elle semble épargnée, tant que l’opposition se trouve… dans l’opposition et qu’elle en a elle-même besoin. Mais pour ce qui est d’en finir avec Bkerké, le moins qu’on puisse dire est que les grandes manœuvres ont commencé. Ce que représente le rôle du patriarcat maronite pour le Liban, tout le monde le sait à peu près. Nombreux sont toutefois ceux qui, par ignorance de l’histoire et des réalités de ce pays, par mimétisme idéologique inadapté (« les religieux n’ont pas à s’occuper de politique » !) ou simplement par mauvaise foi, n’en mesurent pas l’extrême centralité. Car ce n’est pas uniquement ce qu’on nomme « autorité morale » qui est en jeu ici, cette autorité dont Staline voulut jadis minimiser l’importance chez le pape en la jaugeant par le nombre de divisions blindées à la disposition du Saint-Siège. Entre le patriarche maronite et le Liban, il existe en effet un rapport de nature organique qui se manifeste sur trois plans absolument fondamentaux : d’abord l’existence même de ce pays en tant qu’entité, ensuite son indépendance et sa souveraineté et enfin son système politique. Que Bkerké ait son mot à dire dans ces trois domaines ne relève pas d’une anomalie passagère, pas plus que d’une prérogative consentie par quelque concordat. Certes, comme l’ont expliqué nombre d’historiens sérieux, l’État du Liban contemporain est né de la conjonction de facteurs économiques et culturels qui se sont formés au cours du dix-neuvième siècle (notamment ce fameux axe reliant les sériciculteurs du Mont-Liban, les commerçants de Beyrouth et les soieries lyonnaises) et de leur corollaire matériel que fut l’agrandissement du port de la future capitale. Mais ce ferment historique aurait pu demeurer isolé, stérile, sans une autre conjonction, politique celle-là, mettant en jeu, d’une part, une suite d’événements de première importance, comme la guerre de 14-18, la chute de l’Empire ottoman et la politique française de l’époque, et de l’autre l’action volontaire du patriarcat maronite. Ayant présidé à l’éclosion du nouveau-né, Bkerké se devait encore de surveiller son développement, de l’accompagner jusqu’à sa maturité, de lui éviter les écueils, les pièges, les périls de toutes sortes, de l’aider à se relever chaque fois qu’il tombe. L’histoire retiendra que dans ce dernier rôle, le patriarche Nasrallah Sfeir a accompli un travail de titan. Ce que les anticléricaux primaires devraient essayer de comprendre, s’ils le peuvent, c’est que c’est dans ce sens, et uniquement dans ce sens, que Bkerké « fait de la politique ». Défendre l’entité libanaise lorsqu’elle est menacée – et elle l’est en permanence –, promouvoir son indépendance et sa souveraineté, qui ne sont pas encore entières, et protéger son système politique et sa « formule », tant que les alternatives resteront obscures ou imprécises, voilà en quelques mots résumés le credo et l’action du patriarcat. Que l’on suive ou ne suive pas l’Église (ou les Églises) dans ses réponses aux problèmes de société est une tout autre affaire. Ce qui est en jeu aujourd’hui au Liban, bien avant le mariage civil, la contraception, l’avortement ou l’attitude envers le sida, c’est… le Liban lui-même. Lorsque ce pays cessera de se débattre avec des questions existentielles, lorsqu’il parviendra à se relever par lui-même, lorsque les combats de ses acteurs seront centrés sur les orientations économiques et sociales, alors le patriarche cessera de « faire de la politique ». *** La guerre contre Bkerké a donc été déclarée par les formations chrétiennes de l’opposition. Cela ne signifie pas que leurs partenaires musulmans n’y sont pas intéressés, mais pour des raisons de commodité évidentes, ils se tiennent pour le moment en retrait. Cela étant dit, il convient de souligner que les assaillants sont loin de se ressembler ou de viser les mêmes objectifs, les plus bruyants n’étant pas forcément les plus dangereux. Ainsi, le langage outrancier d’un Sleimane Frangié à l’égard du patriarche Sfeir ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, celle-ci étant représentée par l’assaut total, révolutionnaire, mené en profondeur par le CPL, quoique de manière moins injurieuse. Pour M. Frangié, c’est la stratégie politique du patriarche qui est à refaire. Pour le général Michel