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Actualités - OPINION

Milice et/ou Résistance ? Par Carlos EDDÉ *

La question charnière qui divise les deux grandes coalitions face à la présidentielle est celle des armes détenues par des organismes non gouvernementaux, et plus particulièrement par le Hezbollah et par les factions palestiniennes. Cette opposition se déploie sous trois volets : la souveraineté nationale, l’accord de Taëf et la résolution 1559. La souveraineté est une notion universellement acquise qui implique que tout État a le droit et le devoir de contrôler son territoire national, ses eaux territoriales et son espace aérien. Pour cela, il doit avoir le monopole des armes. C’est un concept absolu, alors que l’indépendance est une notion relative puisqu’elle s’exprime par rapport à un tiers, une autre entité ou un autre pays. Voulant mettre fin à la guerre civile, l’accord de Taëf a souligné dans son texte l’importance de donner à l’État libanais le monopole des instruments de la violence. Cependant, cette mesure n’a été que partiellement appliquée : en raison de l’occupation de Liban-Sud par Israël, la Résistance islamique a continué son combat jusqu’au départ de l’envahisseur. Durant cette période, l’armée libanaise sous contrôle syrien jouait un rôle passif, laissant carte blanche à la Résistance et lui accordant un soutien logistique et politique. Après le retrait israélien, le régime syrien a interdit à l’armée de se déployer au sud du pays et d’assurer son rôle de garante de l’indépendance et de la souveraineté. Cela a permis au Hezbollah d’étendre son contrôle sur plusieurs régions libanaises. Ses appareils militaire et sécuritaire se sont octroyé le droit et assigné le rôle de décider de la politique de défense et d’attaque du Liban, avec l’encouragement du régime de Damas, la soumission des collaborateurs libanais et l’impuissance de l’armée libanaise. La résolution 1559 reconnaît enfin le rôle maléfique de la tutelle syrienne, qui freine l’épanouissement d’un Liban démocratique, et l’impact déstabilisateur des armes du Hezbollah sur l’équilibre interne du pays. Elle stipule la non-intervention des autorités syriennes dans l’élection du président de la République, le départ des troupes d’occupation et le désarmement des milices. Depuis, le Hezbollah et ses alliés refusent de s’y conformer en arguant qu’ils sont une organisation de résistance et non pas une milice. Au début, même certains leaders souverainistes ont adhéré à cette explication, par méconnaissance du sens des mots ou dans l’idée de pouvoir coopter la Résistance islamique. Mais qu’en est-il en réalité ? Définition : milice Le mot « milice » ne provient ni de la Bible, ni du Coran, ni du Hadith ; il n’a donc pas de résonance divine. Il s’agit du terme latin militia, dont le sens original fourni par le dictionnaire latin-français Quicherat et Daveluy (1932) est : « service militaire, campagne, expédition, opération militaire, guerre ». Ce terme dérive de miles ou milites qui signifie « soldat, homme en armes, ou celui qui fait la guerre ». La consultation de plusieurs ouvrages, encyclopédies et dictionnaires montre que le mot « milice » ou militia peut exprimer plusieurs situations. Cependant, dans son sens le plus restreint, milice veut dire « organisation armée, publique ou privée ». Quand il est opposé à l’armée régulière, le terme de « milice » implique le caractère non permanent de l’activité du milicien. Une milice composée d’hommes et de femmes en armes peut se former en cas de crise ou de guerre pour soutenir un État. Citons par exemple la Milice française pour Vichy, ou la Milice prolétaire et paysanne de la Révolution bolchevique, qui devint plus tard l’organisme de contrôle interne de l’URSS. Encore aujourd’hui, en Russie, en Ukraine et en Biélorussie, « milice » signifie police. Certains mouvements contre-révolutionnaires s’organisent en milice avec l’accord tacite du gouvernement de leur pays, comme les Freikorps, ou « corps francs » allemands qui, composés d’anciens militaires démobilisés après la Première Guerre mondiale, combattirent les communistes, Russes et Polonais, entre 1919 et 1921. Quand un pays est occupé et son armée régulière défaite, des bandes armées s’organisent en milices pour combattre l’envahisseur. Ce fut le cas des partisans de Tito ou des milices monarchiques de Draza Mihailovich en Yougoslavie, ou de l’armée de partisans antifascistes, l’ELAS, en Grèce, ou encore des milices de l’Armée populaire de Mao Zedong lors de la Longue Marche ou de la lutte contre les Japonais, pour n’en citer que quelques-unes. La milice