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Actualités - OPINION

La situation régionale et la présidentielle libanaise I - L’Iran piégé en Irak

Le Moyen-Orient est à l’apogée d’une phase de mutations commencée en 2001. La communauté internationale, États-Unis en tête, conduit ce changement. De son côté, le Liban se rapproche rapidement d’une échéance cruciale, qui est l’élection présidentielle. Et, malgré les polémiques, les forces politiques libanaises ainsi que les puissances régionales et internationales ont intérêt à tout faire pour assurer l’élection d’un président. Observons la carte du Moyen-Orient et distinguons entre son « centre » et sa « périphérie ». Le « centre », formé de l’Irak, de la Syrie, du Liban et des territoires palestiniens (le « Croissant fertile »), a été bouleversé par l’invasion américaine de l’Irak. Il est depuis affaibli et divisé par des luttes ethniques et confessionnelles. En parallèle, les pays de la « périphérie » du Moyen-Orient, à savoir l’Arabie saoudite, l’Iran, Israël et la Turquie, sortent renforcés par l’affaiblissement du « centre ». Ils ont retrouvé une influence militaire, politique, religieuse et économique. Ils interviennent et négocient l’avenir des pays « centraux » : l’Arabie saoudite et l’Iran négocient au sujet du Liban (avec Israël en toile de fond), l’Iran et la Turquie négocient l’avenir de l’Irak. Ainsi, en brisant le régime de Saddam Hussein, l’invasion américaine a créé un « vide de puissance » au « centre » du Moyen-Orient. Les puissances « périphériques » sont venues remplir ce vide et sont donc entrées en confrontation dans chacun des pays « centraux ». Plus exactement, l’Iran est confronté aux trois autres puissances, Israël, Arabie saoudite et Turquie, toutes alliées des USA. Et l’Amérique observe afin d’en tirer le meilleur parti. Ce qui provoque la guerre civile irakienne, les tensions avec la Syrie et les affrontements en Palestine et au Liban. Le but final est de déterminer l’influence politique de ces quatre puissances « périphériques » dans chacun des pays du « centre », cependant que les USA contrôleraient l’équilibre régional. Le « centre » en paierait le prix par une relative perte de souveraineté, mais il se dirigerait progressivement vers l’apaisement des conflits, la paix israélo-arabe, la « neutralisation » et une intervention croissante des institutions de l’ONU. Cette architecture politique n’est pas nouvelle au Moyen-Orient : historiquement, la région a toujours été dominée par ses voisins, Turquie ottomane, Égypte et Iran. Pour que ce scénario se réalise, il faut une entente entre les USA et l’Iran. Ce dernier est engagé dans un difficile processus de confrontation avec Washington. Or, vu les rapports de force, tout indique que l’Iran doit lui aussi se diriger vers un rapprochement avec l’Amérique. Car Téhéran est confronté à forte partie. Aujourd’hui, ce pays fait face à sept fronts différents où il doit soutenir ses alliés : Liban ; Syrie ; Palestine ; Irak ; minorités chiites du Golfe ; Afghanistan, où les talibans sunnites menacent de se rétablir et de balayer les chiites Hazaras ; Pakistan, où le régime laïc de Pervez Musharraf est menacé de renversement par les islamistes sunnites (le Pakistan possède la bombe nucléaire) ; sans compter le dossier nucléaire iranien sur lequel l’Iran est confronté à la menace d’une action militaire US. Et la question est : Téhéran a-t-il les moyens de se battre simultanément sur tous ces fronts ? C’est peu probable. Car, en observant le seul front irakien, on peut conclure que l’Iran y fait face à de grosses difficultés. En effet, l’Irak est aujourd’hui un champ de bataille. Et beaucoup affirment que c’est un cuisant échec, un « Vietnam » américain. Or, il n’en est rien. Faisons donc l’analogie avec la guerre du Vietnam. L’explication traditionnelle est que c’était une victoire militaire, mais une incapacité de tenir le terrain et d’affronter les pertes et l’opinion publique américaine. Or, en réalité, le Vietnam était une grande victoire politique US. Car c’était avant tout une guerre de diversion qui avait pour enjeu la Chine elle-même. Il s’agissait d’arracher la Chine à l’orbite soviétique et de diviser le bloc communiste afin de gagner la guerre froide. Et, pour cela, de soutenir Mao Tsé-Toung lorsqu’il décida, à partir de 1960, de rompre avec l’URSS. Ainsi, se déroulent pendant les années 60 deux affrontements : d’une part, en Chine, une guerre civile, la « Révolution culturelle », avec Mao et ses Gardes rouges opposés aux communistes chinois prosoviétiques. D’autre part, en lisière de la Chine, la guerre du Vietnam, où l’armée américaine vient faire