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Actualités - CHRONOLOGIE

Éclairage - L’influence des chefs traditionnels pourrait à terme menacer la stabilité de l’Irak Les Américains jouent la carte risquée des tribus

La nouvelle stratégie américaine en Irak de cooptation d’anciens rebelles mobilisés par des chefs traditionnels pour combattre les insurgés réserve un rôle central aux tribus, mais leur influence pourrait à terme menacer la stabilité du pays. «C’est un pari risqué », explique à l’AFP le Pr Nabil Mohammad Younes, qui enseigne les sciences politiques à l’université de Bagdad. Dès le renversement du régime de Saddam Hussein, en avril 2003, l’armée américaine a tenté de coopérer avec les tribus, en s’inspirant de l’exemple ottoman et britannique. Dans la Revue militaire, organe de réflexion de l’armée américaine, le lieutenant-colonel Michael Eisenstadt déplorait, en octobre 2007, « des résultats en demi-teinte, essentiellement dus à une connaissance limitée du monde très complexe des tribus ». Omniprésentes sous l’Empire ottoman, progressivement marginalisées par l’occupant britannique, les tribus irakiennes ont inexorablement perdu de leur poids avec l’indépendance et la modernisation du pays. Reléguées au second plan sous la monarchie puis par le parti Baas, elles ont retrouvé un peu d’influence à la fin des années 80, lorsque Saddam Hussein, qui s’en méfiait, a toutefois voulu acheter l’allégeance de certains cheikhs. Dès leur arrivée en Irak, les officiers américains, ignorant la complexité du monde tribal, ont commis erreurs et maladresses, selon Michael Eisenstadt. Ils ont ainsi surestimé le pouvoir des cheikhs dans le bastion rebelle de Falloujah en 2004, lorsqu’au plus fort de la bataille contre les insurgés sunnites, le commandement américain exigeait d’eux qu’ils mettent fin aux violences. De même, le commandement américain a collaboré dans d’autres régions du pays avec des cheikhs nommés par l’ancien régime, sans crédibilité aux yeux de leur tribu. Par contre, certains chefs locaux se sont révélés être « d’excellentes sources d’informations, de conseils et d’importants vecteurs d’influence », aidant par exemple à la poursuite des ex-officiels du régime. Début 2007, la mobilisation de milliers de combattants tribaux – pour la plupart d’anciens insurgés – dans la province sunnite d’al-Anbar (Ouest) pour combattre el-Qaëda a donné un nouveau souffle à cette stratégie, selon un récent rapport d’un organisme de réflexion du Congrès américain. L’opération a donné des résultats inespérés, avec la défaite des combattants islamistes et une baisse considérable des violences dans la province. L’exemple d’al-Anbar « a démontré que les tribus, dans certaines conditions, peuvent toujours jouer un rôle décisif », commentait le lieutenant-colonel Eisenstadt. Cette stratégie est désormais mise en œuvre à Bagdad et dans plusieurs autres provinces mixtes. Elle est expérimentée dans le sud chiite avec cette fois en ligne de mire l’Armée du mahdi, la puissante milice du chef radical chiite Moqtada Sadr. Mais le recours aux tribus, rétives à l’autorité centrale, jalouses de leur indépendance et dont la loyauté va souvent au plus offrant, comporte des risques, préviennent les experts. Pour le Pr Younes, la politique tribale de Washington « se fait sur le principe du “diviser pour mieux régner” » et encourage sciemment la fragmentation du pays en multipliant les pouvoirs locaux, au détriment d’un État central fort. « Si l’occupation se poursuit, tôt ou tard, les intérêts des milices tribales iront contre ceux de l’occupant », prévient-il. Il y a un risque à renforcer ces milices au détriment des institutions et de la société civile, reconnaît sur son blog (smallwarsjournal) le colonel australien David Kilcullen, l’un des artisans de la politique tribale de la coalition. Une inquiétude partagée par la prestigieuse revue américaine Foreign Policy, qui prévenait en septembre : « Les sauveurs d’aujourd’hui pourraient très facilement devenir les ennemis de demain. » Hervé BAR (AFP)
La nouvelle stratégie américaine en Irak de cooptation d’anciens rebelles mobilisés par des chefs traditionnels pour combattre les insurgés réserve un rôle central aux tribus, mais leur influence pourrait à terme menacer la stabilité du pays.
«C’est un pari risqué », explique à l’AFP le Pr Nabil Mohammad Younes, qui enseigne les sciences politiques à l’université de...