peut être l’élément principal d’une organisation de défense, comme dans le cas de la Suisse, où les civils sont formés pour participer à des missions militaires en complément de leurs activités civiles et sont encadrés par des soldats professionnels. Plusieurs pays utilisent un système de réserve volontaire milicienne, comme aux USA la National Guard, ou en Suède le Hemvärnet, ou au Royaume-Uni la Territorial Army. Certains mouvements politiques révolutionnaires, ethnolinguistiques ou religieux, voulant renverser un régime, ou voulant faire sécession de l’entité politique à laquelle ils appartiennent, s’organisent en milice. C’est le cas de l’ETA ou Euskadadi Ta Askatasuna au Pays basque, de l’IRA ou Armée républicaine irlandaise – milice voulant obtenir l’indépendance de toute l’Irlande par la lutte armée – ou son adversaire l’Ulster Volunteer Force, groupe paramilitaire nord-irlandais, loyal à la Couronne britannique. Et n’oublions pas les milices des récentes guerres des Balkans. Des organisations paramilitaires peuvent avoir une réputation essentiellement criminelle comme celle des seigneurs de la guerre en Chine, ou récemment les janjawids, milices levées dans les tribus du Tchad et du Darfour, connues de l’ONU pour les massacres, les viols et les épurations ethniques qu’elles commettent depuis 2003 au Darfour. Donc le terme de « milice » est clair dans son acception de groupement d’hommes et de femmes en armes, et nous pouvons constater que ces organisations paramilitaires ont été utilisées de diverses manières et dans des buts différents dans l’histoire moderne. Les exemples de milices cités ci-dessus ne constituent pourtant qu’un petit échantillon de la longue liste dans l’histoire des milices. Je n’ai volontairement pas cité les nombreuses milices qui se constituèrent et combattirent durant la guerre du Liban, ni les milices actuelles et celles qui sont en voie de formation, car elles sont connues de tous les Libanais. Définition : résistance Dans son acception politique, le verbe « résister » signifie « ne pas céder, tenir ferme, faire face ». « Résistance » signifie l’ensemble des efforts visant à s’opposer à l’oppression et à combattre l’occupation, tant militairement que pacifiquement. Nous pouvons donner comme exemples de résistance armée l’action de diverses nations, occupées durant la Deuxième Guerre mondiale, contre l’envahisseur allemand ou japonais, les organisations qui luttèrent contre les puissances coloniales, la Résistance palestinienne et les divers mouvements libanais qui combattirent Israël au cours des 23 années de l’occupation du Liban-Sud. Comme mouvements non violents de résistance pacifique, nous pouvons citer celui de Gandhi, la résistance des étudiants, des intellectuels et des syndicats contre la dictature des généraux en Amérique du Sud et ailleurs, et finalement celle de l’Église maronite, des partis et des individus qui résistèrent pacifiquement au mandat syrien au Liban. En conclusion, une milice peut tout aussi bien faire de la résistance que de la répression ; elle peut servir de réserve ou de force d’appui. Quant à la résistance, elle peut agir à travers des milices ou par d’autres biais, violents ou pacifiques. Il n’y a nulle contradiction entre la qualité de « résistance armée » du Hezbollah et sa qualification de « milice » – autrement dit, d’organisation de gens en armes. Alors pourquoi le Hezbollah insiste-t-il sur ce jeu de mots absurde ? Est-ce par méconnaissance du latin ou par coquetterie ? C’est possible, mais ce qui est certain, c’est qu’à travers la dissociation des deux termes, la Résistance islamique cherche un argument pour ne pas avoir à se désarmer comme le stipulent les accords de Taëf et la résolution 1559. Le Hezbollah peut avoir joué un rôle essentiel dans la libération du Sud ; il peut lancer des missiles sur Israël, et il peut même avoir les moyens de faire un coup d’État. Mais s’il s’imagine pouvoir changer le sens des mots à sa guise, il sera déçu car il trouvera sur son chemin une barricade formée de dictionnaires et d’encyclopédies, défendue par une milice de résistants linguistiques armés de plumes ! Et, sur ce plan, il ne passera pas ! * Amid du Bloc national Article paru le lundi 29 octobre 2007
La question charnière qui divise les deux grandes coalitions face à la présidentielle est celle des armes détenues par des organismes non gouvernementaux, et plus particulièrement par le Hezbollah et par les factions palestiniennes. Cette opposition se déploie sous trois volets : la souveraineté nationale, l’accord de Taëf et la résolution 1559.
La souveraineté est une notion...