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La bourgade de Mürefte constitue avec sa trentaine de caves une petite « capitale » du vin Longtemps mal-aimé, le vin s’installe à la table des gourmets turcs

Longtemps honni des tables turques par interdit religieux autant que par dédain pour une production de piètre qualité, le vin s’est désormais fait une place en Turquie grâce aux efforts de passionnés. À quelque 230 kilomètres à l’ouest d’Istanbul, non loin de la frontière grecque, la bourgade de Mürefte, 3 500 habitants, constitue avec sa trentaine de caves une petite « capitale » du vin turc. Fin septembre, période de vendanges, on y croise des motoculteurs chargés de grappes et des femmes en pantalons bouffants multicolores arpentant, une serpette antédiluvienne à la main, de minuscules vignobles sur les flancs du mont Tekir. Le nez y accroche de loin en loin des effluves alcoolisés. La viticulture se pratique ici depuis des temps immémoriaux – depuis l’Empire byzantin, affirment les historiens locaux. Elle s’est perpétuée sous le règne des Ottomans en dépit de l’interdiction faite aux musulmans de consommer du vin, grâce à la présence de nombreux Grecs jusqu’aux échanges de population de 1923 entre la Grèce et la nouvelle Turquie républicaine. « Nous n’avons pas de culture du vin », commente Tezcan Gürkan, qui a créé en 1980 à Mürefte sa propre entreprise viticole, les vins Ganos. « Notre cuisine – quelques tomates, du fromage, du melon – s’associe avec le raki (un alcool anisé à 45°, très apprécié en Turquie, NDLR), pas avec le vin. » Du coup, la Turquie, quatrième vignoble au monde (570 000 hectares), n’est, selon l’Organisation internationale de la vigne, qu’au 39e rang des producteurs de vin (250 000 hectolitres, chiffres de 2004), mais est le troisième producteur de raisin de table et le leader mondial du raisin sec. « Il nous faut modifier les habitudes alimentaires des Turcs pour que le vin y trouve sa place », poursuit le vinologue, qui a dirigé pendant 18 ans les laboratoires de l’entreprise publique d’alcools Tekel. Marché restreint, pratiques artisanales, le vin turc est longtemps resté une boisson de piètre qualité, rebutant les palais délicats. Mais les deux dernières décennies ont vu poindre une nouvelle industrie viticole, qui selon M. Gürkan affiche de beaux succès. « Maintenant, les rois des cépages sont tous produits en Turquie. Et nous avons aussi des vins proprement turcs qui soutiennent la comparaison sur le marché mondial », estime l’exploitant, dont la production haut de gamme, limitée à 400 hectolitres, est livrée à domicile via Internet à un public choisi. Les cépages les plus appréciés sont au nombre de cinq. « Parmi les rouges il y a les épicés Bogazkere et Küzgzü, de l’est du pays, l’élégant et fruité Kalecik Karasi d’Anatolie centrale, puis viennent le blanc sec et acide Émir de Cappadoce et le Narince, avec plus de corps, de la mer Noire », énumère Mehmet Yalçin, directeur de la revue gastronomique Gusto. Les vins turcs, qu’on recense désormais par centaines, ont également trouvé un marché. « Les gens ont commencé à s’intéresser davantage au vin. Désormais, ils achètent en fonction du raisin, de l’année, ils veulent essayer des goûts différents », explique Esat Ayhan, propriétaire de La Cave, le plus grand détaillant de vin d’Istanbul. Les clients de M. Ayhan sont le plus souvent issus d’un milieu aisé ou intellectuel – « des cadres supérieurs, des artistes, des diplomates étrangers et des étudiants », résume le commerçant, déplorant les taxes élevées qui empêchent selon lui l’ouverture de ce marché à des franges plus larges de la population. « Il y a une taxe spéciale sur le vin, la ZTV, à laquelle s’ajoute la taxe sur la valeur ajoutée. Le résultat, c’est qu’il faut compter ici 15 livres turques (8,7 euros) pour boire du vin alors qu’en Europe, un vin de table coûte entre un et trois euros. Ça dissuade les clients », souligne-t-il.
Longtemps honni des tables turques par interdit religieux autant que par dédain pour une production de piètre qualité, le vin s’est désormais fait une place en Turquie grâce aux efforts de passionnés.
À quelque 230 kilomètres à l’ouest d’Istanbul, non loin de la frontière grecque, la bourgade de Mürefte, 3 500 habitants, constitue avec sa trentaine de caves une petite...