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Actualités - OPINION

Le temps des fraises Émilie SUEUR

Il y a une semaine, j’ai mangé des fraises. Dans leur boîte de polystyrène blanc, elles étaient charnues, fermes, d’un rouge vibrant. En un mot, appétissantes. Ma première pensée fut radicale : des fraises aussi belles en janvier ? Elles sont assurément dopées. Leur « ramage » doit être à des années-lumière de leur « plumage ». Erreur ! La fraise était délicieuse. Sucrée et dotée d’un tel goût de fraise que s’est immédiatement imprimée dans mon esprit l’image d’un Charlie Chaplin des temps modernes armé d’une grosse seringue et injectant, sur ordre d’un Frankenstein de Monsanto au rictus inversé, un arôme synthétique dans les petits fruits rouges alignés au garde-à-vous sur un tapis roulant dans une usine aseptisée. Ma deuxième pensée fut plus géopolitiquement écologique. Des fraises en janvier ? En voilà une belle contribution au réchauffement climatique. Pour être aussi savoureuses, ces fraises viennent de loin et ont dû traverser l’équateur dans la soute d’un gros avion-cargo dont l’« empreinte carbone » explique pourquoi, pour la première fois en 100 ans, il neige à Bagdad alors que les Mecquois barbotent dans un mètre d’eau. Comme le dit mon grand-père, maître d’un grand et généreux verger, chaque fruit à sa saison. Ma petite-fille, à Noël, ce n’est pas des fraises qu’on mange, mais des clémentines. Et si tu as envie de fraises en janvier, tu patientes. Patienter. Voilà bien un concept largement dépassé. L’heure n’est pas à la patience, mais à l’assouvissement immédiat des envies et au rendement, à savoir le rapport entre le temps ou l’argent alloué à une tâche et le résultat obtenu. Pour booster le rendement, on donne donc des farines animales aux moutons. Après la vache folle et le poulet grippé, le mouton, placide herbivore, est transformé en « carnivore ». Tu parles d’un rebondissement. De quoi décourager le meilleur scénariste d’histoires de science-fiction, quand il n’est pas en grève bien sûr. Mardi, notre belle humanité a franchi une nouvelle étape dans la course à l’innovation sur le contenu de nos assiettes. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration, FDA pour les intimes, a donné son feu vert à la commercialisation de produits d’animaux clonés, les jugeant sans risque pour la consommation humaine. Les Américains devraient donc bientôt se taper les frères et sœurs de Dolly, première brebis clonée, le dimanche en famille. Loin d’être une intégriste de l’écologie, je suis plutôt une adepte des recherches en génétique en ce qu’elles peuvent sauver des vies. Le coup du steak cloné me reste toutefois quelque peu en travers de la gorge. Pas qu’il soit potentiellement pire que certains hamburgers ou autres surimi, mélange de déchets de poissons javellisés avant d’être aromatisés... À la limite, un clone d’une belle charolaise ne peut pas donner un résultat complètement mauvais au niveau des papilles. Le problème est ailleurs, à un niveau psychologique, symbolique. Voire esthétique. L’idée d’un champ ou d’une étable où seraient alignées des vaches parfaitement identiques, avec la même tache noire, au même endroit, entre les yeux, a de quoi donner des frissons. À l’heure où la banquise fond à vue d’œil, où les baleines maigrissent en raison de l’impact du réchauffement des eaux sur le plancton, leur principale source d’alimentation, où Knut, ourson polaire né en captivité, est érigé en icône internationale alors que le monde redoute une disparition de ses congénères sauvages, où neuf rivières sur dix sont polluées aux pesticides en France..., j’ai une pensée émue pour sir Edmund Hillary, cet alpiniste néo-zélandais, premier conquérant de l’Everest, qui nous a quittés la semaine dernière. Un homme qui avait utilisé sa renommée et ses exploits pour construire des hôpitaux et des écoles, pour tirer la sonnette d’alarme sur l’accumulation de déchets au sommet de sa montagne devenue destination à succès du tourisme commercial. Sir Edmund s’envoyait certainement des fraises en janvier. Mais en Nouvelle-Zélande, en janvier, c’est l’été.
Il y a une semaine, j’ai mangé des fraises. Dans leur boîte de polystyrène blanc, elles étaient charnues, fermes, d’un rouge vibrant. En un mot, appétissantes. Ma première pensée fut radicale : des fraises aussi belles en janvier ? Elles sont assurément dopées. Leur « ramage » doit être à des années-lumière de leur « plumage ». Erreur ! La fraise était délicieuse. Sucrée...