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Actualités - ENTRETIEN

Entretien - L’ambassadeur de la Confédération helvétique s’explique sur l’action de son pays au Liban Barras : La Suisse est « un pays de paix, sans agenda »

«Construisez une petite barrière autour de votre jardin. » Ce conseil, un ermite suisse du XVe siècle, saint Nicolas de Flue, le donna à son peuple à une époque où celui-ci, du fait de ses divisions récurrentes, faisait de son pays « le terrain de bataille de l’Europe ». Plus de cinq siècles après, François Barras, ambassadeur de Suisse à Beyrouth, renouvelle aujourd’hui ce conseil à l’adresse d’un autre peuple, d’un autre « terrain de bataille » ouvert à tous vents, en l’occurrence le Liban. À l’occasion de la Fête nationale suisse, ce 1er août, M. Barras a accordé un entretien à L’Orient-Le Jour dans lequel il fait le point sur les liens entre les deux pays et s’explique sur l’action helvétique en faveur du Liban. Pour le diplomate, il n’y a certes pas que des similitudes entre ces deux pays à la morphologie également accidentée que sont le Liban et la Suisse. Mais depuis qu’Alphonse de Lamartine s’écria, en embrassant du regard les montagnes enneigées à son arrivée au pays du Cèdre, que « voici la Suisse d’Orient », les deux peuples n’étaient plus en mesure de s’ignorer totalement. Outre la géographie, par la taille autant que par les aspérités, le système bancaire, l’économie de services, le partage de la langue française, c’est bien sûr la nature plurale, composite, des deux populations et, de ce fait, leur histoire respective riche en conflits existentiels, qui tend à les rapprocher, à justifier leur « cousinage », selon l’expression de M. Barras. Après tout, explique l’ambassadeur, il fut un temps où « la principale ressource des Suisses était le “mercenariat” au service des puissances étrangères voisines. Les uns travaillaient pour le compte du roi de France, les autres juraient fidélité à l’empereur Habsbourg. Ce n’est que lentement, très lentement, que le processus d’intégration de la patrie de Guillaume Tell a pu déboucher, au XIXe siècle, sur la consécration d’une nation unie, pacifiée, sûre d’elle-même, fière de ses vingt-six cantons, ses quatre langues nationales et sa pluralité religieuse. M. Barras reconnaît avoir été frappé, dès son arrivée à Beyrouth, par « la place qu’occupe la Suisse dans l’inconscient collectif des Libanais ». Du plus petit village jusqu’aux conversations des ministres, la Suisse est présente dans les esprits. La presse libanaise y fait aussi souvent référence. Pourtant, relève-t-il, très peu de gens connaissent vraiment la Suisse, hormis les quelques clichés mondialement répandus. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’ambassade a l’intention d’organiser, à partir d’octobre prochain, un cycle de conférences destinées à familiariser le public libanais avec le système politique suisse. Ce cycle, indique M. Barras, sera présenté dans les principales universités et l’on prévoit déjà une couverture télévisée. Il sera ventilé en quatre modules : 1- Diversité culturelle et identité nationale ; 2- Citoyenneté locale, régionale et nationale, thème fondamental dans un pays pratiquant la démocratie semi-directe ; 3- Gestion démocratique du pluralisme ; 4- Politique de défense et de neutralité. Rien qu’à l’énumération de ces thèmes, on perçoit leur immense intérêt pour un pays comme le Liban. Une « sympathie culturelle » Mais, en sens inverse, qu’en est-il de l’image du pays du Cèdre chez les Suisses ? M. Barras est formel : « Le Libanais n’est pas un inconnu en Suisse. » Surtout, bien sûr, dans les régions romandes (francophones), dont il est lui-même originaire et où il existe notamment un afflux traditionnel d’étudiants libanais. Le problème est que « l’image du Liban est souvent occultée par la guerre, et cela au détriment du Liban intellectuel, culturel et spirituel qui est très vivant », déplore-t-il. Il enchaîne sur un point positif, la « sympathie