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Peinture à l’encre, cérémonie du thé ou cours d’ikebana Les femmes russes trouvent dans les arts japonais une seconde vie

Dans son appartement moscovite, Midori Yamada, établie en Russie depuis près de 17 ans, observe et commente calmement chaque trait des peintures à l’encre de ses élèves, avant de diriger pour elles la cérémonie du thé. Non loin de là, dans la maison de la culture du quartier, Olga Fomitcheva corrige à coups de sécateur rapides et sûrs les compositions des élèves de son cours d’ikebana, art japonais très ancien de l’arrangement de fleurs, branches et plantes où l’harmonie des lignes a une importance primordiale. « Lorsqu’il fait très chaud, il est important de susciter une impression de fraîcheur ; si votre composition est trop dense, elle ne frémira pas ! » dit-elle avec sévérité. Mme Yamada, âgée de 71 ans, qui enseigne elle aussi l’ikebana, et Olga Fomitcheva, 45 ans, sont parmi une vingtaine de professeurs de cet art à Moscou. Elles se connaissent bien. Leur destin a basculé la même année, en plein effondrement de l’URSS en 1991. La première enseignait dans son pays cérémonie du thé, arrangements floraux, peinture, mais, soudain terrifiée par cette vie trop tranquille, elle a tout abandonné à 54 ans pour apprendre le russe à Moscou. « Je me suis mise à penser : “J’ai une vie si calme, ça n’est pas bon, mon cerveau va s’émousser” », raconte cette femme à la peau lisse et au regard serein. Arrivée fin janvier 1991 à Moscou, elle découvre dans sa cité universitaire mal chauffée les pénuries alimentaires des derniers moments de l’URSS, qui allait éclater en décembre. Invitée par hasard à enseigner l’ikebana, populaire depuis longtemps en Union soviétique où il est soutenu et financé par les autorités japonaises, elle finit par rester. La même année, Olga, jeune chercheuse à la pointe du secteur spatial soviétique, comprend que les bouleversements qui secouent son pays compromettent l’avenir de son travail. Inspirée par l’ikebana, son hobby à l’époque, elle se lance dans la décoration florale d’un des premiers hôtels de luxe de la capitale. Elle dirige à présent la filiale russe de l’école Sogetsu, créée au Japon en 1927 pour libérer cet art de ses règles très strictes et y autoriser notamment l’usage d’objets de la vie quotidienne : des clous aux gros boutons de manteau multicolores. L’école compte à Moscou quelque 200 élèves qui suivent un parcours précis ponctué d’examens, d’expositions, de démonstrations, d’éventuels voyages au Japon. Un cursus contrôlé par le siège de Tokyo. Olga voyage aussi à travers toute la Russie, un pays qui se distingue par la moyenne d’âge basse des adeptes de cette discipline pratiquée par certains pour parfaire leur métier de décorateur. « Je pense que l’ikebana est une activité qui convient bien à l’âme des femmes russes, à leur sensibilité envers les plantes », estime-t-elle. Yamada sensei (professeur), comme l’appellent ses élèves, dirige elle la filiale pour toute la CEI (Azerbaïdjan, Ukraine, Kazakhstan, Moldavie...) de l’école traditionnelle Ikenobo. « Notre école est très dure, chaque fleur a ses lois », dit-elle en notant le « sérieux » et les « dons » des Russes dans ce domaine. « Je suis comptable, un métier ennuyeux, et lorsque je quitte ce cours, je me sens pousser des ailes, c’est comme une thérapie », dit Dina Gorodetskaïa, 47 ans, élève d’Olga Fomitcheva. « C’est un plaisir immense, qui donne de l’énergie, nous fait regarder la nature d’une autre manière, avec plus d’attention », se réjouit Ioulia Iarlykova, 40 ans, ancienne biochimiste qui peint plantes et animaux à l’encre noire et à l’aquarelle depuis deux ans et pratique l’ikebana depuis une décennie. Le cours de Yamada sensei se termine par la cérémonie du thé dans une pièce entièrement japonaise, dépouillée, au sol couvert de tatamis. En yukata, léger kimono d’été, les femmes respectent en silence chaque geste du rituel, oubliant un instant la chaleur presque aussi écrasante, en ces derniers jours du printemps, que celle des étés à Tokyo.
Dans son appartement moscovite, Midori Yamada, établie en Russie depuis près de 17 ans, observe et commente calmement chaque trait des peintures à l’encre de ses élèves, avant de diriger pour elles la cérémonie du thé.
Non loin de là, dans la maison de la culture du quartier, Olga Fomitcheva corrige à coups de sécateur rapides et sûrs les compositions des élèves de son cours...