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Actualités - CHRONOLOGIE

CORRESPONDANCE - L’Abou Ghraib de Botero sur cimaises washingtoniennes Comme « Guernica », pour que l’on n’oublie pas WASHINGTON, d’Irène MOSALLI

Ils ont la même morphologie, tout en chair débordante, mais cette fois sans le cigare du bon vivant et sans l’extravagance et le ludisme démesurés qui sont sa marque… Il s’agit des personnages à travers lesquels Fernando Botero évoque la prison d’Abou Ghraib, sujet qu’il a traité en dessins et peintures exposés pour la première fois à Washington, sur les cimaises de l’American University. Les terribles images qui ont circulé dans les médias sur les atrocités commises par les États-Unis à la prison d’Abou Ghraib, en Irak, ont profondément marqué le célèbre peintre colombien qu’est Botero. Il a alors décidé de réaliser une série de dessins et de peintures sur la torture des prisonniers irakiens par le personnel de sécurité US, comme autrefois Picasso, choqué par les atrocités de Guernica, avait réalisé une grande fresque antiguerre à la mémoire des personnes massacrées. Pour Botero, l’art est « une permanente accusation » mais, dans ses œuvres, le sien est doublé d’une grande révolte. À noter qu’il a refusé de vendre ces toiles, pour leur valeur en tant que témoignage et parce qu’il ne veut pas profiter de la souffrance des autres, préférant les offrir à des musées. Cette représentation des scènes de brutalité et de violence est une visualisation de ce qui s’est passé derrière ces barreaux de la honte. Elle a été réalisée pour que l’on n’oublie pas. Elle donne à voir des prisonniers entassés, suspendus, en train d’être battus, les pieds et les mains liés. Ils ont tous un bandeau rouge sur les yeux. Sur leurs corps, toujours corpulents, seulement des traits rouges et pas de traces de blessures ou autres contusions. Ce sont leurs positions qui suggèrent la torture, les souffrances et l’humiliation. « Anti-inhumanité » Ces créations transpirent l’indignation contre une injustice, une violence, sans raison ni justification, qui touchent à l’abjection. Les grands champs de couleurs et les volumes de Botero, qui transforment ses personnages en prototypes en créant une distanciation, se confrontent dans ce contexte à la douleur et à l’ignominie d’une des histoires les plus bouleversantes et les plus médiatisées de ces dernières années. Botero a expliqué comment il a commencé ces séries sur Abou Ghraib : « Le monde entier et moi-même avons été très choqués du fait que les Américains torturaient des prisonniers dans la même prison que le tyran qu’ils étaient venus chasser. Les États-Unis se présentent comme des défenseurs des droits de l’homme et, bien sûr, en tant qu’artiste, j’ai été très choqué et en colère. Plus je lisais sur ce sujet, plus je devenais motivé… Alors, me trouvant en avion, j’ai pris un crayon et du papier et j’ai commencé à dessiner. Puis je suis arrivé à mon studio et j’ai continué par des peintures à l’huile. J’ai étudié toute la documentation que je pouvais trouver. Cela n’avait aucun sens de copier, j’essayais de visualiser ce qui se passait réellement là-bas. » Il lui a fallu un an pour réaliser cette série qui a été exposée pour la première fois à New York. Ce qui lui a valu d’être accusé d’antiaméricanisme. Sa réponse : « Ce n’est pas antiaméricain. Antibrutalité, anti-inhumanité, oui. » Âgé aujourd’hui de 75 ans, Fernando Botero avait quitté la Colombie, son pays natal, pour poursuivre des études d’art plastique en Espagne et en Italie. Il a aussi séjourné à Mexico Ville et aux États-Unis. Il vit actuellement à Paris. Comme on le sait, les œuvres, très personnelles, de ce grand interprète de son temps sont entrées dans l’imaginaire universel par une synthèse d’ironie, de sympathie, de tendresse et de lucidité. Et son cri de douleur qu’est sa série sur Abou Ghraib pourrait réaliser ce qu’il a ainsi exprimé un jour : « Lorsque l’art entre dans une maison, la violence en sort. »
Ils ont la même morphologie, tout en chair débordante, mais cette fois sans le cigare du bon vivant et sans l’extravagance et le ludisme démesurés qui sont sa marque… Il s’agit des personnages à travers lesquels Fernando Botero évoque la prison d’Abou Ghraib, sujet qu’il a traité en dessins et peintures exposés pour la première fois à Washington, sur les cimaises de...