Aoun et ses partisans, c’est le rôle, le statut et le symbolisme de Bkerké qu’il faut abattre. L’ancien député de Zghorta a une grande qualité : il est d’une transparence qui ne se dément jamais. Il appartient à une catégorie d’hommes politiques maronites traditionnels convaincus que le salut des chrétiens du Liban passe par une bonne entente avec la puissance régionale voisine, même si cette bonne entente doit s’ériger sur les ruines de l’indépendance libanaise. Du moment que le patriarche maronite ne partage pas ce point de vue, M. Frangié se considère en droit de l’attaquer sur sa politique. Son style impulsif fait le reste. Il en est tout autrement de l’approche du CPL, un courant clairement engagé dans un combat destiné à frapper en profondeur l’ensemble du système et de l’establishment du pays, ce que les partisans du général Aoun nomment « le féodalisme politique ». Après tout, l’ex-député zghortiote n’en fait-il pas partie ? Bien sûr, cette finalité du combat mené par le CPL est loin d’être condamnable en soi. Il s’agit d’une option politique aussi honorable qu’une autre. De ce point de vue, le général Aoun a le droit de questionner les fondements démocratiques de l’action de Bkerké, comme il le fait depuis un certain temps, et le député Nabil Nicolas critiquer le fait que les patriarches sont élus par les évêques et non par le peuple. Il reste cependant que cette démarche du CPL, comme l’ensemble de son action depuis les législatives de 2005, s’inscrit sur fond d’alternatives pour le moins obscures et troublantes et dans un style cédant totalement à un populisme de bas étage. Par quoi le courant aouniste veut-il remplacer le système qu’en connivence avec le Hezbollah il cherche à démolir, pierre par pierre ? On ne le sait toujours pas, si l’on met de côté les quelques rengaines populistes répétées au gré des discours de son chef. D’autant que le peu de documents sérieux publiés sur le programme de cette formation n’indique aucun vrai changement. Or c’est précisément cette incertitude sur l’alternative proposée qu’un homme dans la position du patriarche Sfeir ne peut en aucun cas accepter. Non pas qu’il tienne par conservatisme au système tel qu’il est ; mais, sachant l’existence du pays et son indépendance étroitement liées à la formule qui le régit, et étant lui-même garant de cette existence et de cette indépendance, il ne saurait tolérer aucune forme d’aventurisme à cet égard. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la cause des réserves récemment exprimées par le patriarche – à plusieurs reprises – à propos de l’octroi de la « voix déterminante » au président de la République au sein du Conseil des ministres, un aménagement qui pourtant donne plus de pouvoir au chef de l’État maronite, et sa défense du principe de la majorité parlementaire qui gouverne et de la minorité qui s’oppose, le consensus devant être l’exception et non la règle. Or une telle prise de position d’un patriarche cherchant uniquement à rappeler aux hommes politiques qu’il existe au Liban un système et qu’il leur faut le respecter tant qu’il n’a pas été changé ne peut manquer d’irriter au plus haut point une formation qui, le plus étrangement du monde, accuse le gouvernement de violer une Constitution qu’elle taille elle-même quotidiennement en pièces. Mais il y a plus troublant encore. Même si le CPL menait son combat contre le système avec davantage de transparence sur ses projets ultérieurs, il resterait la concomitance avec l’autre bataille en cours, celle que livre la Syrie pour maintenir son emprise sur le Liban. Est-ce un hasard si Sleimane Frangié et Nabil Nicolas ont parlé le même jour contre Bkerké ? Face à ces attaques, il n’y a aujourd’hui qu’une seule riposte possible : défendre le patriarche, tout ce qu’il représente. Le sort du Liban en dépend. Rien de moins. Élie FAYAD
Faire sauter les soupapes de sûreté les unes après les autres : voilà le travail que mènent rondement certaines formations de l’opposition depuis dix-huit mois au moins.
La présidence de la République ? K.-O. Le Parlement ? K.-O. La Constitution ? K.-O. La démocratie ? K.-O. La sécurité ? K.-O. L’économie ? K.-O. Le gouvernement ? À moitié K.-O. Et le reste à l’avenant.
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