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Actualités - OPINION

Le Point Pour quelques voix

C’est sur les bords du lac Turkana, qualifié depuis de « berceau de l’humanité », que Richard Leakey et son équipe devaient découvrir des traces de l’homo erectus remontant à 1,6 million d’années. C’est au pays du Kilimandjaro, des plus belles plages de l’océan Indien et des safaris que Clark Gable n’aurait pas regrettés que l’on vient d’enregistrer les pires atrocités de l’année (plus de 300 tués, en majeure partie des enfants, en deux jours). Une fois de plus, une fois de trop un hideux processus de nettoyage ethnique se met en place, qui menace non seulement le Kenya où il se produit, mais aussi de larges portions de cette Afrique toujours prompte à s’embraser et lente à prendre en marche le train de la démocratie. Pendant que le pays, désormais coupé en deux, ne sait plus à quel président se vouer, le président de la commission chargée de superviser cette bien étrange consultation populaire vient de ranimer la flamme des haines interethniques, en avouant – un peu tard – ne pas être sûr d’avoir pris la bonne décision. « Je ne sais pas si Mwai Kibaki a gagné », a fini par reconnaître le brave Samuel Kivuitu, après avoir proclamé la réélection du chef de l’État sortant, avant de s’en remettre à la justice, appelée à trancher dans les plus brefs délais si l’on veut éviter le pire. Le pire consisterait à voir le rassemblement prévu pour aujourd’hui jeudi à l’Uhuru Park de Nairobi, où sont attendues un million de personnes, tourner au plébiscite en faveur de Raila Odinga, autrement dit à une cassure définitive entre les tribus Luo et Kikuyu, débouchant inéluctablement sur l’éclatement du pays. Que de chemin à rebours parcouru en cinq ans, après la défaite de Daniel Arap Moi, chef de l’État durant près d’un quart de siècle, des mains du même Kibaki, tombeur aussi du parti Kanu au pouvoir depuis quarante ans ! Le nouvel élu s’était engagé alors à combattre la corruption, qui gangrène l’administration tout autant que le secteur privé, et à doter le pays d’une nouvelle Constitution. Des promesses demeurées sans suite : la nouvelle Loi fondamentale, est-il rapidement apparu, avait été taillée à la mesure de celui qui l’avait inspirée. Quant aux scandales, ils s’étaient multipliés, touchant des ministres et le proche entourage du président, impliqués dans des marchés fantômes de dizaines de millions de dollars. Piètre consolation pour l’homme de la rue : la croissance avait pris un démarrage en flèche, frôlant une moyenne annuelle de quelque 6 pour cent, contre 0,5 pour cent sous l’ancien régime. Mais les bienfaits du miracle atteignaient la seule classe de nantis ; le Kényan moyen, lui, continue à se contenter d’un revenu par tête d’habitant de 471 dollars, selon les chiffres officiels. Inquiets devant la crise née au soir du 27 décembre dernier, les économistes craignent le pire pour le nouveau « tigre » africain que les investisseurs pourraient bien vite bouder, au profit des voisins ougandais et tanzanien. Des mouvements d’exode sont déjà signalés, en particulier à Eldoret où une église a été mise à feu. La violence pourrait, dans les prochaines heures, gagner les banlieues de la capitale où des gangs ont déjà fait leur apparition. La communauté internationale, elle, se contente de prêcher la bonne parole, à l’instar de Gordon Brown, imbattable dès lors qu’il s’agit de servir à l’opinion publique les clichés les plus éculés. Exemple : « Je veux les voir entamer le dialogue, dans un esprit de réconciliation et d’unité retrouvée. » Les États-Unis refusent pour l’instant de s’engager, et on comprend pourquoi : l’aide du gouvernement kényan avait été particulièrement efficace, dit-on, dans la lutte contre les islamistes somaliens… Viendrait-elle à se prolonger que la passivité des Grands mènerait droit à un scénario à la rwandaise, avec déplacements massifs de populations, crise socio-économique et éclatement pur et simple d’un pays qui a accédé à l’indépendance il y a tout juste quarante-quatre ans. Promise dans les heures à venir par l’ancien faiseur de présidents désireux de devenir calife à la place du calife, la nouvelle « révolution orange » peut accélérer ce mouvement vers l’abîme, pour peu que le pouvoir mette à profit sa menace de l’interdire par la force. C’est que la voie de la contestation légale n’est plus praticable, Agwambo (« le mystérieux », surnom en langue dholuo donné affectueusement à Kibaki par ses partisans) ayant pris soin de prêter serment immédiatement après la proclamation officielle des résultats du scrutin. Il reste donc un nouveau recours à la vox populi, sans les urnes. Un moyen que les médias ont d’ores et déjà condamné. Ainsi, l’influent quotidien The Nation jugeait-il hier qu’ « on ne peut pas laisser cette folie continuer ». Bien sûr que non, dans l’absolu. Mais dans la réalité… Voyez plutôt le (mauvais) exemple de la Côte d’Ivoire, de la Somalie, du Rwanda, de la Sierra Leone. En attendant peut-être celui d’autres pays. Christian MERVILLE
C’est sur les bords du lac Turkana, qualifié depuis de « berceau de l’humanité », que Richard Leakey et son équipe devaient découvrir des traces de l’homo erectus remontant à 1,6 million d’années. C’est au pays du Kilimandjaro, des plus belles plages de l’océan Indien et des safaris que Clark Gable n’aurait pas regrettés que l’on vient d’enregistrer les...