MOMENTS INSOLITES - 961 Beer, une bière fabriquée au Liban, et un pub ouvert il y a deux mois qui porte le même label « Êtes-vous résistants au changement » ?

C’était en juillet 2006. Funeste mois où la colère des dieux s’est acharnée, une fois de plus, une fois de trop, sur ce pauvre Liban, laissant les gens dans le désespoir le plus total. Un groupe de jeunes, pourtant, voulant faire un pied de nez aux événements, et croyant haut et fort en leur pays, ont tenté et réussi à produire... une bière de qualité, avec un leitmotiv : « Beyrouth ne mourra jamais. » Elle sera baptisée 961, le code du pays. « Un produit de son temps. Le temps du changement », annoncent ses créateurs… En ajoutant, comme par défi : « Êtes-vous résistants au changement ? » L’idée remonte à plus loin… Sans doute dans la tête de chacun des compères, bien avant que le groupe ne se compose. Mazen Hajjar, qui a vécu à Londres et New York, a fait ses armes professionnelles auprès de grandes banques et des compagnies d’aviation Mena Jet puis RAK Airways. Henrik Haagen, un Danois amoureux de la bière et du Liban. Et enfin Joe Kesrouani, architecte, photographe, peintre bourré de talent. «Alors qu’il existe des centaines de styles de bière dans le monde, il n’y avait qu’une seule marque locale produite au Liban, explique Mazen. Nous avons voulu créer de nouvelles habitudes chez les gens, leur proposer un choix et redonner sa place à la bière. » Premiers essais en pleins bombardements, dans une maison sans courant, avec marmites et matériel obsolètes. « On avait tout faux ! » Les amis improvisent, recommencent, apprennent tout ce qu’il faut savoir et plus, importent un premier matériel de Copenhague. Quelques mois plus tard, lorsque le breuvage est à point, ces fous de la bière montent une usine à Nahr el-Mott, capable de produire 300 000 litres par an. Sa construction relève d’un véritable défi. « Nous avons tout fait sans cartes ou modes d’emploi. » Les Canadiens, venus contrôler le résultat final, n’en reviennent pas ! L’équipe s’est élargie avec Omar Bekdache, responsable technique, et Shahid el-Khoury, responsable marketing et de communication. Mazen, à présent « maître certifié en bière » au Canada, explique en détail et avec passion la technique, le choix des ingrédients, la qualité du contenu, puis du contenant, Made by Kesrouani. « Faire une bière s’apparente à la cuisine », précise-t-il. Il y a l’art et puis la manière. Aujourd’hui, les Traditionnal Lager, Red Ale, Stout et Witbies 961, « fabriqués à la main et 100 % libanais », sont servis dans un pub qui porte le même nom, situé près de l’EDL, et inauguré il y a deux mois. « Nous voulons, affirment-ils, démocratiser la bière. » Dégustation Dans une ambiance brute rouge et noire, qui évoque volontairement celle des usines et autres parkings, une intimité est vite créée. « Je voulais de la transparence », souligne Joe. Les bouteilles brunes de bière sont servies à des gens venus pour découvrir ou redécouvrir la boisson. Sur chacune est imprimé un message citoyen et environnemental. À base de passion et d’ingrédients insolites, cannelle, sucre d’orge, café, et bien sûr malt, l’élixir se savoure avec plaisir. « Nous allons créer de nouveaux arômes, certains seront liés à des événements ou des saisons. » Bientôt en vente dans les grandes surfaces, 961 Beer sera également servie dans d’autres pubs et à l’étranger. Fier d’être libanais, et fier de leur produit, Mazen Hajjar annonce également, dans les trois ans à venir, l’ouverture de cinq bars 961 au Liban et dans le monde. « Nous voulons être les ambassadeurs de notre pays. » Belle initiative, à l’heure où certains auraient besoin de noyer leur désespoir dans l’alcool, de lever son verre à la santé du Liban. Et belle leçon donnée par ces quelques optimistes, la résistance peut, en effet, être pacifique et surtout constructive. Carla HENOUD