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Actualités - OPINION

Liban, Belgique  La question du pluralisme culturel Bahjat RIZK

Le pluralisme culturel au Liban est une réalité de laquelle découle le pluralisme politique qui régit le Liban depuis sa création en 1920 et son indépendance en 1943. Tous ses aménagements politiques ne sont (au-delà de leur contenu) que pour refléter cette réalité libanaise avec ses acquis, ses fragilités. Pour comprendre la problématique libanaise, il faudrait intérioriser ce pluralisme culturel religieux qui appartient à tous les Libanais et qui donne au Liban sa raison d’être. Le Liban n’est pas le seul pays à vivre ce pluralisme culturel. D’autres pays se sont structurés autour d’une idée pluriculturelle, autant dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement. Dans la première catégorie, on a eu recours à un système fédéral (Belgique, Suisse, Canada), dans la seconde catégorie à une dictature pour maintenir de force l’unité du pays (Irak, Syrie, Égypte). La question du pluralisme culturel touche aujourd’hui à l’heure de la mondialisation, toutes les sociétés, autant les pays pluricommunautaires que les États-nations. Le problème de l’immigration aujourd’hui pose la question des différences culturelles. Un exemple en est les violences récurrentes de manière cruciale dans les banlieues parisiennes. Le développement des moyens de communication et les flux migratoires ont entraîné une interpénétration des espaces culturels sources de conflits (cf le rapport mondial sur la culture de l’Unesco en 2000, sous le titre de « Diversité culturelle, pluralisme et conflits »). Pendant 64 ans, le Liban a oscillé entre le compromis intercommunautaire toujours à négocier et la tentation du gouvernement militaire jamais aboutie. Pour pouvoir comprendre la situation libanaise, il serait intéressant de la comparer à celle de sociétés pluralistes qui, comme le Liban, traversent des crises identitaires. Le Liban et la Belgique ont vécu ces derniers mois une crise parallèle et identique. Le Liban essaie de la résoudre pour maintenir l’unité du pays en faisant accéder de manière « démocratique » pour la quatrième fois un militaire à la première magistrature (général Chehab, 1958-1964, général Aoun, 1988-1990, général Lahoud, 1998-2007, général Sleimane 2007-…). La vie politique libanaise, qui commence avec l’indépendance du Liban en 1943, et le pacte national réactualisé et ajusté par les accords de Taëf de 1989, a été parcourue de crises successives, et de luttes internes (intracommunautaires et intercommunautaires) et externes (régionales avec la Syrie et Israël). Au-delà du récit des événements et de leur enchevêtrement , force est de reconnaître que la structure libanaise est elle-même paradoxale parce qu’elle voudrait contrer une logique fédérale de communautés au sein d’une logique unitaire d’État-nation. Le seul bien commun des Libanais, c’est le pluralisme culturel qui leur appartient à tous, qui est leur histoire commune, mais qui n’est traduit dans aucun livre scolaire, aucun manuel d’enseignement adopté par toutes les écoles libanaises autant du secteur privé que public. Une réforme éducative est indispensable avant toute réforme politique car elle vise à asseoir ce concept de pluralisme culturel religieux (dialogue des cultures) comme base de l’identité commune libanaise. Si cette base n’a pas été intériorisée dès l’enfance, le système politique n’est qu’un projet de luttes fratricides et de guerres civiles interminables. Il faudrait instituer un débat autour de cette identité pluriculturelle libanaise pour couper la voie aux projets d’hégémonie des différentes communautés sans avoir recours à la dictature militaire (qui est elle-même entravée par le pluralisme communautaire). L’expérience libanaise est essentielle à l’heure où le pluralisme culturel religieux est appelé à devenir une des sources les plus violentes et les plus idéologisées des conflits du siècle à venir. L’expérience de la Belgique a montré qu’un pluralisme culturel (linguistique dans ce cas) qui n’a pas été intériorisé est appelé tôt ou tard à faire éclater l’entité nationale. La Belgique, comme le Liban, s’est constituée, presque un siècle avant (1830), autour de deux communautés linguistiques majoritaires (wallonne, 39%, et flamande, 60%) et une communauté linguistique minoritaire (germanophone 1%). Bruxelles, la capitale juridique du Royaume de Belgique et capitale institutionnelle