diversion, drainer les ressources de l’URSS et du Nord-Vietnam, et les détourner de Chine. Cette lutte prend fin à partir de 1969 avec la victoire de Mao et son détachement définitif de l’URSS, et plus tard l’effondrement de l’URSS, totalement encerclée. Voilà à quoi a servi la guerre du Vietnam, guerre de diversion où le réel enjeu n’était pas militaire, sur le champ de bataille, mais politique. Or, la guerre civile irakienne est une variante de celle du Vietnam. Car, si elle divise l’Irak et y trace des frontières intercommunautaires, cette guerre vise surtout l’Iran. Elle a pour but d’entraîner l’Iran dans un conflit en Irak qu’il ne peut pas gagner, afin de draîner ses ressources et l’amener à composer avec les USA. D’une part, Téhéran doit soutenir ses alliés dans la guerre civile irakienne où se battent chiites et sunnites. D’autre part, la présence américaine empêche aujourd’hui l’Iran d’envahir l’Irak. De plus, même si l’armée US se retirait, l’Iran ne pourrait s’emparer totalement de ce pays. Les autres puissances « périphériques » du Moyen-Orient, à savoir la Turquie, Israël et l’Arabie saoudite (alliées des USA), se ligueraient immédiatement contre lui pour l’empêcher de contrôler l’Irak et de s’en servir pour s’étendre plus encore. Et l’Iran ferait alors face à une immense guerre civile sur le territoire irakien, où se battraient kurdes, sunnites, chiites, l’armée iranienne et l’armée turque (massée aux frontières), ainsi que diverses milices. Conclusion, même si les choses ne sont pas simples pour les Américains à Bagdad, il est un fait : l’Iran ne peut pas gagner en Irak. Il ne peut non plus se retirer du conflit, car cela reviendrait à sacrifier les chiites irakiens. C’est donc une sorte de « piège ». Seule solution, il doit s’entendre avec les USA et leurs alliés. Et, pour cela, négocier des compromis, dossier par dossier, en particulier celui du Liban, en attendant un accord général portant sur le nucléaire. Observons maintenant le Liban. Ce pays est entré dans une situation de double statu quo, militaire et politique, qui reflète la situation régionale. Premièrement, le statu quo militaire entre sunnites et chiites libanais. Ces deux communautés ont subi un coup d’arrêt à leurs capacités militaires. Du côté chiite, le Hezbollah a de facto abandonné son rôle de Résistance armée face à Israël après la guerre de juillet 2006. Car si Israël n’a pas envahi le Liban, de leur côté le Hezbollah et l’Iran ont accepté l’accord qui a débouché sur la résolution 1701. Résultat, la Finul s’est déployée au Sud d’où le Hezbollah s’est officiellement retiré. Et, depuis, il n’a plus tiré un coup de feu contre Israël, ni contre la Finul qui reconnaît, selon certaines sources, que le Parti de Dieu collabore avec elle sur le plan sécuritaire. Ainsi, le Hezbollah a pour le moment réduit ses ambitions militaires. Il les a échangées contre le prestige politique de la « victoire ». De plus, si le Hezbollah a ensuite mené une vaste opération de « désobéissance civile » au centre-ville de Beyrouth, notons que celle-ci s’est limitée à occuper les rues, sans envahir les bâtiments publics. La différence est importante et montre les limites de ce que le Hezbollah veut ou peut faire. Enfin, il semble que les affrontements de janvier 2007 avec les sunnites, qui ont failli dégénérer en véritable guerre, ont achevé de persuader le Hezbollah qu’il valait mieux rester sur ses positions. D’autre part, du côté sunnite, l’opération menée par l’armée libanaise à Nahr el-Bared symbolise une rupture. Si cette opération est parfaitement légitime et a été cautionnée par les leaderships politiques et religieux sunnites, il n’en reste pas moins qu’elle élimine une puissante milice « sunnite » qui aurait pu jouer un rôle-clé en cas d’affrontements avec le Hezbollah chiite (ce qui s’est déjà passé, à en croire certains, durant les affrontements de janvier 2007). Ce faisant, elle éloigne le spectre de la guerre civile et montre une volonté de stabiliser le Liban. Enfin, elle signale le retour en force de l’armée libanaise, épaulée par les aides militaires en provenance des alliés arabes de l’Amérique. Conclusion, chiites et sunnites se retrouvent dos à dos, aucun ne pouvant espérer l’emporter contre l’autre sur le terrain. Fouad KHOURY-HÉLOU Économiste
Le Moyen-Orient est à l’apogée d’une phase de mutations commencée en 2001. La communauté internationale, États-Unis en tête, conduit ce changement. De son côté, le Liban se rapproche rapidement d’une échéance cruciale, qui est l’élection présidentielle. Et, malgré les polémiques, les forces politiques libanaises ainsi que les puissances régionales et internationales ont...