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ANALYSE - Radioscopie des résultats de la partielle du Metn Le CPL paie le prix d’une stratégie trop ambitieuse

Analyser le plus objectivement possible les résultats d’une élection législative aussi passionnelle que celle qui s’est déroulée dimanche dernier au Metn est une entreprise pour le moins téméraire. Au soir du scrutin, des constats immédiats ont fait l’objet de quelques déclarations excessives de part et d’autre de l’échiquier politique. Force est de reconnaître que ces constats étaient fondés sur des données partielles, linéaires ou superficielles. L’étude de la physionomie d’un vote requiert d’abord que les chiffres disponibles soient aussi complets que possible. Or, à la base, le système électoral libanais rend impossible une telle exigence. Par exemple, pour se faire une idée exacte du vote par confession, il faudrait que tous les suffrages exprimés par les membres d’une communauté déterminée soient répertoriés comme tels. Ce n’est le cas que lorsqu’une confession dispose, dans une localité donnée et du fait de son importance numérique, d’une urne exclusivement consacrée à ses électeurs. Au final, on aura donc, d’un côté, le vote des maronites, des grecs-orthodoxes, des Arméniens, des sunnites, etc., mais aussi, de l’autre, celui des « divers chrétiens », « divers musulmans » ou même « diverses confessions ». Ici, il ne s’agit nullement d’un regroupement des communautés minoritaires au niveau national, mais de la somme de tous les électeurs minoritaires dans leurs propres localités. Il peut donc aussi bien s’agir de maronites, de grecs-orthodoxes et de grecs-catholiques que de latins, de syriaques et de chaldéens. Ensuite, une bonne « lecture » des chiffres disponibles suppose que l’on prenne en compte plusieurs paramètres à la fois et non qu’on se contente d’un seul. Ainsi, par exemple, l’affirmation selon laquelle « les Arméniens ont voté pour le candidat aouniste » est un constat quelque peu brutal et sommaire, dans la mesure où il dédaigne l’évolution du vote d’un scrutin à l’autre. En effet, lors des législatives de 2005, 90,1 % des votes répertoriés arméniens-orthodoxes étaient allés vers les candidats du CPL (ce taux est calculé en fonction d’un coefficient moyen des résultats de ces candidats). Dimanche dernier, ils étaient 80,56 % à porter leurs suffrages sur le candidat aouniste, Camille Khoury. Certes, il s’agit toujours d’une très large majorité de voix d’arméniens-othodoxes en faveur du général Michel Aoun, mais il y a tout de même une chute de près de dix points d’une élection à l’autre. En sens inverse, et en nombre de voix, il est intéressant de relever qu’en 2005, le candidat Pierre Gemayel avait obtenu 700 voix arméniennes (orthodoxes, catholiques et protestantes) contre 7 578 en faveur de la moyenne des candidats du CPL. En 2007, Amine Gemayel obtient 1 756 voix contre 6 883 à Camille Khoury. Autrement dit, plus de 1 000 voix répertoriées dans les urnes arméniennes ont rejoint dans l’intervalle le camp de l’ancien chef de l’État. Le critère confessionnel En réalité, les paramètres d’une élection ne sont pas une donnée immuable. Ils sont définis par les enjeux propres à chaque scrutin. Ainsi, l’analyse du vote communautaire dans une consultation qui aurait un caractère nettement clientéliste, comme c’est souvent le cas au Liban, n’aurait pratiquement pas d’intérêt. En revanche, lorsque l’élection prend un aspect très politisé, lorsqu’elle se présente comme un test sur le leadership confessionnel, comme c’était le cas lors du scrutin de dimanche au Metn, ne pas prendre en compte le paramètre communautaire équivaudrait à se voiler les yeux. En d’autres termes, si les résultats de l’élection ont donné lieu à des commentaires excessifs, parfois carrément racistes, par la singularisation du vote de telle ou telle