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De démocratie en démagogie, l’histoire d’une turpitude Élie FAYAD

Il en va de la démocratie comme des auberges espagnoles : on n’y trouve que ce qu’on y apporte. Et pour dire les choses comme elles sont, au Liban, le risque est de rester sur sa faim, non pas par manque de victuailles, mais parce qu’on découvrira qu’il en est très peu de comestibles. Voici donc une bonne ménagère de l’opposition qui, au nom de la démocratie, nous balance à la figure son panier de produits démocratiques. Elle dégainerait son pistolet face à l’adversaire lorsque le train sifflera trois fois que cela aurait le même effet. « Je vous écraserai tous pour vous prouver que je suis démocrate. D’ailleurs, vous ne valez rien. Vous êtes des malhonnêtes, des malpropres, des vendus, des salauds, des tyrans, des escrocs, des voleurs, des assassins, des traîtres, des usurpateurs. Pis encore : vous êtes des lèse-Conseil constitutionnel. Je vous hais. Je vous hais. Je vous hais. Je suis un démocrate. Je vous hais démocratiquement. Vous êtes bas… plus bas que ma ceinture démocrate ! « Vous, le Premier ministre. Oui, vous ! Je vous parle ! J’ai démocratiquement décrété que votre place n’est plus au Sérail. Alors, du vent ! Allez, zou ! Je vous chasse (démocratiquement, cela s’entend). Vous n’aurez même pas le temps de ranger vos affaires ! Ce n’est pas comme l’autre, à Baabda. Lui, c’est différent. On le laisse tranquille, démocratiquement. Question de prérogatives chrétiennes. « Vous, les ministres chrétiens du gouvernement. Vous êtes franchement mauvais. C’est un constat démocratique. Vous ne représentez rien. Et vous osez toucher à mon vendredi saint ! Mais c’est un crime odieux contre la démocratie ! Je vous chasse. « Vous là, le Bécharriote. Je vous hais. Quoi que vous fassiez, vous resterez un Satan à l’âme de milicien. Moi, je brûle démocratiquement des pneus, je bloque démocratiquement des routes. J’insulte tout le monde démocratiquement. Et vous, vous êtes un tyran. Vous ordonnez à vos miliciens de descendre dans les rues pour rouvrir les routes fermées. Quelle infamie anti-démocratique ! Je vous chasse. « Vous, l’ancien président. Je vous méprise démocratiquement, mais je n’ai rien de personnel contre vous. Vous exploitez le sang de votre fils, vous êtes responsable de l’avènement de la tutelle syrienne. Moi, je suis démocrate et je ne peux pas transformer le mensonge en vérité. C’est votre faute si j’ai été contraint, bien malgré moi, de vous placer en dessous de ma ceinture. De plus, votre élection porterait le coup fatal aux prérogatives de la présidence. C’est-à-dire, en termes démocratiques, à mes prérogatives à moi ! Je vous chasse. « Vous, les journalistes qui reproduisez quotidiennement mes éructations démocratiques. Je vous hais. Vous êtes de mèche avec les bandits. Vous êtes des gens immoraux, en dessous de toute éthique. Je vous chasse. « Vous verrez, avec mes amis démocrates du Hezbollah, nous vous porterons le coup fatal, au nom de la participation démocratique. Moi j’ai le droit de vous insulter, de vous vouer aux gémonies, et vous, vous devez voter pour moi. Parce que je suis un candidat démocrate. Et … consensuel ! « Si cela ne vous plaît pas, nous garderons la clé du Parlement dans le tiroir et nous empêcherons la présidentielle, comme cela se fait couramment en démocratie. » *** Le général Michel Aoun a mille fois raison. En démocratie, un siège parlementaire ne se gagne pas d’office. Il faut batailler pour le prendre et tous les coups sont hélas permis. Même sous la ceinture. Mais le général Aoun a tort sur un point : nous ne sommes pas en démocratie. Pas encore. Car en démocratie, on ne dresse pas des campings de neuf mois dans les centre-ville. En démocratie, on ne permet pas à un parti politique d’entretenir un arsenal guerrier. En démocratie, on ne dispose pas de diplomatie privée. En démocratie, des courants politiques majeurs ne se sentent pas marginalisés du fait qu’ils se trouvent dans l’opposition. Ils travaillent à l’alternance et attendent la prochaine échéance législative. En démocratie, on ne cherche pas à boucler les institutions de l’État parce que la majorité au pouvoir ne nous plaît pas. En démocratie, on ne dit pas : « Tous des voleurs, sauf moi. » En démocratie, on ne joue pas à dissimuler les vrais enjeux, surtout lorsqu’il s’agit d’une contre-offensive étrangère destinée à ruiner les acquis d’une révolution souverainiste. En démocratie, un homme d’État ne change pas de stratégie du simple fait qu’il ne s’entend pas avec des rivaux. En démocratie, on ne peut pas être à la fois chantre de la laïcité et défenseur des prérogatives de sa communauté. En démocratie, on ne cherche pas à imiter les communautés politiquement monochromes lorsqu’on appartient à une communauté qui a la chance de connaître le pluralisme. En démocratie, on ne combat pas le clientélisme avec les instruments du clientélisme. En démocratie, on fuit la démagogie populiste comme la peste. *** Mais il se peut très bien aussi que tout cela ne soit pas vrai. Car après tout, à en juger par l’histoire de la planète, la démocratie est une p… Il lui est arrivé de coucher avec n’importe qui.
Il en va de la démocratie comme des auberges espagnoles : on n’y trouve que ce qu’on y apporte. Et pour dire les choses comme elles sont, au Liban, le risque est de rester sur sa faim, non pas par manque de victuailles, mais parce qu’on découvrira qu’il en est très peu de comestibles.
Voici donc une bonne ménagère de l’opposition qui, au nom de la démocratie, nous balance à la...