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Actualités - OPINION

Impression Drôle de fête

Partout au monde, on célèbre le Soldat inconnu, les morts au champ d’honneur, les résistants, les héros de la patrie. On érige des Panthéons pour abriter leurs cendres. Les monuments fossilisent la reconnaissance. Ils la figent dans la pierre, l’incrustent dans le paysage, la gravent dans la mémoire collective. Elle est là, c’est tout, même si on n’en parle plus. Notre Panthéon à nous est inscrit dans le temps. Il s’appelle 6 mai, fête des Martyrs en général, ces morts pour la patrie, finalement détournée, le plus naturellement du monde, en faveur des martyrs de la presse. Si naturellement d’ailleurs, qu’on ne s’est jamais posé de question sur cette bizarrerie sociologique. Il y a quelque chose dans cette commémoration qui fait du Liban un pays atypique. D’abord par le choix du mot « martyr », avec son évidente connotation religieuse. Les quatre évangélistes ne furent-ils pas les premiers reporters ? Comme chacun sait, un martyr est un témoin. En arabe, le même mot qualifie le témoin et celui qui est mort d’avoir témoigné. Dans ses moments de grande vulnérabilité, notre pays n’a eu d’arme que son audace, de soldats que ceux qui ont osé, la plume au clair, dénoncer la tyrannie. Sur la théorie des opposants exécutés en 1916 par un Empire ottoman à bout de souffle, près de la moitié étaient des journalistes. Depuis, le Liban a érigé la liberté de la presse au rang de vertu première de sa démocratie. Il en a fait son image de marque, même si des régimes vacillants ont parfois persécuté les plus courageux de ses représentants. Voilà le hic : en temps de crise, la vérité est un luxe que seuls peuvent se permettre les pouvoirs bien assis. Si l’on ajoute à cela que notre civilisation goûte peu la satire, qu’une forme de sacralité entoure l’image du chef, souvent assimilée à celle, intouchable, du père, le champ qui reste à la liberté est plutôt congru. Demain, 6 mai, date douloureuse entre toutes, nous célébrerons ceux dont les mots ont libéré nos mots. Nous songerons avec amertume au sens de cette liberté d’expression qui nous lâche la bride pour mieux nous étrangler. Nous aurons une pensée émue pour tous ceux, depuis les frères Khazen, en passant par Kamel Mroué, Sélim el-Laouzi, Édouard Saab, Fabienne Thomas, Marwan Hamadé, Samir Kassir, Gebrane Tuéni, May Chidiac, et tant d’autres – ils sont, paraît-il, plus de six cents dans cette partie du monde – qui ont payé de sang le prix de la parole. Viendra-t-il grâce à leur tribut, ce jour où la démocratie comprendra qu’il ne sert à rien d’accorder une liberté sans la garantir ? Où l’on préférera le journaliste plutôt vif que mort, agitateur d’idées, repousseur de limites, provocateur de progrès ? Fifi ABOU DIB
Partout au monde, on célèbre le Soldat inconnu, les morts au champ d’honneur, les résistants, les héros de la patrie. On érige des Panthéons pour abriter leurs cendres. Les monuments fossilisent la reconnaissance. Ils la figent dans la pierre, l’incrustent dans le paysage, la gravent dans la mémoire collective. Elle est là, c’est tout, même si on n’en parle plus.
Notre Panthéon...