communauté, cela n’excuse pas pour autant l’hypocrisie de ceux qui se disent offusqués par l’analyse communautaire elle-même. Depuis les élections de 2005, le CPL et son chef se présentent comme la principale force chrétienne et donc – dans une perspective présidentielle – maronite. Personne n’a utilisé le microscope confessionnel autant que le général Aoun et ses partisans pour décortiquer le scrutin de 2005 et y fonder toute leur stratégie politique. Si, en 2007, on célèbre la victoire de son candidat sous le signe de l’œcuménisme (le général s’est plu il y a quelques jours à se rebaptiser « Michel Nasrallayan »), cela signifie que l’on convient implicitement que face au véritable enjeu de la bataille, que l’on a soi-même choisi en parlant de « bataille pour les prérogatives chrétiennes », on a essuyé une cuisante défaite. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les 96 villes et villages du Metn, dans 93 le vote CPL est en recul par rapport à 2005. Le taux en faveur du candidat aouniste n’est en progression que dans deux localités, Dik el-Mehdi (66,96 % des voix à Camille Khoury contre 65,58 % aux candidats aounistes en 2005) et surtout Majdel Tarchiche (96,92 % contre 50,31 %). Or, le premier est un fief historique du PSNS et le second est le seul village presque exclusivement chiite. Enfin, dans le 96e village (il s’agit plutôt d’un hameau, Abou Mizane), la proportion est inchangée. Le même constat est valable pour le vote par communautés. Une seule, la chiite, a voté davantage CPL en 2007 qu’en 2005. De fait, la popularité du général a littéralement explosé dans l’intervalle chez les électeurs chiites, la proportion passant de 58 % en 2005 à plus de 97 % en 2007. Étant donné la très courte victoire remportée dans toute la circonscription par Camille Khoury (418 voix de différence seulement au total), et puisque le différentiel des suffrages chiites répertoriés comme tels entre MM. Khoury et Gemayel se monte à 655 voix (sans compter les voix chiites répertoriées sous le label divers musulmans et divers communautés), on peut considérer que c’est le vote chiite, et donc pas nécessairement arménien, qui a fait pencher la balance dans un sens plutôt que dans l’autre. Pour ce qui est des autres communautés, l’évolution est partout la même au détriment du candidat CPL. Ainsi, les maronites, qui forment la plus grande communauté du Metn (près de la moitié du total de la circonscription), avaient voté à près de 58 % lors des précédentes élections en faveur des candidats aounistes. Le taux est passé dimanche dernier à moins de 41 %, soit une chute de plus de 17 points. 19 860 maronites avaient préféré en 2005 les candidats CPL. Ils sont aujourd’hui plus nombreux, 19 938, à avoir voté en faveur du candidat du 14 Mars, contre 13 856 pour Camille Khoury. Chez les grecs-orthodoxes, la proportion est passée de 72,36 % à 57,72 %, soit près de 15 points de moins, et ce, malgré la présence de Michel Murr, principale « clé électorale » du Metn, aux côtés du CPL. Chez les grecs-catholiques, les aounistes tombent de 65,94 % à 51,83 %. Dans les urnes labellisées « divers chrétiens », le taux passe de 66,36 % à 49,46 %. Même évolution chez les sunnites et les druzes, les premiers voyant leur pourcentage proaouniste passer de 56,19 % à 39,93 % et les seconds de 25,80 % à 23,75 %. Géographie électorale Un certain nombre de leçons peuvent être tirées aussi de l’analyse géographique du scrutin. La région de Bickfaya avait déjà accordé sa préférence à Pierre Gemayel en 2005. Cette tendance est aujourd’hui nettement amplifiée en faveur de son père, qui obtient plus de 80 % des voix dans sa ville natale. On ne peut pas dire autant du village de Camille Khoury, Kornet el-Hamra, qui ne lui donne que 31 % de ses suffrages. Ailleurs, dans le Haut-Metn, mais aussi dans le centre (Beit-Méry, Broummana, Baabdate), région