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Actualités - OPINION

Projet de création d’une communauté nouvelle Joseph CODSI

Notre système communautaire est trop rigide. Il pratique de facto l’exclusion et la marginalisation de bien des personnes qui ne se reconnaissent dans aucune de nos 18 communautés. Ces personnes peuvent être soit incroyantes et non pratiquantes, soit croyantes et pratiquantes, mais appartenant à une secte qui n’est pas reconnue. Si nous voulons que notre système communautaire soit conforme aux exigences démocratiques, il faut faire en sorte que toute personne ait droit à une communauté dans laquelle elle se reconnaît et à travers laquelle elle peut exercer les droits qui nécessitent, chez nous, la médiation d’une communauté. Nous proposons la création d’une communauté capable de représenter tout ce monde-là. Le nom de « Communauté pour tous » (al-Tâ’ifat al-jâmi’at) nous paraît adéquat. Cette nouvelle communauté sera religieusement neutre, puisqu’elle sera ouverte à des personnes religieuses comme à des personnes non religieuses. Elle sera dotée d’une Constitution strictement civile. Les communautés traditionnelles remplissent trois fonctions qui leur reviennent en propre. Ces fonctions sont de nature (1) religieuse, (2) juridique et (3) politique. La « Communauté pour tous » ne remplira que deux fonctions, puisqu’elle n’aura pas de fonction religieuse. La fonction juridique concerne le droit dans le domaine du mariage et de la famille (statut personnel). La fonction politique concerne la représentation parlementaire. En effet, conformément au système communautaire, c’est en tant que communautés que nous sommes représentés au Parlement. Cela détermine la forme que prennent chez nous le droit de vote et l’éligibilité aux postes parlementaires. La « Communauté pour tous » a besoin de s’organiser en tant que communauté pour obtenir sa reconnaissance officielle. Cela veut dire qu’il lui faut se doter d’une Constitution en bonne et due forme et d’un statut personnel. Une fois ces deux documents mis au point, elle demandera au ministre de l’Intérieur de faire le nécessaire pour qu’elle soit reconnue conformément aux procédures établies par l’arrêté 60/LR du 13 mars 1936. L’arrêté 60/LR Cet arrêté traite uniquement du rôle juridique des communautés. Il distingue entre les communautés religieuses traditionnelles, donc de création ancienne (première partie), et les communautés de droit commun (deuxième partie). La « Communauté pour tous » tombe dans la seconde catégorie. La deuxième partie parle des personnes qui appartiennent à une communauté religieuse non reconnue et de celles qui n’appartiennent à aucune communauté religieuse. L’article 14 déclare ceci : « Les communautés de droit commun organisent et administrent librement leurs affaires dans les limites de la législation civile.» Comme la « Communauté pour tous » comprend les communautés religieuses non reconnues et les personnes qui n’appartiennent pas à une communauté religieuse, la distinction qui est faite dans la deuxième partie entre ces deux catégories ne joue plus. La communauté dont nous projetons la création transcendera la dimension religieuse. Sous ce rapport, elle introduira du nouveau au Liban. Elle remplira chez nous un rôle analogue à celui qu’un État occidental joue par rapport à la société qu’il gouverne. À la différence de l’État occidental, la juridiction de notre communauté se limitera aux personnes qui désirent en faire partie. La procédure à suivre L’arrêté 60/LR décrit la procédure qu’il faut suivre pour obtenir la reconnaissance de la nouvelle communauté. L’article 15 est à la fois le plus important et le plus compliqué. Voici ce qu’il dit concernant les communautés de droit commun telles qu’elles sont définies dans l’article 14 : « Elles (ces communautés) peuvent obtenir la reconnaissance si leur doctrine et leur morale ne sont contraires ni à l’ordre public et aux bonnes mœurs, ni aux lois organiques des États et communautés, ni aux dispositions du présent arrêté, enfin si leur importance numérique et leurs garanties de pérennité paraissent justifier ce privilège. » Le langage de cet article est éloquent. La reconnaissance d’une communauté de droit commun de la part de l’État est un privilège, non un droit. Par rapport à la République à l’état pur que nous avons importée de