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Actualités - OPINION

La parole aux médecins L’hyperactivité infantile Par Maha RABBATH *

« Mon enfant bouge tout le temps et ne se concentre pas ! Docteur, est-il hyperactif ? » Avant de se lancer dans un diagnostic, remettons tout d’abord les pendules à l’heure. Un enfant est par définition « actif » et son agitation est normale. Il est important donc avant de se lancer sur la voie de l’ADHD de considérer l’environnement de l’enfant et son seuil de tolérance. Une famille où l’activité est un signe de bonne santé tolère ainsi plus facilement un enfant hyperactif. Il est important aussi de ne pas réduire l’identité de l’enfant à son hyperactivité. Le terme « hyperactif » colle en fait très rapidement comme une étiquette à la peau de l’enfant et réduit son identité à un diagnostic. L’enfant sent alors que l’image que ses parents se font de lui se résume à son hyperactivité, ce qui affecte négativement son estime de soi. C’est en fait la meilleure façon de déclencher un cercle vicieux duquel il sera difficile de sortir, où se mêlent un comportement inadapté, une mauvaise image de soi et des sentiments à tonalité dépressive. Le diagnostic d’hyperactivité peut rassurer les parents dans un premier temps, car le trouble aura été nommé, mais il ne les avancera nullement dans la compréhension du problème spécifique de leur enfant. Deux enfants hyperactifs, même s’ils partagent le même diagnostic, n’ont nécessairement pas la même problématique, ni la même histoire, ni le même vécu. Personnaliser un diagnostic protège de la déshumanisation qu’entraîne toute technicité et rend à la subjectivité la place fondamentale qu’elle occupe dans les sciences humaines. L’hyperactivité aujourd’hui L’hyperactivité a deux dimensions : « une agitation psychomotrice/impulsivité » et « un trouble de l’attention ». Pour pouvoir affirmer l’existence de ce trouble, il faut qu’il apparaisse dans de multiples contextes (scolaire, familial et social) et durer plus de six mois. Plus de 90 % des enfants diagnostiqués ADHD présentent l’ensemble des critères d’un autre trouble, ce sont les troubles dits « comorbides » (troubles anxieux, dépressifs, de l’humeur, des conduites ou oppositionnels avec provocation, des addictions et des tics). Même si la question de l’étiopathogénie exacte de l’hyperactivité infantile reste encore ouverte, on reconnaît actuellement une forme syndromique (entité clinique spécifique qui répond positivement à l’action des psychostimulants), qui nécessite un traitement médicamenteux, et une forme symptomatique. Dans ce cas, l’hyperactivité est un symptôme qui masque un conflit psychique latent. Le traitement consiste à mettre à jour ce conflit à travers une psychothérapie. Notons qu’une agitation excessive et un manque de concentration sont un moyen inconscient pour l’enfant d’exprimer un conflit qui le tourmente. Ce conflit peut être interne (lié au stade de son développement psycho-affectif) ou externe (en rapport avec son environnement familial et/ou social). Abus ou erreurs de diagnostic Il est essentiel que les parents soient bien informés lorsqu’ils consultent un professionnel. Ils pourront ainsi éviter certaines erreurs diagnostiques entraînant des abus thérapeutiques. À l’origine de cette situation, plusieurs facteurs. D’une part, la fréquence des manifestations « comorbides » qui rend le diagnostic d’hyperactivité pathologique délicat à poser. D’autre part, les conséquences matérielles, physiques et scolaires du comportement perturbateur de l’enfant, qui amènent souvent l’entourage à réagir négativement en adoptant des contre-attitudes de plus en plus strictes. Celles-ci vont plonger l’enfant dans une véritable spirale. Après un certain temps d’évolution, il devient extrêmement difficile pour tout clinicien de distinguer dans le comportement de l’enfant ce qui relève d’une éventuelle cause constitutionnelle de ce qui n’est que la conséquence de ses relations perturbées. Un troisième facteur est en rapport avec les valeurs et priorités que véhicule notre siècle, celui de la société de consommation. Quitte à décevoir les plus idéalistes d’entre vous, nous vivons dans une ère où tout, absolument tout, obéit aux lois de l’économie du marché. La sphère de la santé et de la médecine n’y échappe pas. Les recherches sont en majorité financées soit par des compagnies d’assurances, soit par des entreprises pharmaceutiques. Et il est donc inévitable que les lois du marché prennent parfois le pas sur les lois de l’éthique. En ce qui concerne la recherche, il existe bien évidemment des comités de suivi et des comités d’éthique qui tentent de faire leur travail tant bien que mal. Quant au domaine de la pratique clinique privée, certains pays ont réussi à mettre en place des structures pour protéger le patient contre tout abus médical. Mais il existe des pays, comme le Liban par exemple, qui n’ont pas pu, pour diverses raisons, établir des structures réellement effectives qui puissent garantir au « consommateur médical » une pratique clinique où l’éthique prime sur le commerce. Les