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Actualités - OPINION

La parole aux médecins L’hystérique, entre amour et cruauté Par le Dr Chawki AZOURI*

Deux états d’âme peuvent guérir l’hystérique de sa névrose, autant chez la femme que chez l’homme : l’état amoureux et l’état transférentiel dans une cure analytique qui n’est rien d’autre qu’un état amoureux. La différence entre l’amour et l’amour de transfert, qui est donc un vrai amour, repose sur deux points essentiels. D’une part, dans la relation amoureuse, on se promet un amour éternel alors que dans l’amour transférentiel qui débute avec la cure, l’analyste « promet implicitement à son analysant que cette relation se terminera et qu’un jour, il le laissera partir ». D’autre part, dans l’amour, les amoureux n’arrêtent pas de se faire des demandes, alors que dans la relation d’amour transférentiel à l’analyste, « l’analyste ne demande rien ». Et comme l’hystérique sait mieux que n’importe quelle autre structure psychique que « toute demande est demande d’amour », elle n’aura de cesse de « se convaincre que c’est son analyste qui la demande ». Et c’est en cela que l’hystérique ne distingue pas les deux états d’amour et de transfert parce que dans les deux cas, « elle se pose en objet de la demande ». Elle ne demande rien, elle, ni à son amoureux ni à son analyste. Du haut de son trône de reine ou de princesse, elle daignerait répondre éventuellement à une sollicitation amoureuse. Seulement, au bout d’un long moment, elle réalisera que la question : « Qu’est-ce qu’Il me veut, que me veut l’Autre ? » où elle s’était placée en objet de la demande ne l’amènera qu’à être aimée ou persécutée. Alors s’ouvre devant elle avec angoisse la question fondamentale pour tout être humain : « Qu’est-ce que je veux ? ». Et c’est là, que mieux et plus vite que n’importe qui d’autre, « elle peut guérir de sa névrose ». Seulement et tout le problème est là, il « faudra qu’elle reconnaisse son désir sexuel, qu’elle accepte d’être le sujet de son désir », autant pour son amoureux que pour son analyste qui, lui, ne fera que l’analyser. Et là, l’hystérique va déployer une panoplie de stratégies et de tactiques dont elle seule a le secret. Par exemple, tout en suscitant son désir, « elle va se refuser sans cesse à son partenaire ». Elle est alors décrite comme allumeuse, mais surtout cruelle parce que « castratrice », descriptions communément admises dans toutes les cultures et à toutes les époques. Mais n’oublions jamais que ces descriptions sont le fait d’un Ordre établi dont l’homme ou le masculin est le Maître. On en voit une très belle illustration dans le film de Bunüel, Cet obscur objet du désir. Car ce que demande l’hystérique à son amoureux, c’est avant tout « une étreinte amoureuse ». Dans cette étreinte, elle veut éprouver un sentiment étrange que seul son amoureux est capable de lui offrir, d’être « un enfant qui bande à son contact, comme l’était le jeune Eros ». Ce n’est pas donc d’une castration de l’homme dont il s’agit mais, comme le dit merveilleusement Barthes, d’un émoi où « tout est alors suspendu, le temps, la loi, l’interdit ». Avec son analyste également et pour éviter cette étreinte qu’elle n’arrêtera pas de susciter, elle s’arrangera toujours pour lui « donner l’impression que c’est lui qui la demande ». Et pour éviter de reconnaître son propre désir, elle cherche à susciter celui de l’analyste : elle arrive toujours en retard à ses séances et lorsqu’elle vient, c’est comme si c’était une faveur qu’elle daignait faire à son analyste. Ainsi, « l’hystérique veut manquer à l’Autre » afin que l’Autre la désire, ce qui lui permettra de maintenir sa propre conviction qu’elle ne désire rien. Par quoi elle se rassure quant à son être : « elle est ce qui manque à l’Autre ». Cruellement. Car plus elle est cruelle, plus l’Autre en souffre et plus elle s’assure qu’elle lui manque. Face à cette cruauté, l’amoureux finit par préférer la mort. Comme l’exprime bien La Fontaine, l’autre en arrive à préférer