IMPRESSION Dans les jupons de Scarlett

Construire et instruire. Voilà à quoi s’acharnent discrètement les Libanais quand sous les feux de la rampe leurs dirigeants saoulent le monde de leurs conflits nauséeux. De rampe, nous n’avons que ce long parapet sur la mer où l’horizon nous magnétise. Qui n’a pas de famille par là-bas ? Enfants, petits-enfants, frères, sœurs, cousins, tous partis. C’est pour eux que nous avons gardé le goût de la fête, pour eux que nous ravalons la façade et nos amertumes, pour eux que nous avons envie de rester jeunes et beaux. Pour que le temps s’arrête jusqu’à leur retour. Pour eux, construire des maisons qu’ils achètent les yeux fermés comme on achète l’avenir, comme on conjure l’exil, comme on agite l’ail en grelots à la face de l’Apocalypse et de ses anges menteurs. Pour qu’ils soient moins seuls, instruire les étudiants qui iront les rejoindre. Les entreprises étrangères raflent, dit-on, des promotions entières, à peine tiédis les bancs des facultés. Dans quelques petits jours, ce pays ne sera sans doute plus le même. Comment franchirons-nous ces Quarantièmes rugissants à bord de notre frêle esquif ? Comme toujours nous dédaignerons le fracas qui nous crève la coque. Qu’importe que tout sombre, tant que l’œil accroche ce peu d’ailleurs vers lequel l’âme entière est tendue. Dans notre folie ordinaire, nous surveillerons l’avancée des travaux, le progrès des révisions, l’agencement des vitrines. Nous irons, vêtus d’organza rouge, le jupon bouillonnant, avatars tenaces de Scarlett dans les ruines de Tara, préparer leur retour. Car ils rentrent pour Noël. Ils l’ont promis. L’attente nous ronge, mais l’attente nous immunise. Advienne la fin du monde, c’est d’attendre que nous survivrons. Fifi Abou Dib