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« Un choc de religions, la longue guerre de l’islam et de la chrétienté, 622-2007 », de J.-P. Roux Deux civilisations brillantes, mais trop différentes pour se fondre l’une dans l’autre May MAKAREM

Qu’est-ce qui peut mieux que l’histoire témoigner de l’ambivalence du christianisme et de l’islam, porteurs par essence d’un message pacifique et si souvent empreint de violence ? Ces deux religions de l’humanité et de la paix sont en guerre depuis le VIIe siècle. De 632 à l’attentat du 11 septembre 2001 contre les Twin Towers à New York, de la fièvre des croisés à la guerre de l’Irak, en passant par les conquêtes arabes, les guerres balkaniques et russo-turques, les conflits internationaux des années soixante-dix et les attentats de Madrid, l’histoire est semée de faits sanglants entre les fidèles des deux camps. Dans son ouvrage intitulé « Un choc de religions, la longue guerre de l’islam et de la chrétienté, 622-2007 », paru aux éditions Fayard-Presses de l’Université Saint-Joseph, Jean-Paul Roux analyse l’histoire de ce rapport conflictuel, soulignant que « malgré de longues périodes de trêve, malgré tout ce que chrétiens et musulmans se sont mutuellement apporté, cette guerre est une réalité. Elle n’a jamais pris fin ». Il n’est pas de jour, de semaine ou de mois qui ne soient en effet marqués par des attentats commis par ceux que l’on nomme « les islamistes » ou « les ivres de Dieu », qui tuent et meurent pour ce qu’ils estiment être leurs droits ou leur foi, et sans que du sang ne soit versé par des chrétiens sur un territoire musulman : Européens et Américains occupant au moins deux pays musulmans (l’Afghanistan, l’Irak) et installant des bases militaires dans d’autres territoires. Directeur de recherche honoraire au CNRS, ancien professeur de la section d’art islamique à l’École du Louvre et historien spécialiste du monde turc, Jean-Paul Roux rapporte 1 375 ans de conflits islamo-chrétiens, étalant sur plus de 370 pages « l’immense expansion musulmane » qui a marqué l’histoire et bouleversé la donne géopolitique : les invasions arabes, la croisade, les villes enlevées à l’ennemi, les pays occupés. Offensives et contre-offensives, victoires ou défaites, l’auteur relate les conquêtes des Arabes en Syrie et Palestine, celles de l’Afrique du Nord, de l’Espagne, de la Sicile et de la Crète, la bataille de Poitiers, la prise de Constantinople et de Jérusalem, les assauts menés en Asie ou en Europe centrale... « Le monde musulman s’est créé sur des terres qui ont été mazdéennes ou bouddhistes, comme l’Iran et l’Inde, mais plus encore sur des terres chrétiennes, l’Asie mineure, la Syrie et la Palestine, l’Égypte et la Nubie, l’Afrique du Nord, et il les a converties en totalité ou en grande partie. » Les chrétiens contre-attaqueront et occuperont des terres musulmanes : les Anglais envahiront l’Afghanistan, les Indes et renverseront la dynastie des Grands Moghols ; les Français s’installeront en Algérie, en Tunisie et au Maroc ; les Hollandais se rendront maîtres de l’Indonésie ; les Russes de l’Iran... « En bien des endroits, tout se passera comme si les États musulmans n’avaient plus leur mot à dire. » Les religions, instrument de violence ? À vocation universelle, entendant attirer à eux la totalité de l’humanité, l’islam et le christianisme seront-ils la cause de la violence dans le monde ? Les guerres « ouvertes » qu’ils se livrent ont-elles pour objectif le salut de la communauté des croyants ou, à l’instar des croisades et de l’Inquisition, ont-elles été mises et utilisées au service du pouvoir à des fins sociales, politiques et économiques ? « La délivrance du tombeau du Christ n’avait pas été la raison profonde des croisades », pense Roux. La lutte contre l’islam n’a joué aucun rôle dans la campagne de Bonaparte en Égypte et dans la guerre franco-turque de 1798-1802. La guerre de Crimée, qui verra une