Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

La parole aux médecins L’hystérie est un discours

Lorsqu’en 1885, Freud, revenant de Paris à Vienne après son stage chez Charcot à la Salpêtrière, parle devant ses collègues médecins d’hystérie masculine, il se fait huer et insulter. En serait-il autrement aujourd’hui ? « Parions que non et ce, malgré, et pour les analystes qui ne veulent toujours pas l’entendre, du fait même, des avancées lacaniennes sur la question. » Quelle question ? Celle de la jouissance Autre, la jouissance féminine, celle que revendique justement l’hystérie, sans pouvoir l’atteindre, à moins de se faire analyser. Et cela est valable autant pour l’hystérie féminine et masculine. Pourquoi ? Qu’une femme hystérique revendique une Autre jouissance, une jouissance autre que la jouissance phallique, cela est devenu routinier pour les hommes qui chercheront toujours à s’en défendre, et de la manière la plus violente, depuis le bûcher des sorcières à l’exclusion du terme hystérie du DSM-IV. « Mais qu’un homme hystérique revendique cette jouissance féminine, cela a été, est et restera toujours un scandale insupportable pour l’ordre masculin. » Tout l’ordre établi pourrait en être subverti. La famille exploserait et avec elle la société, les fous quitteraient les asiles et, pourquoi pas, y renfermeraient les gens dits normaux, les homosexuels ne seraient plus les homosexuels et l’on désignerait du doigt lesdits hétérosexuels, l’avortement serait la règle et l’on stigmatiserait les femmes enceintes et, last but not least, certains connaîtraient l’extase mystique et deviendraient des saints. Par l’hystérie masculine réussie, c’est-à-dire analysée, le Théorème de Pasolini serait ainsi vérifié : « Donnez-moi un sexe et je soulèverai le monde », théorème d’un ange asexué comme le sont les anges, c’est-à-dire les hystériques, hommes ou femmes. « Avançons donc l’hypothèse que l’hystérie est asexuée, comme l’est l’inconscient », mais ce qui est bisexuel, ce sont ses expressions cliniques. La bisexualité était dans l’air du temps de la fin du XIXe siècle quand Freud et Fliess l’ont découverte, elle fut en effet subversive sur le plan scientifique et révolutionnaire sur le plan social. Les mouvements de libération de la femme, des homosexuels et de toutes sortes de marginalités furent concomitants de cette découverte. Mais si l’hystérie féminine fut acceptée scientifiquement dans sa bisexualité, c’est qu’il était et qu’il est toujours plus valorisant pour l’ordre masculin que la femme cherche à ressembler à l’homme, à « imiter » ses comportements et, sur le plan social, à revendiquer les mêmes droits. Quant au concept d’hystérie masculine, s’il a provoqué les insultes des collègues médecins contre Freud en 1885, c’est autour de Lacan, même en 2007 et pour des décennies encore, de subir les insultes des collègues analystes avec son concept de « discours hystérique ». Pourquoi ? « Parce que dans le discours hystérique, Lacan a placé la jouissance, le “ plus de jouir”, l’objet «“a ” en place de vérité. » Bien évidemment, si la connotation marxiste (« plus-value ») du concept du « plus de jouir » y est pour quelque chose dans ces insultes, la subversion l’est à un autre niveau. Dans la formalisation de ses quatre discours, discours du maître, de l’universitaire, de l’hystérique et de l’analyste, « il y a des places. Celle de la vérité est refoulée dans les quatre discours. Que Lacan ait mis la jouissance en place de vérité dans le discours hystérique, mais pour d’autres raisons encore, rien ne lui sera jamais pardonné ». Ni par l’IPA (Association internationale de psychanalyse) qui a excommunié Lacan comme une Église l’aurait fait, et qui veut, depuis, occuper la place du maître. Parce que l’IPA, fondée en 1910 sur le refoulement des origines des concepts freudiens, transmet l’enseignement de Freud comme un discours « autoengendré par Freud lui-même ». Du coup, le discours freudien est transmis comme un discours dogmatique et non comme un discours analytique. « L’énonciation de Freud, c’est-à-dire son désir inconscient en a été refoulé » et occupe la place de la vérité refoulée comme dans le discours du