qui avait largement opté pour les aounistes en 2005, la tendance est aujourd’hui inversée, parfois d’ailleurs assez sévèrement, comme à Baabdate, localité du président de la République, Émile Lahoud, et d’un député membre du bloc du général Aoun, Salim Salhab, où la proportion pro-CPL passe de 55 % à 39,78 %. L’ancien député Nassib Lahoud, qui a fortement soutenu M. Gemayel, n’est certes pas étranger à cette évolution. Si la localité de Beit-Méry, fief d’un autre député allié du général, Ghassan Moukheiber, reste fidèle de justesse aux options aounistes (52 % à Camille Khoury), elle revient cependant de loin (69,29 % en 2005). Il reste le littoral, au poids démographique considérable et à la puissante composante arménienne, sans oublier les naturalisés et l’influence de Michel Murr. Mais même dans cette région, et si l’on excepte le rouleau compresseur de Bourj Hammoud (de loin la plus grosse agglomération du Metn), qui a plébiscité Camille Khoury avec 83 % des voix), la progression d’Amine Gemayel est sensible, au point de battre le candidat adverse à Jdeidé, localité du député Ibrahim Kanaan (également membre du bloc aouniste), et à Dékouané. Mais le résultat le plus symbolique de tout le Metn est peut-être celui enregistré dans la petite localité de Rabieh, lieu de résidence du général Aoun. C’est un véritable désaveu que les voisins du chef du CPL ont signifié à son candidat en ne lui accordant que 32 % des voix, contre 63 % en 2005, soit une chute spectaculaire de 31 points ! Dans les milieux aounistes, on a attribué une grande partie des revers enregistrés par le général Aoun à un « vote sentimental » en faveur d’Amine Gemayel à la suite de l’assassinat de son fils Pierre. Naturellement, il est difficile d’évaluer la part de « sentiment » dans le vote intervenu dimanche. Cependant, ce qui est certain, c’est que ce « sentiment » a joué chez les uns davantage que chez les autres, alors même que rien ne permet de dire qu’un meurtre attriste les uns plus que les autres. D’ailleurs, à suivre cette logique, on en conclurait que les votants chiites sont totalement dénués de ce « sentiment » en particulier puisqu’ils ont unanimement plébiscité – et plus que jamais – le candidat aouniste. Cela serait, bien entendu, inacceptable. Il serait plus exact de dire qu’un autre « sentiment », très favorable au général depuis son entente avec le Hezbollah les a légitimement motivés. D’autre part, ce « vote sentimental » ne pouvait pas constituer une surprise. Les milieux aounistes étaient censés s’y attendre bien avant le scrutin. Or, cela n’avait pas empêché le général Aoun lui-même de placer la barre très haut en affirmant que l’élection allait consacrer son leadership, et balayer le gouvernement et la majorité qui le soutient. Il reste un point à soulever. Ou plutôt une interrogation. Si l’on retranche les voix de Michel Murr, du Tachnag, du PSNS, des naturalisés et des chiites, quel est réellement le poids électoral propre du CPL aujourd’hui au Metn ? Il est hélas impossible de répondre à cette question, mais il existe toutefois un point de repère, et non des moindres : la partielle de 2002. À l’époque, on s’en souvient, il s’agissait du combat fratricide des Murr. D’un côté, on avait l’actuel 14 Mars + le CPL ; de l’autre, Michel Murr, le Tachnag, le PSNS, les naturalisés… Le résultat était 50/50. Aujourd’hui, rien n’a changé, sauf que le CPL est passé d’un camp à l’autre. Et le résultat est toujours 50/50. Élie FAYAD
Analyser le plus objectivement possible les résultats d’une élection législative aussi passionnelle que celle qui s’est déroulée dimanche dernier au Metn est une entreprise pour le moins téméraire.
Au soir du scrutin, des constats immédiats ont fait l’objet de quelques déclarations excessives de part et d’autre de l’échiquier politique. Force est de reconnaître que ces...