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Actualités - CHRONOLOGIE

EN LIBRAIRIE - « La mort viendra et elle aura tes yeux », de Joumana Haddad L’anthologie des poètes suicidés

Ils taquinent la muse, mais ils ne badinent pas avec la mort. « Ils » sont les poètes suicidés. Joumana Haddad, poétesse, journaliste et traductrice, a traqué ces âmes sensibles et torturés dans une anthologie qui vient de paraître en coédition chez Dar an-Nahar et l’Éditeur scientifique arabe. Intitulé La mort viendra et elle aura tes yeux (un vers du poète italien suicidé Cesare Pavese), cet ouvrage englobe 150 poètes (dont 28 poétesses) qui se sont suicidés au vingtième siècle. Ils viennent de 48 pays différents. Sa réalisation a « exigé quatre années assidues d’investigations, de sélections et de traductions, et la lecture de plus de 70 références sur le sujet en diverses langues ». Outre le prologue, l’introduction, les textes, les données statistiques et les conclusions, cet ouvrage plurilingue (les traductions arabes étant confrontées avec les textes originaux) est divisé en trois grandes parties. La première, véritable colonne vertébrale de l’œuvre, présente d’une manière assez détaillée cinquante poètes et quelques poèmes choisis. La deuxième partie est consacrée à cinquante auteurs que la poétesse classifie « de moindre importance » sur le plan qualitatif poétique que ceux du premier chapitre. La troisième section inclut les poètes de l’ombre. Joumana Haddad s’est contentée là de les citer. « Ils sont dans l’ombre parce que leurs œuvres n’ont pas laissé d’impact », précise-t-elle. Ou bien parce que Haddad n’a pas trouvé des informations les concernant. Quoi qu’il en soit, l’auteur de l’ouvrage tient à préciser que le choix et la catégorisation restent subjectifs avant tout. À la fin du livre figurent aussi des annexes sur les poètes qui se sont suicidés avant le XXe siècle ainsi que sur les principaux romanciers et artistes ayant mis fin à leur vie. lls ont dit non à la vie, un non crié en vingt langues, de douze manières différentes (empoisonnement, noyade, pendaison, précipitation sous le train, par balle…) Alphonsina, Vladimir, Paul, Sylvia, Daniel, Khalil, Alejandra, Reynaldo, Ana Cristina, Qasem… et les autres sont venus chez la poétesse, dans son sommeil, pour l’exhorter à les sortir de l’ombre. Ces « martyrs de la poésie », comme elle les désigne, sont ses enfants et cet ouvrage est leur maison, pas leur tombeau. « Les suicidés ne sont pas des morts. Pas des morts dans le sens classique du terme, je veux dire. » Car Haddad conçoit les suicidés comme une catégorie à part. « Ni morts ni vivants, ils sont les deux à la fois », indique la responsable de la section culturelle du quotidien an-Nahar, qui possède à son actif plusieurs recueils dont Invitation à un dîner secret et Le retour de Lilith. Ils l’ont « kidnappée et galvanisée », indique la polyglotte qui a publié plusieurs ouvrages de traduction dont une anthologie de la poésie libanaise moderne en espagnol. « Torturée, désorientée et dévorée » par ces fantômes, elle est allée à leur trace. Elle a fouillé leurs enfances, leurs terres, leurs sourires, leurs malheurs, leurs enfers, leurs plaies ouvertes… Pour expliquer d’une manière plus cartésienne le choix de son sujet, la poétesse indique que c’est en traduisant des poèmes pour le supplément d’an-Nahar et en présentant les biographies de leurs auteurs, qu’elle s’est aperçue que la plupart se sont suicidés. Au début, elle comptait en présenter 33. Mais au fil des ans, la liste s’est agrandie. Pour le côté sentimental de la chose, il faut préciser que Haddad ne s’entichait que d’œuvres de poètes ayant mis fin à leur vie. Pourquoi une anthologie des poètes disparus ? « Le fait qu’ils se sont suicidés ne constitue pas l’unique et principal critère de sélection », affirme-telle. En tant que poétesse, lectrice et traductrice, elle considère que les rassembler dans un même espace peut créer une atmosphère poétique harmonieuse. D’autant plus qu’elle a sélectionné les poèmes ayant trait à la mort. « Un fil invisible les unit, c’est comme s’ils appartenaient à une même planète. » La majorité des textes traitent du thème de la mort. Ils ont donc une certaine valeur prédictive ou annonciatrice de l’acte terminal. Voilà donc une plongée dans le monde sombre, disjoncté, parfois incompréhensible mais souvent incompris de 150 poètes qui ont précipité, désiré, appelé leur fin. Des poètes maudits, dont la poésie est (notamment avec l’aide de Joumana Haddad) bien vivante. Maya GHANDOUR HERT

Ils taquinent la muse, mais ils ne badinent pas avec la mort. « Ils » sont les poètes suicidés. Joumana Haddad, poétesse, journaliste et traductrice, a traqué ces âmes sensibles et torturés dans une anthologie qui vient de paraître en coédition chez Dar an-Nahar et l’Éditeur scientifique arabe.
Intitulé La mort viendra et elle aura tes yeux (un vers du poète italien suicidé...