Rechercher
Rechercher

Actualités

EXPOSITION Le regard de Rodin sur l’art japonais

Rodin fut-il japonais ? Comme nombre d’artistes contemporains, le sculpteur a succombé dès la fin des années 1880 à la folie du japonisme, dans le sillage des frères Goncourt, de Claude Monet, de Georges Clemenceau ou d’Octave Mirbeau. Utamaro, Hiroshige et Hokusai, admirés au gré des expositions parisiennes, devinrent, après Michel-Ange et Phidias, ses nouveaux maîtres. Une exposition au musée Rodin à Paris présente une sélection de sa collection d’estampes et d’objets d’art, accompagnés d’une suite de ses dessins dits japonais et de quelques-unes de ses sculptures en grès. Après les estampes japonaises collectionnées par Claude Monet, voici celles de Rodin qui, bien que moins influencé que ses confrères de l’Art nouveau par le japonisme, n’en sera pas moins tenté par l’expérience nippone. Comme l’attestent ses dessins des années 1896-1900 que le maître sculpteur français qualifie de « japonais ». Ou encore quelques statues qu’il transpose en grès – matériau traditionnel au Japon. La folie du japonisme – terme inventé par le collectionneur Philippe Burty, dans un article de La Renaissance littéraire et artistique (1872) – s’empare de l’Occident dans les années 1880. Lorsque le Japon a entamé sa marche forcée vers le modernisme – l’ère Meiji débute en 1868 – et que les artistes japonais exportent leurs œuvres à l’étranger. Les plus connus sont alors Hokusai, Hiroshige et Utamaro. Les Expositions universelles de Londres (1862) et de Paris (1867, 1878, 1889) permettent au public européen de découvrir les « ukiyo-e » (« images du monde flottant »), relayées sur le marché de l’art par les collectionneurs Siegfried Bing et Félix Bracquemond. Mais c’est probablement par l’intermédiaire des frères Goncourd que Rodin découvre l’art des estampes. Ainsi que de par sa fréquentation avec Monet, qui possède 250 estampes, et Van Gogh (400 estampes). Sur les conseils d’Octave Mirabeau, Rodin achète Le portrait du père Tanguy (marchand de couleurs et ami de Van Gogh) représenté sur fond de crépons japonais (1887). Chez Rodin, l’art japonais passe progressivement du statut de source d’inspiration à celui d’influence artistique. Les estampes japonaises qu’il collectionne, surtout entre 1908 et 1912, reflètent son goût profond pour le mouvement généré par le vent dans un feuillage ou la danse de poissons dans l’eau. Au point que, contrariant la coutume japonaise qui veut que les « katagami » (pochoirs) soient enfermés dans des cartons, Rodin conservait le pochoir des Deux carpes accroché dans sa salle à manger de Meudon. Car il s’agit pour lui d’une représentation parfaite de la nature. Après Michel-Ange et Phidias, les artistes japonais deviennent donc les nouveaux maîtres à penser du sculpteur. « Les Japonais sont de grands artistes. L’analogie de leurs dessins avec les plus belles œuvres de l’Antiquité grecque est frappante. On retrouve chez eux l’harmonie et la simplification de lignes des artistes anciens », disait-il. Un parallèle a priori surprenant, mais qui s’explique en effet par une conception plastique similaire : la ligne, le contour, une même méthode de dessin, « l’emploi de teintes plates et la juxtaposition de tons unis sans modelés » (Edmond Pottier, conservateur au musée du Louvre, dans la Gazette des beaux-arts, article intitulé Grèce et Japon, 1890). Surtout, une observation rigoureuse de la nature qui se mue en dévotion pour reproduire l’infiniment petit et s’élever par la grâce de l’art. Et c’est bien ce que fait Rodin dans ses dessins dits japonais. Minimaux, épurés, aux traits rapides. Rodin observe son modèle, en saisit la pose par des croquis sur le vif, avant de les reprendre au calque. La plupart sont tracés au crayon noir. Le trait est parfois estompé au doigt et rehaussé de couleurs légères en teintes d’aquarelle. Tels ses dessins de la danseuse japonaise Hanako. Rodin rencontre la jeune femme alors qu’il assiste au spectacle de l’Exposition coloniale de Marseille en 1906. Il reste subjugué par le corps « exotique » de Hanako. « Elle n’a point du tout de graisse. Ses muscles sont découpés et saillants comme ceux des petits chiens qu’on nomme fox-terriers : ses tendons sont si forts, que les articulations auxquelles ils s’attachent ont des grosseurs égales à celle des membres eux-mêmes. Elle est tellement robuste qu’elle peut rester aussi longtemps qu’elle le veut sur une seule jambe en levant l’autre devant elle à angle droit. Elle paraît ainsi enracinée dans le sol comme un arbre. Elle a donc une anatomie toute autre que celle des Européens, mais cependant fort belle aussi dans sa puissance singulière. » Rodin demande aussitôt à rencontrer Hanako qui accepte de poser pour lui, fin 1906. Le sculpteur cherche alors à rendre l’expressivité du visage de la danseuse japonaise, tantôt rêveuse et paisible, tantôt rageuse et violente. Rodin réalise 58 sculptures de Hanako, désireux de saisir à la fois les caractéristiques de sa physionomie – révélatrice de la nature – et de ses sentiments – expression de la culture – afin d’atteindre le cœur de la tradition japonaise. Loin de l’image caricaturale véhiculée par la médiatisation de la mode japonisante. Une exposition envoûtante, qui vous transporte loin par son « exotisme » et le raffinement des pièces exposées. En prime, dans le jardin paisible de l’hôtel Biron, sont installées des sculptures d’Eugène Dodeigne réalisées au cours des années 1989-1995. À l’instar des œuvres de Rodin, elles se distinguent par leur expressivité et leur inspiration des mouvements de la danse. Jusqu’au 9 septembre 2007.
Rodin fut-il japonais ? Comme nombre d’artistes contemporains, le sculpteur a succombé dès la fin des années 1880 à la folie du japonisme, dans le sillage des frères Goncourt, de Claude Monet, de Georges Clemenceau ou d’Octave Mirbeau. Utamaro, Hiroshige et Hokusai, admirés au gré des expositions parisiennes, devinrent, après Michel-Ange et Phidias, ses nouveaux maîtres. Une...