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Actualités - OPINION

La Xe Croisade Élie FAYAD

«Le martyre du Christ vendu pour de la ferraille sans que les chrétiens du pouvoir ne bronchent ; les Judas de service égorgent les symboles sacrés et défendent le péché commis par leur gouvernement » (!) Telle est la matière avec laquelle un quotidien de l’opposition noircit ses pages et bourre le crâne de ses lecteurs. Cette belle tirade, le journal en question en a fait son titre sur huit colonnes pour relater l’idiote affaire du vendredi saint qui, à partir des révélations d’un homme d’Église qu’on souhaiterait mal informé, a déclenché au cours du week-end dans les rangs de l’opposition la campagne la plus délirante, la plus injuste, la plus arriérée et la plus démagogique qui soit contre le gouvernement. Ce qui est frappant dans cette campagne, ce n’est pas tant sa virulence déplacée que le fait qu’elle est doublement symptomatique : d’abord de l’état d’esprit de l’opposition et d’une partie de son public et, ensuite, de la peur panique animant certains milieux chrétiens de ce pays, une terreur de disparaître confinant davantage à la folie de la persécution qu’à la simple et nécessaire vigilance. Revenons aux faits, mais sans trop s’y attarder : au commencement, il y a la volonté légitime de s’attaquer à l’inflation de jours fériés dans le calendrier officiel de l’État libanais. La philosophie politique libanaise étant ce qu’elle est, les ciseaux doivent opérer de manière strictement égale pour les fêtes chrétiennes et musulmanes. Le gouvernement s’en acquitte. Reste un petit détail, mais qui ne concerne que les chrétiens : les congés de Pâques qui doivent être réduits d’un jour. Suspense : certains (chrétiens) se muent en défenseurs du vendredi saint et d’autres (chrétiens aussi) ne jurent que par le lundi de Pâques. Pour ces derniers, le vendredi saint est de toutes les façons un jour à moitié chômé dans les faits. L’adjonction du lundi aurait donc l’avantage d’aménager un long week-end. Pour les autres, le symbole religieux de la Passion du Christ est trop important pour qu’il soit ignoré. Les ministres chrétiens du gouvernement commirent le péché mortel d’opter pour le lundi. Mal leur en prit. L’homme d’Église cité plus haut répliqua en parlant d’« islamisation » du pouvoir. Et ce fut la curée : de Zahlé, de Zghorta, de Rabieh et d’ailleurs, les Urbain II et autres Pierre l’Ermite du XXIe siècle donnèrent de la voix. Un puissant courant politique, qui s’affirmait comme le chantre de la laïcité, prit la tête de ce formidable mouvement pieux. Il s’en est fallu de peu pour que l’on équipât une nouvelle Croisade. Tremblez, infidèles, Richard et Frédéric sont de retour ! Détail cocasse : le plus virulent de ces néo-Cœur de Lion est un non chrétien. Un druze, plus précisément. Pour Talal Arslane, « l’annulation du vendredi saint de la liste des célébrations nationales » n’est rien de moins que « la concrétisation matérielle du complot visant à rétablir le statut de dhimmitude »… *** En se livrant à de tels excès, l’opposition donne à penser tout d’abord qu’en termes de projet politique consistant et positif, susceptible de servir d’alternative pour la gestion du pays, ce qu’elle présente est un désert sans fin. Ensuite, elle démontre qu’elle est à court d’arguments à un point tel qu’en désespoir de cause, il lui faut n’importe quel prétexte, aussi futile et déplacé soit-il, pour tomber à plate couture sur le gouvernement et la majorité et suggérer ainsi à son public qu’elle défend quelque chose. Plus graves encore sont les implications du second symptôme. Dès lors qu’une partie des chrétiens s’est mis dans la tête que le pouvoir actuel est par nature antichrétien et que son action se limite à un grignotage des droits de la communauté chrétienne, toute décision émanant de ce pouvoir n’est plus perçue que sous cet angle. C’est cette attitude qui, poussée jusqu’à ses limites, a conduit à la terrible aliénation politique que l’on constate aujourd’hui au Liban, celle qui fait qu’une politique résolument souverainiste est jugée antichrétienne par des chrétiens du fait même qu’elle est l’œuvre de ce pouvoir. Ce phénomène est d’ailleurs tangible dans la question des prérogatives du président de la République, que certains soupçonnent le gouvernement « sunnite » de chercher à voler. Bien sûr, le Liban est un pays d’équilibre, si ce n’est d’équilibrisme. Et il est parfaitement naturel que, dans ce contexte, chacun fasse preuve de son côté de suffisamment de vigilance pour préserver non seulement ses droits en tant que composante, mais aussi ce qui fait la richesse même de ce pays, sa diversité. Cela étant dit, personne n’a jamais soutenu que le Liban est un pays où l’équilibre communautaire, le partage des prérogatives peuvent être conçus de manière statique, c’est-à-dire indépendamment de toute substance, de toute couleur politique. En d’autres termes, la présidence de la République a été historiquement attribuée aux chrétiens, et en particulier aux maronites, non pas parce qu’ils étaient majoritaires, mais parce qu’ils étaient considérés comme les plus aptes à défendre l’entité libanaise et son indépendance. Les larges prérogatives du chef de l’État ne pouvaient découler que de cette idée. Toute autre justification aurait été inacceptable, du moins pour tous les non-maronites. Et si Taëf a réorganisé les pouvoirs, il n’a pas pour autant aboli ce qu’on appelle la « formule libanaise ». Il l’a au contraire consacrée dans les textes. Or, à partir du moment où un chef de l’État cesse de remplir cette fonction essentielle de son contrat – protéger l’indépendance –, ses prérogatives, quelles qu’elles soient, perdent leur raison d’être. On a le droit de rejeter cette logique et de s’en tenir à une conception figée du partage du pouvoir au Liban. Il reste que, dans ce cas, il faudrait être conséquent avec soi-même et avoir le courage de proclamer qu’on est partisan d’une tutelle extérieure – nécessairement voisine –, sans laquelle il serait impossible de gérer la bataille des prérogatives. Après tout, c’est ce qui se faisait entre 1991 et 2005. On comprend que ce courage-là puisse manquer aujourd’hui à un grand courant politique chrétien qui s’était forgé hier dans l’idée souverainiste.
«Le martyre du Christ vendu pour de la ferraille sans que les chrétiens du pouvoir ne bronchent ; les Judas de service égorgent les symboles sacrés et défendent le péché commis par leur gouvernement » (!) Telle est la matière avec laquelle un quotidien de l’opposition noircit ses pages et bourre le crâne de ses lecteurs.
Cette belle tirade, le journal en question en a fait son...