alliance de la France, de la Grande-Bretagne et de la Turquie contre la Russie, « ne s’inscrit pas dans le cadre de la lutte entre l’islam et la chrétienté », fait-il observer, ajoutant encore que la colonisation n’a pas été accompagnée de christianisation et, comme le déclarait Arnaud de la Pomponne à Louis XIV, « le projet de guerre sainte avait cessé d’être à la mode depuis saint Louis ». Les sentiments confessionnels demeurent cependant violents. À titre d’exemple, le XIXe siècle est marqué par le massacre des chrétiens dans les Balkans et par celui des musulmans en Grèce. Et au début du XXe siècle, la tragédie arménienne reste « l’une des plus atroces de la lutte millénaire entre l’islam et la chrétienté ». « Tous ces massacres et guerres ne démontrent-ils pas qu’au XXe siècle, comme au XVIIe, quand les Maures furent chassés d’Espagne, chrétiens et musulmans ne peuvent pas vivre ensemble ? Nous aimerions répondre sans hésiter par la négative », écrit J.-P. Roux, mettant l’accent sur les énormes populations musulmanes vivant dans des pays non musulmans : en Asie du Sud-Est, en Afrique noire, en Inde (140 millions, soit 14 % de la population), en Russie (11 à 12 millions), sans parler de ceux qui ont choisi de vivre en Amérique et en Europe. Mais ces derniers, « même quand ils s’y insèrent harmonieusement, même quand ils se fondent dans les populations indigènes, renoncent-ils à être eux-mêmes, deviennent-ils des Belges, des Anglais, des Allemands, des Français ? La civilisation de l’islam fut brillante. La civilisation chrétienne le fut aussi (...) Bien qu’issues de la même source vétéro-testamentaire et nourries par l’hellénisme, elles sont trop différentes pour se fondre l’une dans l’autre ». Mostar, la petite ville de Bosnie sur la Nerevta, paraît « le parfait symbole du refus de vivre ensemble », et dans les pays où les fidèles des deux religions sont en nombre équivalent, pour ne citer que l’Éthiopie et le Nigeria, « les violences sont sporadiques ». L’auteur ajoute néanmoins que les agressions perpétrées par les terroristes contre les touristes à Istanbul, au Caire, Antalaya ou Louxor ont plus pour but de « déstabiliser les gouvernements » que de tuer des chrétiens. Alors, la religion serait-elle à l’origine de toutes les brutalités commises et des exactions exercées ? L’équation est inscrite dans l’esprit du grand public, puisque le conflit en Irak voit l’islam s’opposer au fondamentalisme chrétien des États-Unis, le conflit d’Irlande opposer les protestants aux catholiques, l’Inde dans un conflit religieux avec le Pakistan, le terrorisme faire son lit sur les croyances des musulmans intégristes... La liste est longue, mais elle occulte un fait essentiel : les grands massacres du XXe siècle ont été perpétrés par deux idéologies résolument athées et antireligieuses : le stalinisme et le nazisme. La religion peut-elle être stigmatisée de cette manière ? La violence n’est-elle pas un problème humain, au-delà des appartenances ? Difficile de donner une réponse, ni d’ailleurs « une conclusion à un tel livre, chacun de mes lecteurs pourra le compléter au fil des ans », souligne Jean-Paul Roux, tentant tout au plus d’établir un bilan provisoire : « Les chrétiens ont perdu plus de batailles qu’ils n’en ont gagnées », écrit-il. Et dans ce monde moderne et « nouveau », « les églises se désertifient », « la chrétienté se rétrécit » et « n’a plus guère de familles nombreuses », tandis que « la fantastique fécondité des foyers musulmans ne cesse d’accroître le poids des musulmans sur la terre ».
Qu’est-ce qui peut mieux que l’histoire témoigner de l’ambivalence du christianisme et de l’islam, porteurs par essence d’un message pacifique et si souvent empreint de violence ? Ces deux religions de l’humanité et de la paix sont en guerre depuis le VIIe siècle. De 632 à l’attentat du 11 septembre 2001 contre les Twin Towers à New York, de la fièvre des croisés à la...