maître. Le sujet divisé ($) Freud est refoulé dans le discours du maître et l’IPA ne garde de Freud « que ses énoncés dogmatisés ». Ni par l’Université, dont Lacan n’a jamais fait partie et qui pose précisément le signifiant du maître (S1), ici celui de Freud en place de vérité refoulée car l’Université ne peut s’appuyer sur rien d’autre que sur le refoulement des concepts du maître qu’elle transforme en énoncés dogmatisés pour transmettre un savoir dont la vérité de l’expérience est exclue. Ni malheureusement par les analystes antilacaniens eux-mêmes car, si dans le discours analytique, Lacan a mis le savoir (S2) en place de vérité, ces analystes-là se prennent au piège de s’identifier à leur propre savoir fonctionnant ainsi comme des nouveaux riches de la pensée et dont la pensée commence et s’arrête avec Freud. Que Lacan mette l’objet (a) qu’il nomme également « plus de jouir » en place de la vérité dans le discours hystérique donne à l’hystérie sa place de révolutionnaire assurée à jamais, et rend désormais difficile de distinguer hystérie féminine et hystérie masculine, puisqu’il s’agit désormais de considérer l’hystérie comme un discours. Et à les examiner de près, autant les symptômes féminins que les symptômes masculins ne disent qu’une chose : « L’orgasme ne nous intéresse pas, nous sommes à la recherche du mystère de la jouissance féminine, de l’extase mystique et, finalement, de la jouissance divine. » Si nous considérons les symptômes d’ordre sexuels manifestés autant par la femme que par l’homme hystérique, nous pouvons remarquer qu’ils signifient presque tous la même chose : « le mépris de l’orgasme ». L’éjaculation précoce de l’homme, qui est malgré tout un orgasme, est considérée comme un symptôme honteux, méprisable, parfois même inavouable. Quant à l’impuissance masculine qui alterne souvent avec l’éjaculation précoce, elle peut mener parfois l’homme oriental au suicide. Cette honte apparente signifie bien autre chose : « L’homme, par son identification inconsciente à sa partenaire, tente de devancer la jouissance féminine considérée terrifiante. » Mais on se tromperait si on considérait que la femme hystérique partenaire d’un tel homme en serait vraiment déçue : en fait elle fait endosser à son partenaire la responsabilité de l’échec à ne pas atteindre cette même jouissance féminine car, autant que lui, elle en a peur. L’homme et la femme ont peur de la jouissance féminine parce qu’elle est « marquée du sceau de l’infini », comme le dit Lacan dans son séminaire Encore. Voilà pourquoi l’homme hystérique a du mal à bander et lorsqu’il le peut, sa partenaire se charge vite de le faire déchanter. Et voilà pourquoi la femme hystérique souffre de vaginisme, de douleur à la pénétration afin d’empêcher l’homme par la pénétration de lui faire courir le risque d’atteindre enfin cette jouissance féminine si désirée et si crainte en même temps. Comme nous venons de le voir avec ces deux seuls exemples cliniques, la signification inconsciente des symptômes sexuels hystériques féminins et masculins est la même. La jouissance y est à la place de la vérité dans leurs discours, témoignant par là pourquoi Lacan, autant que l’hystérie a été, est et restera toujours, mais pas seulement pour cette raison l’objet d’une excommunication permanente. Chawki AZOURI Président de la Société libanaise de psychanalyse * Cet article est une introduction aux deux séminaires mensuels ouverts au public que fera cette année Chawki Azouri dans le cadre de l’enseignement ouvert de la Société libanaise de psychanalyse. Il reprendra son séminaire sur l’hystérie tous les deuxièmes jeudis du mois à partir du 8 novembre et tiendra également un séminaire ouvert sur l’enseignement de Lacan tous les quatrièmes jeudis du mois à partir du 22 novembre. Aux Créneaux, à 20h00.
Lorsqu’en 1885, Freud, revenant de Paris à Vienne après son stage chez Charcot à la Salpêtrière, parle devant ses collègues médecins d’hystérie masculine, il se fait huer et insulter. En serait-il autrement aujourd’hui ? « Parions que non et ce, malgré, et pour les analystes qui ne veulent toujours pas l’entendre, du fait même, des avancées lacaniennes sur la question. »...