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Actualités - OPINION

Un cocktail explosif Émilie SUEUR

Sur un continent tourmenté, le Kenya faisait figure de modèle de stabilité politique. Jusqu’à l’élection présidentielle et l’annonce de la réélection de Mwai Kibaki. Un résultat contesté par son concurrent, Raila Odinga, qui a accusé le président sortant de fraudes. Rapidement, la crise politique s’est transformée en affrontements de rue, d’abord entre les partisans d’Odinga et les forces de l’ordre, ensuite entre l’ethnie Luos, à laquelle appartient le candidat malheureux, et celle des Kikuyus, à laquelle appartient Kibaki. Au-delà du scrutin lui-même, dont de nombreuses puissances internationales ont mis en cause la probité et au sujet duquel le procureur général kenyan a demandé hier l’ouverture d’une enquête indépendante, une question d’ordre plus largement économique et politique sous-tend les tensions. Économiquement, certains chiffres alignés par le Kenya sont impressionnants. Depuis la première élection en 2002 de Kibaki, qui sonnait le glas du règne de 24 ans de Daniel Arap Moi, la croissance kenyane fait rêver. En 2006, elle atteignait 6 %. Un chiffre séduisant pour les investisseurs qui se sont alors intéressés au Kenya. Une large partie de la population kenyane n’a toutefois pas bénéficié de cette manne économique et vit toujours sous le seuil de pauvreté, à savoir avec un dollar par jour. Le taux de chômage est en outre explosif. Le niveau de corruption au Kenya explique en grande partie cette non-redistribution. Corruption que s’était pourtant engagé à éradiquer Kibaki. Or son premier mandat n’a contribué qu’à prolonger l’ère du clientélisme. Au chapitre des promesses non tenues, figure également celle faite à Odinga en 2002. Avant son élection, Kibaki s’était engagé à attribuer à Odinga le poste de Premier ministre. Ce qu’il n’a pas fait. Une décision qui a inéluctablement propulsé Odinga et ses partisans dans l’opposition. Il se trouve que ces derniers appartiennent à l’ethnie Luos. Kibaki et les siens appartiennent à l’ethnie des Kikuyus. Au Kenya, l’appartenance ethnique, pour des raisons de clientélisme, décide de l’appartenance politique. Les Luos forment, en outre, le gros des habitants des bidonvilles qui entourent la capitale, Nairobi. Une pincée de misère économique, une dose de facteur ethnique, le tout agrémenté d’une trahison politique, avec un assaisonnement saveur fraude électorale : le cocktail était explosif. Les Kényans en avaient d’ailleurs déjà eu un avant-goût en 1997, quand des affrontements avaient opposé les Kikuyus aux Kalenjin, l’ethnie à laquelle appartient Daniel Arap Moi. Aujourd’hui, le monde fait pression pour que les tensions tombent. Pressions indispensables car une explosion du Kenya, seule ouverture sur la mer des pays enclavés de la région des Grands Lacs, poserait de réels problèmes d’approvisionnement pour ses voisins. Voisins, tels la Somalie ou le Soudan, par ailleurs réputés pour leur instabilité. Nairobi, en raison de sa stabilité, du moins jusqu’aux élections, abrite en outre les centres régionaux de nombreuses ONG et compagnies internationales. Le retour au calme est urgent, non seulement pour mettre fin aux massacres, mais également pour éviter que le conflit ne prenne une proportion régionale, dont les conséquences géopolitiques et économiques seraient, à n’en point douter, des plus graves.
Sur un continent tourmenté, le Kenya faisait figure de modèle de stabilité politique. Jusqu’à l’élection présidentielle et l’annonce de la réélection de Mwai Kibaki. Un résultat contesté par son concurrent, Raila Odinga, qui a accusé le président sortant de fraudes. Rapidement, la crise politique s’est transformée en affrontements de rue, d’abord entre les partisans...