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Actualités - REPORTAGE

Cengiz Aktar, expert en relations turco-européennes, analyse pour « L’Orient-Le Jour » l’état actuel du processus d’adhésion Le chemin de la Turquie vers l’Union européenne est encore long Rania MASSOUD

Demain, la Commission européenne doit publier son rapport annuel sur les progrès enregistrés par la Turquie dans ses négociations d’adhésion à l’UE. Mais alors que la Turquie menace le Kurdistan irakien d’une incursion militaire pour éradiquer les rebelles kurdes du PKK, tout semble indiquer que Bruxelles va tenter d’éviter une nouvelle polémique avec Ankara, se contentant de pointer simplement les déficiences et les progrès déjà maintes fois commentés dans ses rapports précédents. Cengiz Aktar, directeur des études européennes à l’Université Bahcesehir d’Istanbul, analyse pour « L’Orient-Le Jour » l’état actuel du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE et explique pourquoi le chemin d’Ankara vers le club des 27 est encore long. L’an dernier, le rapport très critique de Bruxelles sur la Turquie avait conduit au gel de l’ouverture de 8 des 35 chapitres thématiques qui jalonnent les pourparlers d’adhésion, lancés en octobre 2005, en raison de la question chypriote. Même si cette année aucun progrès n’a été enregistré sur cette question – la Turquie refusant toujours de laisser entrer dans ses ports et aéroports les navires et avions chypriotes grecs –, la Commission européenne ne devrait pas en faire un casus belli dans son rapport du 6 novembre. En effet, alors que la Turquie menace d’une incursion militaire dans le nord de l’Irak pour neutraliser les séparatistes du PKK, Bruxelles semble maintenant vouloir calmer les tensions, tout en poussant Ankara à lancer enfin les réformes que les Européens lui réclament. Ces réformes doivent porter notamment sur les droits de l’homme, la liberté d’expression, le rôle de l’armée, ainsi que sur la lutte contre la torture et les mauvais traitements. Le commissaire à l’Élargissement, Olli Rehn, a souligné la semaine dernière que toutes ces réformes devaient être faites rapidement « dans l’intérêt des citoyens turcs, mais aussi pour progresser vraiment dans les négociations d’adhésion ». Depuis deux ans, ces progrès ont en effet été très lents et seuls 4 des 35 chapitres des pourparlers ont été ouverts. Pour Cengiz Aktar, les relations turco-européennes se sont refroidies, Ankara et Bruxelles ayant, chacun de son côté, ralenti les efforts destinés à faire avancer les négociations d’adhésion. « L’état actuel des pourparlers n’a malheureusement pas changé depuis leur coup d’envoi en 2005 », affirme M. Aktar. En effet, si, entre 2002 et 2004, la Turquie a enregistré des progrès considérables au niveau des réformes en amendant son code pénal et en levant l’état d’urgence dans les régions kurdes, Ankara, selon un rapport interne de l’UE, n’aurait plus progressé depuis le début des négociations et aurait même régressé dans certains domaines, comme la liberté de la presse. Selon l’expert en relations turco-européennes, ce ralentissement s’explique par plusieurs raisons, dont la question kurde. « Depuis qu’Ankara a entrepris des réformes en 2004, les séparatistes kurdes du PKK ont multiplié les actes de violence en Turquie. Plusieurs nationalistes conservateurs turcs ont estimé que la garantie de certains droits aux Kurdes de Turquie – comme la reconnaissance officielle de leur langue – a de nouveau alimenté le rêve sécessionniste des rebelles du PKK », explique M. Aktar. Selon lui, les tensions grandissantes entre la Turquie et les séparatistes kurdes à la frontière avec l’Irak n’affecteront pas les relations entre Ankara et Bruxelles. En effet, alors que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, avait reproché, samedi dernier, aux pays européens de ne pas soutenir suffisamment la Turquie dans sa lutte contre le PKK, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe ont condamné les « attentats terroristes » des séparatistes kurdes tout en saluant la « retenue » d’Ankara. L’expert en relations turco-européennes indique par ailleurs que le refroidissement actuel entre la Turquie et l’UE s’explique également par la baisse de l’intérêt manifesté par Ankara à l’égard de l’adhésion. « La Turquie a senti que les termes des négociations proposés par Bruxelles sont vagues et que l’issue n’est pas garantie », affirme-t-il. « Aujourd’hui, les Turcs ont pratiquement oublié l’Union européenne », estime-t-il. Selon M. Aktar, les négociations d’adhésion n’avanceront pas tant que les Européens ne proposeront pas une date butoir à la Turquie. « Ankara a aujourd’hui besoin d’être motivé », indique-t-il. Par ailleurs, côté européen, de plus en plus de pays, comme la France, l’Allemagne et l’Autriche, prônent désormais un partenariat privilégié avec la Turquie plutôt que la perspective d’une adhésion. Lors du sommet européen de Lisbonne, le président français, Nicolas Sarkozy, a déclaré qu’il établissait un lien entre la création d’un « comité des sages » pour réfléchir à l’avenir de l’Union européenne et l’ouverture de nouveaux chapitres de négociation avec la Turquie. « Il va de soi que, dans ces conditions, il n’y aura pas d’ouverture de nouveaux chapitres turcs au mois de novembre et que tout cela est repoussé au mois de décembre », a dit M. Sarkozy. « À ce stade, il devient de plus en plus difficile de prévoir comment aboutiront les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE », constate M. Aktar. Toutefois, malgré la position de Paris face à Ankara, Bruxelles continue de faire des gestes de bonne volonté envers la Turquie. Une semaine avant la publication du rapport, lors d’un débat au Parlement européen, M. Rehn a annoncé l’ouverture prochaine de deux nouveaux chapitres avec la Turquie. Il s’agit de la protection des consommateurs et des réseaux transeuropéens. Il a également appuyé la nouvelle stratégie des eurodéputés qui ont remplacé leurs habituelles menaces envers Ankara par des encouragements au nouveau gouvernement turc. Les eurodéputés ont, en effet, repoussé cette année les amendements qui mentionnaient le génocide arménien, demandant seulement à la Turquie et l’Arménie d’ouvrir « une discussion franche et ouverte sur les événements du passé » et d’engager « un processus de réconciliation. »
Demain, la Commission européenne doit publier son rapport annuel sur les progrès enregistrés par la Turquie dans ses négociations d’adhésion à l’UE. Mais alors que la Turquie menace le Kurdistan irakien d’une incursion militaire pour éradiquer les rebelles kurdes du PKK, tout semble indiquer que Bruxelles va tenter d’éviter une nouvelle polémique avec Ankara, se contentant de...