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SPECTACLE - « Couvre-feu » de Mehned Alhadi au théâtre Tournesol (rond-point Tayyouné) Scènes de déroute à Bagdad

Un titre éloquent pour un pays livré aux démons de la guerre. De l’Irak blessé et en déroute, un théâtre plein de vitalité, d’émotion et d’humour, même s’il est noir ! Au théâtre Tournesol (Shams), sis rond-point Tayyouné, se joue sur scène le drame des Irakiens entre mitrailles, chaos, conflagrations, vols assourdissants de bombardiers, bruits menaçants d’hélicoptères, dynamitages, terreur et mort absurde. Mort atroce où la compassion ne suffit certainement pas… Images banalisées au quotidien pour un pays qui est sorti du rang d’une vie ordinaire et qu’il ne rattrapera pas de sitôt, selon les propres termes des protagonistes. Sous les spots des projecteurs, deux personnages, cousins germains mais bien irakiens des deux pauvres hères d’En Attentant Godot, de Beckett. Par conséquent, flot nerveux de paroles avec deux errants qui attendent la délivrance et un peu de lumière. Pire qu’un écran de télévision ou une manchette de journal, voilà une pièce intitulée Hazr Tajawol (Couvre-feu), écrite et mise en scène par Mehned Alhadi, pour décrire le malheur de souffrir. Titre qui en dit d’ailleurs long sur le contenu d’un opus témoignant de l’état d’une situation irakienne instable et violente qui dépasse tout entendement. Témoignage, critique, état des lieux, moquerie, dérision, cynisme, humour noir grinçant, angoisse, cauchemar ? Tout cela à la fois que ce dialogue de fous et de sourds, entre deux personnages du peuple dont le métier de cireur de chaussures et de nettoyeur de voitures n’a rien de bien intellectuel. Et pourtant rien n’échappe aux regards acerbes et au verbe pertinent de ces deux lurons qui ont toujours foi en la vie et en leur dignité. On rit clair et haut (même si c’est grinçant), dans cet univers misérable et misérabiliste, à certaines allusions du monde dit civilisé entre publicité pour détergent et gargarisme intellectuel où Lady Macbeth n’arrive pas à laver sa criminelle tache de sang… Leurs propos les dépassent tant les situations aberrantes et surréalistes qu’ils vivent sont surprenantes dans un monde en décomposition… Dans un décor plus que minimaliste (excellente idée signée Hamed Kateh), fait d’un mur en bois qui sera à la fois prison, abri, refuge ou simple tremplin pour jeter son paquet de mots face au public, les deux acteurs s’agitent, l’un avec son seau d’eau et de savon et l’autre avec sa boîte à cirage. Risible et émouvante agitation pour des êtres pris dans l’étau des pièges qui se referment sur leurs proies sans pitié ni explication…Et entre ces deux exclus de la société, clochards sublimes à la sagesse empreinte de résignation mais aussi de révolte, la sécurisante complicité de vivre en commun, la peur au ventre, la misère et le désarroi. L’interminable attente Grillant une clope, commentant les événements avec flash-back de la chute d’un tyran, se querellant pour des broutilles comme tout couple d’amis, évoquant (et invoquant) leurs souvenirs pour ne pas perdre leur identité, ces deux êtres, le temps d’une nuit dont l’aurore tarde à pointer, parmi les 22 millions d’Irakiens que nul aujourd’hui n’arrive à sauver de toutes les dérives, attendent… Attendent la délivrance, la lumière, la justice, l’ordre. Attendent de comprendre ce qui leur arrive, dans cette inqualifiable débandade, après Saddam Hussein… Et cette délivrance, cette lumière, cet ordre, cette justice, cette dignité tardent à venir. C’est sur note sombre que se termine la pièce, quand les personnages annoncent sans sourciller que, une fois de plus, Bagdad a toutes les artères bloquées… Les deux acteurs, Raed Mouhsen et Samr Khatan, une sorte de perche à la Don Quichotte flanqué de son pansu et trapu Sacho Pansa, font admirablement la paire pour dénoncer une guerre qui s’est sinistrement installée comme un fait acquis. Un texte qui, sans effet et grâce de style, tout en ne bannissant ni la description ni l’anecdote, a du relief sans tomber dans l’oiseux ou le trivial, et un jeu d’acteurs sobre et convaincant. On peut passer outre l’accent, les intonations et les idiomes irakiens, la langue arabe restant parfaitement compréhensible dans sa musicalité et sa déclamation. Un bon moment de théâtre qui fait prendre conscience des dérives politiques qui font, hélas, tache d’huile partout dans le monde… Edgar DAVIDIAN
Un titre éloquent pour un pays livré aux démons de la guerre. De l’Irak blessé et en déroute, un théâtre plein de vitalité, d’émotion et d’humour, même s’il est noir !
Au théâtre Tournesol (Shams), sis rond-point Tayyouné, se joue sur scène le drame des Irakiens entre mitrailles, chaos, conflagrations, vols assourdissants de bombardiers, bruits menaçants...