culturelle » entre les deux pays. Celle-ci se traduira, par exemple, en 2008, par un ambitieux programme, organisé en coopération avec Pro Helvetia, étalé sur l’année et comprenant toute une série de manifestations centrées sur l’échange. Le but, explique l’ambassadeur, n’est pas tant d’offrir la Suisse aux Libanais que de réaliser des projets ensemble. S’agissant d’échanges, M. Barras relève que, contrairement à beaucoup d’autres partenaires du Liban, la balance commerciale entre Beyrouth et Berne est relativement équilibrée. En règle générale, le Liban importe beaucoup plus qu’il n’exporte. La Suisse fait figure d’exception, et cela, précise-t-il, est principalement dû aux florissantes exportations libanaises dans le domaine de la bijouterie. Pour développer ces relations commerciales, les deux pays viennent d’inaugurer le Swiss Business Council Lebanon, une sorte de Chambre de commerce commune qui entamera ses activités en septembre prochain. Retour à la politique. D’emblée, M. Barras se veut pragmatique. « Je refuse l’idée d’un modèle à imposer », dit-il. Quelles que soient les similarités dues à certaines expériences historiques, « chaque modèle est unique. Le Liban ne deviendra pas la Suisse, ni la Suisse le Liban ». Ce postulat posé, le diplomate en vient aux initiatives en provenance de la Confédération. D’abord, il y a l’offre officielle du gouvernement de Berne, qui propose son territoire pour une relance du dialogue entre les divers protagonistes libanais. Ensuite, il y a l’initiative spécifique de l’Association suisse pour le dialogue euro-arabo-musulman (Asdeam), une ONG qui s’est proposé, non pas de trouver des solutions immédiates à la crise libanaise, mais, comme l’explique M. Barras, de « réfléchir sur les problèmes systémiques » du Liban. Deux réunions ont déjà eu lieu au Mont-Pèlerin, près du lac Léman, sous l’égide de l’Asdeam, entre des représentants des principales forces politiques libanaises et des académiciens au cours des derniers mois, et une troisième est prévue dans quelques semaines. Certes, ces représentants ne sont pas mandatés par leurs chefs, ce qui, souligne l’ambassadeur, est autant un avantage qu’un inconvénient. La discussion est en effet plus libre, mais il ne faut pas s’attendre à des résultats concrets à court terme. En tout état de cause, précise M. Barras, les initiatives suisses en faveur du Liban « ne sont pas en compétition » avec les autres, notamment celles de la France ou de la Ligue arabe. « Chacun des acteurs a un avantage, assure-t-il. On peut travailler ensemble. Ce qui est fondamental, c’est de vouloir le bien du Liban. » Et de conclure : « Nous sommes un pays de paix, sans agenda, sans moyens de pression. Notre seul agenda, c’est que nous sommes amis du Liban. » Propos recueillis par Élie FAYAD * * * Visite à Hasbaya L’ambassadeur de Suisse à Beyrouth, François Barras, a visité hier en compagnie de son épouse la ville de Hasbaya. M. Barras, qui a effectué une tournée sur les sites de cette localité historique, était accompagné par le député Anouar el-Khalil. Ce dernier a ensuite convié le diplomate et son épouse à un déjeuner en leur honneur. Interrogé par les journalistes, M. Barras a évoqué les initiatives de la Suisse en faveur du dialogue et du rapprochement entre les protagonistes libanais. Il a déploré que certains responsables politiques suscitent les questions qui divisent les Libanais, alors qu’il existe selon lui beaucoup de choses qui les unissent. Sur un tout autre plan, M. Barras s’est dit heureux de visiter l’église Saint-Georges de Hasbaya qui, selon lui, ressemble aux églises suisses.

«Construisez une petite barrière autour de votre jardin. » Ce conseil, un ermite suisse du XVe siècle, saint Nicolas de Flue, le donna à son peuple à une époque où celui-ci, du fait de ses divisions récurrentes, faisait de son pays « le terrain de bataille de l’Europe ».
Plus de cinq siècles après, François Barras, ambassadeur de Suisse à Beyrouth, renouvelle aujourd’hui ce...