mourir plutôt que de subir la cruauté de son amante : « Soulagez mon tourment, disais-je à ma cruelle, ma mort vous ferait perdre un amant si fidèle qu’il n’en est point de tel en l’empire amoureux. » Une autre des grandes stratégies de l’hystérique est de se choisir toujours un Maître. Et elle va s’arranger, comme on l’a vu plus haut, de lui démontrer que sans elle, il ne peut être vraiment le maître. Dans cette lutte, elle choisit les armes. Ainsi, l’hystérique s’arrange pour avoir toujours « sous la main » deux « maîtres ». Par exemple, elle ne quittera jamais son mari pour son amant et ne lâchera jamais son amant pour son mari, jubilant en permanence de jouer l’un contre l’autre. Cette stratégie a pour but de signifier au Maître « qu’il ne peut être le maître puisqu’il y en a un autre ». C’est pour cette raison que dans la plupart des cas, lorsque l’hystérique divorce pour épouser son amant, « le fiasco est incontournable ». Sacha Guitry l’a bien deviné : « Les liens du mariage sont tellement lourds qu’il faut être trois pour les porter.» Dans ce duel avec le Maître où elle ne se soumet que pour se rebeller aussitôt, elle jouit alors d’une jouissance « sadomasochiste ». Cette jouissance sadomasochiste ne se joue pas seulement sur le plan « phallique » qui nourrit les fantasmes de viol de l’hystérique. Cette jouissance provient également d’une période beaucoup plus archaïque où la lutte féroce avait pour partenaires la mère et le nourrisson. À ce niveau-là, il ne s’agit plus d’une pénétration sexuelle de gré ou de force, mais d’une « dévoration cannibalique orale à laquelle se livrent la mère et son nourrisson ». De là proviennent les « symptômes anorexiques » comme de là provient également le fantasme, très fréquent chez la femme hystérique, d’une « castration orale de son partenaire ». Et c’est également pour éviter cette régression archaïque « que l’hystérique parle beaucoup », comme si elle nous indiquait par là que c’est bien là que ça se passe, au niveau de la bouche, tout en ne laissant personne en « placer une » afin de ne rien entendre de ce qu’elle dit. Voilà pourquoi également l’hystérique est incapable de dire les mots « je t’aime » car, comme le dit si bien Roland Barthes, le « je t’aime » n’est pas proféré comme une phrase, mais comme un cri, qu’il n’a pas de place dans les sciences humaines, ni dans la sémiologie ni dans la linguistique. « L’instance à partir de laquelle le “ je t’aime” est proféré serait la musique », un lieu de jouissance indicible, informulable, dont les seuls mots sont ceux du « je t’aime ». Voilà pourquoi l’hystérique préfère les paroles d’une chanson à la musique, car elle peut apprendre les paroles et donc les maîtriser alors que la musique lui échappera toujours comme jouissance en elle-même. Et voilà pourquoi l’analyste reste le seul interlocuteur de l’hystérique. En acceptant de se taire et de l’écouter, comme l’a fait Freud à l’origine, l’analyste ne rentre pas dans le jeu du duel avec le maître où cherche à le placer l’hystérique. S’il ne parle pas souvent, c’est bien parce qu’il sait que l’hystérique s’intéresse moins au contenu de ce qu’il va dire que plutôt au timbre de sa voix. L’interprétation de l’analyste avec une hystérique ne peut être que chirurgicale. S’il se prenait au piège de l’explication psychanalytique, il a déjà perdu la partie, car l’hystérique n’entendra que la partie charnelle de la voix qui parle. Mais il ne faudrait pas non plus que son silence soit artificiel et, quitte à se dévoiler, il vaut mieux qu’il le fasse plutôt qu’il ne se taise. * Psychiatre et psychanalyste, chef du service de psychiatrie de l’Hôpital Mont-Liban.
Deux états d’âme peuvent guérir l’hystérique de sa névrose, autant chez la femme que chez l’homme : l’état amoureux et l’état transférentiel dans une cure analytique qui n’est rien d’autre qu’un état amoureux. La différence entre l’amour et l’amour de transfert, qui est donc un vrai amour, repose sur deux points essentiels. D’une part, dans la relation amoureuse,...