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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Une femme de lettres irakienne égrène ses souvenirs Daisy al-Amir, nouvelliste à son insu !

Un salon cossu d’un élégant immeuble du quartier Clemenceau où des toiles de peintres irakiens ornent les murs face à la mer. Des femmes voilées portant jarre ou plateau en paille, des paysages au crépuscule entre sable et verdure, des scènes de rue populaires avec marchands ambulants : c’est cela la palette colorée et pittoresque de l’univers pictural signé Kassab, Saleh, Aa et Rabby. « Ce sont des toiles achetées dans la rue de Bagdad, une rue qui me parle de mon pays aujourd’hui ensanglanté, déchiré… » explique, dans un savoureux accent du pays de l’or noir, Daisy al-Amir, la maîtresse de céans. Une femme de lettres irakienne installée depuis longtemps à Beyrouth. Auteuree de plus de neuf ouvrages en arabe, réédités plusieurs fois, traduits en plusieurs langues, dont l’anglais et le chinois, Daisy al-Amir, 67 ans, vêtue d’une « abaya » d’été, a le regard et les propos de ceux qui fouillent un rêve lointain… C’est d’ailleurs un peu le titre de son premier ouvrage, publié dans les années 1960, al-Balad al baiid allazi nahoub (Le pays lointain qu’on aime –168 pages – dar al-Nidal). Une histoire venue de nulle part que Daisy al-Amir rapporte en ces termes, d’une grande et franche simplicité : « J’ai un goût prononcé pour les tapis. Un jour j’arrive à la maison et voilà qu’une précieuse jetée est mise comme paillasson. Je me révolte. Alors, la femme en secondes noces de mon père me rappelle que ce n’est pas tout à fait là ma maison pour donner des ordres ou émettre des opinions. Ulcérée, je vais pleurer dans mon coin car je n’ai personne à qui me confier, ma véritable mère étant décédée, une femme d’une grande beauté et d’un grand raffinement. Alors, je me réfugie dans mon cahier où je confie toutes mes idées, mes sensations, mes impressions, mes émotions et mes sentiments. Par la suite, je montre ces textes à Souheil Idriss et à sa femme, ne sachant trop quoi en faire… “Mais ce sont des nouvelles”, s’écrient mes amis. Et l’aventure d’écrire est partie. Pas de romans, pas de poésie, mais de petites nouvelles que j’aime soigneusement fignoler. En langue arabe, que j’aime par-dessus tout. Non, je ne porte pas le fanion de la cause des femmes, tout en réalisant que leurs droits sont bien spoliés. Je suis pour les évènements circonstanciels, les effets du hasard, les gens maltraités et malheureux, les choses de la vie. Je suis pour une humanité en confrontation avec les difficultés. Je ne parle pas de lieux mais d’évènements. Et depuis, l’écriture m’a réussi, car tout m’a souri. L’écriture est pour moi surtout une source de joie ; elle est spontanée et rien ne doit arrêter le flot de ma plume quand je me jette dans la mêlée des mots. D’habitude, je stocke des sensations et des sentiments. Sous la pulsion et l’impulsion du “Bic”, tout déborde. Le déclic est dû à un mot et alors l’inspiration s’installe. » Le regard, les gestes et l’expression de Daisy al-Amir s’animent quand elle évoque l’Irak ou Mossoul d’où est originaire son père, pourtant médecin diplômé de l’AUB. Férue des « andaloussiyate », mordue par la littérature égyptienne (Naguib Mahfouz, Tawfic al-Hakim, Ali Mahmoud Taha), appréciant le verbe de Saïd Akl, éprise des poètes irakiens (Badre Chakr el-Sayab, Chazel Taka, Abdelwahab al-Bayati, Baland al-Haïdari, Nazel el-Malaaka), l’auteure de Wou’oud lil bay’ (Promesses à vendre – 127 pages – Dar al-Nidal) et de Jirahat li tajmil a-zaman (Chirurgie pour embellir le temps – 112 pages – Dar el-Farès) n’a jamais songé en termes d’argent à sa carrière d’écrivaine. « Le succès est vite venu, dit-elle, et c’est presque à mon insu que j’ai découvert – puisque ce sont les autres qui me l’ont dit – que j’avais le talent d’une “nouvelliste”. Je n’ai jamais non plus compté mes lecteurs… et encore moins les livres vendus, malgré les nombreuses rééditions de chacun d’eux. Je voulais seulement être femme de lettres. Et puis j’ai sombré dans la déprime quand l’Irak est tombé dans le chaos. Je suis malheureuse pour Saddam Hussein et je ne crois pas qu’il était aussi mauvais qu’on a bien voulu le faire croire. Le festival « al-Marled » de poésie a été organisé par ses soins. Aujourd’hui, je lis beaucoup de poésie, mais je n’en fais pas : elle est tout simplement présente dans le lyrisme de mon écriture. » Des projets d’écriture ? « Non, pas pour le moment, dit l’auteure d’al-Bayt al-arabi al-saïd (La maison arabe heureuse – 152 pages – Dar al-Nidal). Depuis que “effendi” Bush est entré en Irak, je n’ai pas envie d’écrire, d’écouter de la musique. Et puis, ces derniers temps, j’oublie tant de choses… Le plus important dans la vie, c’est de ne pas avoir des préoccupations qui vous empêchent de vivre. Tout en n’oubliant pas non plus l’importance de l’amitié et de l’amour. » Edgar DAVIDIAN
Un salon cossu d’un élégant immeuble du quartier Clemenceau où des toiles de peintres irakiens ornent les murs face à la mer. Des femmes voilées portant jarre ou plateau en paille, des paysages au crépuscule entre sable et verdure, des scènes de rue populaires avec marchands ambulants : c’est cela la palette colorée et pittoresque de l’univers pictural signé Kassab,...