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La plupart des dirigeants arabes sous-estiment les dangers de la maladie, accuse Khadija Moalla

Khadija Moalla, de nationalité tunisienne, est la coordinatrice du bureau régional de lutte contre le sida dans le monde arabe, relevant du PNUD et siégeant au Caire. Mis en place en septembre 2002, il couvre vingt pays de la Ligue arabe, excepté la Mauritanie et les îles Comores, qui dépendent du bureau d’Afrique. Khadija Moalla, qui dirige ce bureau régional depuis décembre 2003, est passionnée par son travail. Et son combat contre le sida n’est pas récent. Avocate de formation, elle défendait à travers une ONG tunisienne les droits des personnes vivant avec le VIH. « C’est un métier difficile parce qu’il n’existe pas de lois spécifiques pour protéger ces personnes », dit-elle. Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, elle a exposé les activités entreprises par le bureau régional de lutte contre le sida, relevant du PNUD. Évaluant son expérience personnelle au sein de ce bureau, elle la qualifie d’excellente, soulignant l’importance d’avoir « les moyens des Nations unies pour lutter contre le sida à une échelle arabe ». « Ce travail demande beaucoup de forces parce que nous organisons un grand nombre d’activités, soit 52 activités par an, donc en moyenne une activité par semaine », explique-t-elle. Interrogée sur les difficultés que le programme a rencontrées depuis qu’elle est à sa tête, Mme Moalla note qu’il « n’existe pas de volonté politique auprès des gouvernements arabes de reconnaître que le sida existe. Il semble que les gouvernements ne veulent pas lutter pour arrêter la progression de la maladie. Pour eux, le dossier n’est pas prioritaire, n’est pas considéré comme urgent ». Répétant une citation de Pierre Mendès France, la coordinatrice du programme indique : « Quand c’est urgent, c’est déjà trop tard. » « Il ne faut pas que le problème du sida devienne une urgence dans le monde arabe. C’est pour cette raison qu’il faut agir maintenant. Si les gouvernements attendent pour prendre des décisions le jour ou la maladie deviendra une urgence, ça sera trop tard et l’on ne pourra plus arrêter la progression du sida, tout à fait comme en Afrique », dit-elle. Pour le moment, uniquement dans quatre pays arabes, le sida touche plus de 1 % de la population ; en Mauritanie, au Soudan, en Somalie et à Djibouti, ce taux atteint les 3 %. « Quand on arrivera à 4 %, la courbe augmentera de manière exponentielle et la maladie sera généralisée », souligne Mme Moalla. Perdre les acquis du développement Exposant les activités entreprises au cours de ces quatre dernières années, la coordinatrice du bureau régional de lutte contre le sida indique : « Nous essayons d’avoir une approche multisectorielle. Nous considérons que le sida a un impact sur tous les domaines. C’est un problème qui va nous faire perdre tous les acquis du développement. » Elle note qu’une importante partie du travail a été effectuée avec les dignitaires religieux. Des formations sont organisées à l’intention des médias et des artistes. Le bureau a lancé aussi des activités sous-régionales. Un travail a été entrepris avec les législateurs, les juristes et les parlementaires pour que les lois protégeant les droits des personnes vivant avec le VIH soient adoptées. Le bureau oeuvre avec des ONG de femmes et d’autres associations civiles luttant contre le sida. Ainsi, Ranaa (Réseau régional arabe contre le sida) a été créé en 2002. Des formations destinées aux personnes vivant avec le VIH sont également organisées. Le prochain événement du genre aura lieu au Caire et regroupera une centaine de personnes. Interrogée sur le budget annuel du bureau, Mme Moalla indique que le PNUD y consacre un million de dollars. Le gouvernement japonais a octroyé environ 250 000 dollars pour la tenue de quatre réunions sous-régionales destinées aux femmes. D’importants fonds devraient être versés par l’OPEP. « L’un des obstacles auxquels fait face le bureau est le manque de financement. Généralement, l’argent pour la lutte contre le sida est versé à d’autres régions. Tant que les gouvernements arabes continuent à dire que la maladie est quasi inexistante dans la zone, il n’y aura aucune partie qui voudrait financer la lutte contre le sida dans la région », martèle-t-elle. « Chez nous, les leaders disent que le problème n’est pas urgent car ils comparent le monde arabe à l’Afrique subsaharienne, où il y a environ trente millions de personnes atteintes de la maladie. Chez nous, il y a un peu plus d’un million de cas. Mais quand le sida gagnera du terrain, l’on ne pourra plus l’arrêter », rappelle Mme Moalla, soulignant que « dans le monde arabe, chaque année en moyenne 8 000 enfants meurent du sida. L’année dernière, onze mille enfants sont morts dans notre région et personne n’en a parlé ». L’exception libanaise À la question de savoir si, en ce qui concerne le sida, le monde arabe est un bloc homogène, Mme Moalla divise la zone en quatre sous-régions : la Corne de l’Afrique, l’Afrique du Nord, le Machrek et le Golfe, et parle des disparités. « Sur le plan de la société civile par exemple, la Corne de l’Afrique est la zone la plus avancée. À Djibouti et en Somalie, des réseaux sont en train de se former, notamment des réseaux de personnes vivant avec le VIH », dit-elle. L’Afrique du Nord occupe la deuxième position. En troisième position viennent les pays du Machrek. Dans ce cadre, il est à souligner que le Liban est nettement en avance par rapport à l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et l’Autorité palestinienne. On peut le classer dans la lutte contre la maladie en deuxième position avec le groupe des pays d’Afrique du Nord. En quatrième position viennent les pays du Golfe, où il n’y a pas d’ONG et où les personnes vivant avec le VIH ont accès certes au médicament, mais sont stigmatisées et seules. « Leur situation est dramatique », indique la coordinatrice du bureau régional du PNUD pour la lutte contre le sida. Mme Moalla souhaite que les hommes d’État arabes prennent une position publique concernant le sida. « Jusqu’à présent, deux hommes d’État, les présidents algérien et soudanais, ont publiquement déclaré que le sida est une priorité. Le roi du Maroc est également engagé dans la lutte contre la maladie, ainsi que le président de Djibouti et les Premières dames du Soudan et de la Tunisie », dit-elle. « En tant qu’organisation régionale, nous travaillons beaucoup avec la Ligue arabe. L’engagement le meilleur d’un homme politique est celui de Amr Moussa », note Mme Moalla, soulignant que « M. Moussa participe à nombre d’activités du bureau et rédige des articles dans ses publications. Il s’est engagé à nous aider à travailler sur une convention arabe pour protéger le droit des personnes vivant avec le VIH ». Elle cite également l’apport de Nancy Bakir, le numéro 2 de la Ligue arabe. Enfin, Mme Moalla lance un appel à la femme arabe. « Il faut qu’elle comprenne qu’elle est vulnérable et que malheureusement la religion ne la protégera pas », dit-elle. Elle souhaite aussi que « l’homme arabe ait un jour le sens des responsabilités et n’infecte pas sa femme », rappelant que « 80 % des femmes infectées par le sida dans le monde arabe l’ont été dans le cadre de relations conjugales ». Pat. Kh.
Khadija Moalla, de nationalité tunisienne, est la coordinatrice du bureau régional de lutte contre le sida dans le monde arabe, relevant du PNUD et siégeant au Caire. Mis en place en septembre 2002, il couvre vingt pays de la Ligue arabe, excepté la Mauritanie et les îles Comores, qui dépendent du bureau d’Afrique.
Khadija Moalla, qui dirige ce bureau régional depuis décembre 2003,...