France, les communautés sont une aberration. La République ne fait que les tolérer faute de pouvoir s’en débarrasser. Le fait de les tolérer, même quand il s’agit des communautés les plus traditionnelles et les plus respectables, est un privilège. À l’encontre de cette façon de voir les choses se situe celle du feu l’imam Mahdi Chamseddine, qui soutenait dans son réalisme imperturbable, qu’au Liban les communautés sont premières par rapport à l’État. Il y a chez nous une grande différence entre les principes abstraits et la réalité la plus élémentaire. Ceux d’entre nous qui sont réalistes n’auront aucune peine à reconnaître que, dans notre système communautaire, les communautés ont droit à l’existence et que l’État a l’obligation de les reconnaître, dans la mesure même où elles remplissent des fonctions nécessaires. Les communautés tirent leur pouvoir de leurs membres et non de l’État. En effet, comme je l’ai noté plus haut, le système communautaire devient discriminatoire et condamnable s’il ne reconnaît pas à tout citoyen le droit à une communauté dans laquelle il se reconnaît et par la médiation de laquelle il exercera les droits civils qui ne peuvent être exercés que par la médiation d’une communauté. Il y a là deux façons de comprendre le Liban qui sont diamétralement opposées. Leur coexistence ne peut que consacrer l’échec de notre projet national. Or ce problème est libanais à 100 %. Ni la Syrie, ni l’Iran, ni les États-Unis, ni même la France ne s’en préoccupent. À cette question fondamentale s’ajoute la question du nombre. Un privilège peut être réservé aux grandes communautés et dénié aux petites, mais pas un droit. D’autre part, s’il convient que les statuts d’une communauté soient conformes aux normes du droit, le fait d’exiger une certaine conformité aux autres communautés est on ne peut plus étrange. En effet, le niveau communautaire est celui de nos différences insurmontables. Il nous reconnaît le droit à la différence. Il serait contradictoire de soumettre les vues d’une secte musulmane aux vues d’une secte chrétienne ou d’exiger que des athées se conforment à certaines croyances. Toute recherche d’unité au niveau communautaire est aberrante. On ne peut pas faire de ce qui cause nos différences insurmontables un agent d’unité et de conformité. Notre unité nationale n’est ni une question d’unité religieuse ni une question de conformité idéologique. Elle se limite à la gestion strictement politique de la chose publique, c’est-à-dire aux questions où les compromis sont possibles et souhaitables. Tout ce qui concerne les croyances religieuses ou les idéologies politiques fait partie des différences insurmontables qui doivent être respectées au niveau communautaire et qui n’ont pas de place au niveau national. En ce qui concerne le respect des normes de la morale occidentale, les communautés traditionnelles sont exemptes de l’obligation de s’y conformer. Exemple : la polygamie est tolérée dans notre système communautaire, en dépit du fait qu’elle soit devenue intolérable dans le monde moderne. Je ne réclame pas pour une communauté de droit commun un privilège analogue à celui-là. Mais je trouve que l’État a l’obligation de respecter nos différences insurmontables, même quand cela déplaît à telle ou telle autre communauté. Subordonner la reconnaissance d’une communauté à la tolérance d’une autre communauté est une façon de prendre parti dans nos querelles religieuses et idéologiques. L’État doit rester à égale distance de toutes les communautés, celles qui sont traditionnelles et celles qui ne le sont pas. Un État qui est au service de certaines communautés et du non-droit qui en résulte – un État qui pratique l’exclusion arbitraire – a besoin d’être rappelé à l’ordre. J’invite les lecteurs et les lectrices que ces questions intéressent à en discuter librement sur le Net. Écrivez à l’adresse suivante : repenser-le-libanyahoogroups.com. Joseph CODSI Universitaire Article paru le Mardi 19 Juin 2007
Notre système communautaire est trop rigide. Il pratique de facto l’exclusion et la marginalisation de bien des personnes qui ne se reconnaissent dans aucune de nos 18 communautés. Ces personnes peuvent être soit incroyantes et non pratiquantes, soit croyantes et pratiquantes, mais appartenant à une secte qui n’est pas reconnue.
Si nous voulons que notre système communautaire soit...