habitants de ces pays sont donc dépendants des aléas de la vie et des valeurs éthiques du professionnel consulté. D’où la nécessité que ces patients fassent preuve d’esprit critique et de curiosité intellectuelle. En termes plus clairs, nous souhaitons attirer l’attention sur les risques du « tout médical » et du « tout psychologique ». Quelle prise en charge ? L’ère de la polémique autour du tout biologique ou tout psychique est révolue. On reconnaît aujourd’hui que l’étiopathogénie de l’hyperactivité est multifactorielle. Deux remarques d’importance peuvent influer la stratégie thérapeutique à suivre : – Une forme syndromique de l’hyperactivité, ayant un soubassement en partie neurobiologique et constitutionnel, ne condamne pas une approche psychodynamique qui tente de mettre à jour les conflits internes. Celle-ci permettra de comprendre le sens symbolique des symptômes ainsi que leur place dans la vie psychique et relationnelle de l’enfant. Une psychothérapie psychodynamique aidera l’enfant et sa famille à mieux vivre et mieux comprendre l’hyperactivité dans le contexte précis de l’histoire personnelle et familiale. – Même s’il s’agit d’une forme endogène, les facteurs déclencheurs sont multiples. Il est aujourd’hui scientifiquement reconnu que l’existence d’une prédisposition génétique et/ou neurobiologique ne suffit pas en elle-même à déclencher une maladie. Un exemple pour mieux comprendre le mécanisme sous-jacent : imaginez une salle équipée d’un système d’électricité, mais dont l’interrupteur est éteint. Si personne n’appuie sur l’interrupteur, vous n’aurez pas de lumière. Autrement dit, cette salle est « prédisposée » à être éclairée, mais aucun facteur environnemental n’a déclenché le processus qui aboutit à l’apparition de la lumière. Il en va de même pour les prédispositions d’ordre constitutionnel, l’environnement peut être externe (événement de vie) ou interne (biologique). La vulnérabilité constitutionnelle n’est donc pas suffisante pour aboutir à la constitution d’une hyperactivité au sens pathologique du terme. Les facteurs environnementaux (familiaux et/ou sociaux) sont toujours à prendre en considération quelle que soit la forme de l’hyperactivité. Plutôt qu’inconciliables, les deux perspectives (endogène/environnementale) apparaissent au contraire complémentaires. Leur mise en relation est même nécessaire si nous tenons à comprendre l’enfant hyperactif dans sa globalité. Cette approche multidimensionnelle permettra, d’un côté, à l’enfant hyperactif et ses parents d’éviter le piège aliénant et réducteur du « diagnostic-étiquette » et, de l’autre, aux professionnels en charge du devenir de l’enfant de le considérer dans toute la complexité et la richesse de sa personnalité. Prise en charge difficile et longue Face à l’hyperactivité infantile, le dispositif thérapeutique se doit de prendre en compte plusieurs axes. – La souffrance des parents épuisés par l’hyperactivité de leur enfant. Il n’est pas simple de repérer si c’est le désordre familial qui induit le trouble ou l’inverse. Il est important de soutenir la famille, d’autant que « sa capacité à contenir psychiquement l’enfant » va influencer le pronostic. – L’enfant. En effet, selon les cas et la sévérité de la situation, la prise en charge de l’enfant peut aller d’une thérapie individuelle à un dispositif thérapeutique multidimensionnel (thérapie individuelle, traitement médicamenteux, rééducation psychomotrice, prise en charge psycho-éducatives, entretiens familiaux). – Le traitement médicamenteux. Dans le cas où la gravité de la situation nécessite une aide médicamenteuse, celle-ci ne doit jamais constituer l’axe principal de la thérapie, elle doit rester intégrée à l’ensemble du dispositif thérapeutique. C’est justement l’aspect multidimensionnel de la prise en charge qui va avoir un effet thérapeutique, aucun axe ne peut être privilégié par rapport à un autre. Un traitement médicamenteux ponctuel peut s’avérer en effet spectaculairement efficace et parfois très utile. Mais le danger serait de se dire face à l’effet magique de celui-ci : « C’est bon, l’enfant est calmé, le problème est réglé » et ne pas chercher plus loin. Le médicament doit permettre, en calmant les choses, d’ouvrir le dialogue avec les parents et avec un thérapeute. Le recours aux médicaments ne peut se concevoir que s’il s’accompagne d’une écoute et d’une démarche thérapeutiques. C’est seulement ainsi que le trouble lié à l’hyperactivité peut être définitivement résorbé. * Maha Rabbath est psychologue clinicienne, psychothérapeute analytique à Choices PSI – Psychotherapy & Self-Development Institute. Elle est également membre de la Spadea (Société de psychothérapie analytique de l’enfant et de l’adolescent).
« Mon enfant bouge tout le temps et ne se concentre pas ! Docteur, est-il hyperactif ? »
Avant de se lancer dans un diagnostic, remettons tout d’abord les pendules à l’heure. Un enfant est par définition « actif » et son agitation est normale. Il est important donc avant de se lancer sur la voie de l’ADHD de considérer l’environnement de l’enfant et son seuil de...