de l’Europe, étant à 85% francophone mais située dans la partie flamande du pays. Tout le débat tourne autour du statut de Bruxelles (bilingue officiellement, mais pratiquement francophone) et sa périphérie (peuplée de francophones travaillant à Bruxelles, mais installés dans un espace flamand). Encore une fois, il s’agit d’un pluralisme culturel (linguistique) qui ne parvient pas à constituer une unité nationale cohérente. Le roi, autorité morale (un peu à l’instar du patriarche maronite libanais), qui assure le lien symbolique entre les deux communautés, a confié la présidence du gouvernement fédéral (depuis 1993) à un Premier ministre chrétien-démocrate flamand issu des élections de juin 2007 qui n’est pas parvenu à former un gouvernement. L’expérience fédérale, qui a parfaitement réussi en Suisse grâce au découpage géographique cohérent des cantons, fait défaut en Belgique où Bruxelles demeure un espace central que chaque communauté essaie de s’accaparer (les Flamands essaient de s’introduire à Bruxelles, les Wallons de s’étendre à la périphérie). Cet espace demeure conflictuel de manière latente car les deux communautés espèrent conquérir une certaine cohérence géographique qui élargisse leur espace culturel et politique. C’est également le cas à Jérusalem où les deux communautés, musulmane arabe et juive israélienne, revendiquent un espace symbolique spirituel et culturel qui leur est vital et fonde leur discours identitaire. Le pluralisme culturel linguistique a été géré jusqu’ici de manière plus heureuse au Canada où la communauté francophone apprend l’anglais (langue internationale) à des fins utilitaires, l’inverse n’étant pas vrai. Le Canada francophone comme les pays d’Amérique latine hispanophones souffrent de l’envahissement linguistique, culturel et politique de leur voisin anglo-saxon. Les États-Unis ont voulu par ailleurs, tout récemment, ériger un mur vis-à-vis de leurs voisins mexicains alors qu’à la chute du mur de Berlin, les Allemands de l’Ouest (60 millions) ont consenti des sacrifices économiques énormes pour intégrer les Allemands de l’Est (20 millions) dont ils ont été séparés durant presque cinquante ans (1945-1990). Mais comment vivre le pluralisme comme un enrichissement plutôt que comme une menace ? Les mécanismes de structuration identitaire collective sont constants depuis 2500 ans. Hérodote, le père de l’histoire, les a définis lors des guerres médiques : « Il y a le monde grec uni par la langue, le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs et nos mœurs qui sont les mêmes. » * Ces mêmes paramètres se retrouvent dans le 1er article de la Charte de l’Unesco (1946) : « Les droits de l’homme sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. » L’idéal humain serait de parvenir à une application de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies (dont nous célébrons le 60e anniversaire le 10 décembre 1947), au-delà des nations. Mais en attendant, la question de la nation demeure incontournable parce qu’elle est structurante, et le pluralisme culturel doit être géré au mieux, qu’il soit religieux, linguistique, racial ou de mœurs. Peut-on accepter une identité pluriculturelle ? Autrement dit, être en même temps identique et différent, être ensemble tout en étant différent et mettre en commun ces différences comme un patrimoine commun ? Depuis 5 000 ans, depuis le début de la culture, la terre est traversée de conflits sociaux et culturels qui sont basés sur les lois de la sélection, de la domination et de la disparition. Comment faire pour que ces différentes religions, races, langues et mœurs puissent coexister ensemble harmonieusement sur la planète sans que l’une d’entre elles n’élimine les autres ? Comment faire pour réconcilier et identifier l’humanité à elle-même ? Comment dépasser le stade de l’instinct de conquête et de survie ? Comment inscrire sa relativité dans son propre absolu ? Bahjat RIZK Écrivain libanais Auteur de « L’identité pluriculturelle libanaise » (id. livres, 2001) * « L’enquête », livre VIII, paragraphe 144. Article paru le vendredi 4 janvier 2008
Le pluralisme culturel au Liban est une réalité de laquelle découle le pluralisme politique qui régit le Liban depuis sa création en 1920 et son indépendance en 1943. Tous ses aménagements politiques ne sont (au-delà de leur contenu) que pour refléter cette réalité libanaise avec ses acquis, ses fragilités. Pour comprendre la problématique libanaise, il faudrait...