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Actualités - OPINION

Analyse 26 avril 2005 - 26 avril 2007 : un anniversaire oublié ? Élie FAYAD

Certains anniversaires ont la saveur aigre-douce. Il en est ainsi de celui qui commémorait hier le retrait de l’armée syrienne du Liban le 26 avril 2005. Le départ ce jour-là du dernier soldat syrien du sol libanais n’avait pas été provoqué par une défaite militaire, encore moins une insurrection armée. Une conjonction de facteurs politiques locaux, régionaux et internationaux, nés au tournant du millénaire, eut définitivement raison de l’hégémonie syrienne. En dépit de son ampleur, l’assassinat un peu plus de deux mois auparavant de Rafic Hariri n’en était que l’épiphénomène, plus précisément (et vulgairement) la « cerise sur le gâteau ». Le processus en a simplement été accéléré. Ce jour-là donc, une ère de tutelle plus ou moins totale sur le Liban s’achevait. Au bout du compte, l’histoire ne dira pas autre chose. Mais l’histoire est une science hésitante. Elle s’écrit lentement, trop lentement, et semble souvent sur le point de se dédire, de virer à gauche, à droite, de revenir en arrière, avant de poursuivre son chemin. Calculée à l’aune de cette démarche, que mesure la durée d’une génération, d’une vie humaine ? Deux ans ont passé. Deux années en clair-obscur au cours desquelles le Liban a connu deux processus absolument contradictoires qui l’ont conduit là où il se trouve aujourd’hui. Mais ce qui importe en cet anniversaire, ce n’est pas tant de brosser un tableau de la situation actuelle dans le pays que de tenter d’entrevoir la corrélation entre le 26 avril 2005 et cette situation. Il faut s’entendre. Il ne s’agit point ici d’accuser systématiquement la Syrie de tous les maux dont souffre le Liban. Simplement de mieux éclairer la blessure profonde qui continue de fausser les rapports entre les deux pays. Une partie de la classe politique libanaise – et donc de l’opinion – considère que le gouvernement de Fouad Siniora a pris d’emblée une posture hostile à la Syrie. Ce groupe, qui correspond à l’ensemble des formations de l’opposition, y compris le CPL, estime que cette posture était – et est toujours – injustifiée et qu’elle est nuisible au Liban. Idéologie politique chez les uns, intérêts stratégiques chez d’autres, « réalisme » opportuniste chez les troisièmes. Quelle que soit la motivation qui anime ces formations, toutes semblent convenir que le mal vient davantage de Beyrouth que de Damas. Dans le camp du général Michel Aoun, on donne l’impression de croire que le 26 avril 2005 a en grande partie soldé les mauvais comptes entre les deux pays, que la Syrie s’est en quelque sorte dédouanée vis-à-vis de son petit voisin en en retirant son armée. Désormais, non seulement il n’est plus question de « guerre de libération », mais on juge toute velleité antisyrienne de la majorité parlementaire comme étant l’expression, au mieux, de calculs étroits et factieux, et, au pire, d’intérêts étrangers, plus précisément occidentaux. Observons plutôt les faits. À peine le gouvernement Siniora avait-il été formé, au début de l’été 2005, que la Syrie entamait une campagne tous azimuts contre le Liban, commencée par une tentative d’asphyxie économique avec l’épisode des poids lourds bloqués à la frontière. Cette campagne est ensuite allée crescendo. Insultes contre le Premier ministre libanais, édification de remblais sur certains points de la frontière, mobilisation des Palestiniens prosyriens hors des camps, meurtre d’un topographe de l’armée libanaise, mandats d’amener « délivrés » via Interpol à l’encontre de Walid Joumblatt et de Marwan Hamadé, etc. Sans parler du reste. En face, il faut l’admettre, il y avait bien sûr la rancœur d’une grande partie des Libanais après trente ans de syrianisme forcé et, surtout, des enquêteurs internationaux ayant les yeux rivés sur Damas. Dans les deux cas, le gouvernement libanais ne pouvait pas être directement mis en cause. Bien sûr, certains piliers de la majorité ont tenté de flirter avec l’idée d’un changement de régime en Syrie. Peut-être sont-ils allés trop loin dans leurs attaques directes contre le pouvoir à Damas. Pour autant, cela devrait-il occulter le fait que, jusqu’ici, les ingérences avérées et supposées ont été pratiquées dans un sens et pas dans l’autre ? Qu’a fait le gouvernement libanais ? Il a réclamé l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays, demandé un tracé de la frontière dans le secteur des fermes de Chebaa, et inscrit dans son programme la question des centaines de détenus et de disparus libanais en Syrie. Sur ce dernier point, le gouvernement est d’ailleurs resté bien en deçà des promesses, hésitant jusqu’à présent à susciter ouvertement ce douloureux problème – qu’il faudra un jour ou l’autre régler – probablement par crainte d’un effet boule de neige sur les dossiers noirs de la guerre civile libanaise. Vue de Damas, toute demande d’établissement de liens diplomatiques entre le Liban et la Syrie est considérée comme un acte hostile. Voilà résumé en quelques mots le vrai symptôme du mal qui entache les relations libano-syriennes. Que l’armée syrienne soit présente ou non sur le sol libanais, le malentendu historique de base demeure inchangé : nos voisins sont encore persuadés aujourd’hui que l’entité libanaise a pour origine une injustice coloniale et que, sans cette injustice, le Liban n’existerait pas. Certes, après le compromis de Taëf, la Syrie était bien contrainte d’accepter le fait accompli que représentait pour elle la reconnaissance du Liban comme « patrie définitive » par tous les signataires de l’accord. Mais cette contrainte était, somme toute, très relative, dans la mesure où la consécration de la tutelle – et de l’occupation militaire – permettait à Damas de contourner le problème en prenant le contrôle de l’entité « injuste ». Qui dit relations diplomatiques dit indépendance. C’est donc cette indépendance que la Syrie refuse obstinément de reconnaître parce que, à ses yeux elle est en soi un acte hostile. Quant à la question des fermes de Chebaa, elle représente à l’évidence une partie de l’instrument avec lequel la Syrie tient le Liban en otage. Accepter le tracé de la frontière dans ce secteur reviendrait à aider à résoudre le problème qui en est posé. Autrement dit à dénouer les fils qu’elle avait elle-même noués pour étrangler l’indépendance de son voisin tout en se donnant du poids sur l’échiquier proche-oriental. Deux ans après son retrait, la Syrie retrouve l’État libanais … dans tous ses états. Et réussit à faire en sorte que cet anniversaire passe presque inaperçu. L’évaluation exacte de sa contribution à la crise existentielle que traverse le pays reste à faire. Elle n’en est pas moins certaine.
Certains anniversaires ont la saveur aigre-douce. Il en est ainsi de celui qui commémorait hier le retrait de l’armée syrienne du Liban le 26 avril 2005.
Le départ ce jour-là du dernier soldat syrien du sol libanais n’avait pas été provoqué par une défaite militaire, encore moins une insurrection armée. Une conjonction de facteurs politiques locaux, régionaux et internationaux,...